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[ 18 avril 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Groupe de contrats : critères et conséquences de l’interdépendance

Dans un arrêt rendu le 13 mars 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation maintient son approche subjective de l’indivisibilité contractuelle et rappelle que les restitutions consécutives à la caducité des contrats liés ne résultent pas mécaniquement de la disparition du premier contrat du groupe.

Civ. 1re, 13 mars 2024, n° 22-21.451

L’adhérent à un contrat collectif d’assurance-vie souscrit par sa banque auprès d’un assureur avait conclu, une semaine après son adhésion et auprès de la même banque, un prêt devant servir à son financement. Ce prêt conclu le 26 octobre 2004 pour une durée d’un an renouvelable trois fois était garanti par une délégation de créance sur le contrat d’assurance-vie, ainsi que par un gage sur un compte d’instruments financiers. Le contrat d’assurance-vie ayant été abondé d’une somme supplémentaire entre 2005 et 2009, la banque avait alors consenti plusieurs prêts à son client (un crédit relais le 21 juillet 2006 puis, le 20 février 2009, un nouveau crédit destiné au remboursement du précédent et enfin, le 3 mars 2010, un nouveau crédit de refinancement). Le 25 mai 2011, l’assuré avait exercé la faculté de renonciation prévue à l’article L. 132-5-1 du code des assurances puis, le 19 juillet suivant, assigné l’assureur en restitution des capitaux placés sur le contrat d’assurance-vie et la banque, en nullité du contrat de prêt et en remboursement de toutes les sommes réglées à ce titre. En appel, la cour prononça la caducité avec effet rétroactif de la convention de prêt du 26 octobre 2004, ainsi que des conventions de crédit ultérieurement consenties, et condamna en conséquence la banque à restituer à l’emprunteur l’intégralité des sommes réglées par ce dernier au titre de l’ensemble des prêts litigieux. La banque a contesté cette décision devant la Cour de cassation, arguant de la divisibilité du contrat d’assurance-vie et des contrats de crédit successivement conclus avec son client. Selon la demanderesse au pourvoi, si ce groupe de contrats participait bien d’une même opération, chacun d’eux pouvait néanmoins être exécuté indépendamment des autres, ce qui s’était, en pratique, produit. En outre, la divisibilité de l’objet des litiges concernant l’exécution ou l’extinction du contrat d’assurance-vie et des conventions de crédit, judiciairement constatée (pour l’un, la renonciation au contrat, pour les autres, la caducité des conventions), excluait nécessairement tout lien d’indivisibilité entre ces mêmes contrats dont le sort n’était pas lié de manière indissociable, les uns pouvant se poursuivre ou s’éteindre sans affecter les obligations engendrées par les autres contrats. La Cour de cassation écarte cet argument au nom d’une approche subjective de l’indivisibilité contractuelle : « Ayant constaté que la banque avait été l'interlocutrice exclusive de M. [U] pour l'adhésion au contrat d'assurance-vie et qu'elle agissait en qualité de courtier, son logo figurant sur le bulletin d'adhésion, que le prêt in fine, destiné à abonder l'assurance, avait été conclu concomitamment pour la même durée et qu'il visait la délégation de créance consentie le même jour sur ce contrat, et avoir relevé que l'économie générale de l'opération devait résulter de l'excédent des produits de l'assurance-vie par rapport au coût global du prêt, de manière qu'à son terme le capital emprunté soit remboursé par rachat partiel du contrat d'assurance-vie et que reste sur ce dernier une valeur de rachat correspondant à l'enrichissement réalisé par l'emprunteur sans apport personnel, la cour d'appel a pu en déduire que la commune intention des parties était de rendre leurs conventions interdépendantes, peu important qu'elles fussent matériellement exécutables indépendamment les unes des autres ». La décision des juges du fond est toutefois censurée concernant les conséquences de cette indivisibilité sur le jeu corrélatif à la caducité des restitutions. Visant l’ancien article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la première chambre civile rappelle déduire de ce texte qu’en cas d’interdépendance entre un contrat d'assurance-vie et des contrats de prêt, la renonciation au premier entraîne, à la date à laquelle elle produit ses effets, la caducité des seconds, celle-ci ne pouvant donner lieu à des restitutions que si les contrats caducs n'ont pas été entièrement exécutés à la date d'exercice de la faculté de renonciation. Or pour ordonner la restitution de tous les montants réglés par l’emprunteur, la cour d’appel a retenu que le contrat d'assurance-vie et les conventions de prêt formaient un ensemble contractuel indivisible de sorte que l'anéantissement rétroactif du premier contrat emportait la caducité de tous les prêts conclus. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'à la date de la renonciation, les conventions de crédit avaient été entièrement exécutées à l'exception de celle du 3 mars 2010, laquelle seule pouvait donner lieu à restitution, la cour d'appel, qui n'en a pas tiré les conséquences légales, a violé le texte susvisé.

Caractérisation d’un groupe de contrats – Les groupes de contrats correspondent à la situation dans laquelle deux ou plusieurs contrats sont liés entre eux, de telle sorte que les événements affectant l’un sont susceptibles d’avoir un effet sur les autres.

Les contrats constitutifs du groupe peuvent être conclus successivement entre les mêmes personnes. Il en va ainsi des contrats formés et exécutés en application d’un contrat-cadre, mais il peut en aller ainsi même en l’absence de document cadre, dès lors que l’intention des parties est donner une unité juridique au courant d’affaires qui les relie. C’est le cas, par exemple, d’un contrat de « collaboration et d’assistance » et d’une location de matériel (Com. 28 mai 1996, n° 94-11.766). L’essentiel est que se constate une « pluralité de contrats » constituant « un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations d’affaires des parties » (Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724).

Le plus souvent, le groupe de contrats est composé de contrats conclus entre différentes personnes. Soit qu’ils interviennent successivement avec le même objet, telle une chaîne de contrats constituée de ventes en chaîne. Soit qu’ils concourent à la réalisation d’une finalité économique commune : il s’agit alors d’un ensemble de contrats, soudés par une identité de cause dont témoignent les ventes avec prêt ou le crédit-bail. 

En l’espèce, l’ensemble contractuel réunissait plusieurs personnes, soit le banquier, en double qualité de dispensateur de crédit et de courtier en assurance, l’assureur, et l’assuré. Ce groupe de contrats correspond à un montage contractuel bien connu, mêlant un contrat d’assurance-vie avec la combinaison d’un ou plusieurs crédits in fine conclus dans le but de financer l’opération. Fondatrice de leur interdépendance, l’identité de cause de ces deux types de contrats (assurance/crédit) se posait sous l’angle de l’approche objective ou subjective de l’indivisibilité contractuelle.

Indivisibilité objective ou subjective – L’indivisibilité est parfois objective, en ce sens que des contrats distincts forment un ensemble naturellement indissociable auquel ils participent chacun de manière complémentaire, leur exécution respective étant interdépendante l’une de l’autre. Dans ce cas, les contrats ne peuvent se concevoir séparément. Il en va ainsi lorsque, relève la Cour de cassation, un contrat n’aurait « aucun sens » sans l’autre (Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 06-19.339) ou lorsque l’économie générale du contrat commande l’indivisibilité qui, même au mépris de la volonté des parties, devient impérative (Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 et 11-22.927 ; conf. Com. 10 janv. 2024 ; n° 22-20.466). En l’espèce, la banque faisait valoir cette approche purement objective de l’indivisibilité pour contester la dépendance de chacun des contrats litigieux ; en effet, d’un point de vue objectif, il convient que chaque contrat soit nécessaire à la réalisation du tout, et n’ait pas d’intérêt propre séparé de l’œuvre commune, ce qui n’était pas en l’occurrence le cas, la Cour précisant que les conventions étaient « matériellement exécutables indépendamment les unes des autres ». C’était cependant de la part de la banque omettre que l’indivisibilité est également subjective, en ce qu’elle résulte de la volonté des parties, expresse ou tacite, de lier les différentes conventions entre elles. Lorsque cette volonté est comme en l’espèce tacite, il appartient aux juges du fond, non pas de s’interroger sur les causes respectives des différents contrats, mais de déduire leur liaison subjective de l’attitude des parties ou, plus généralement, de l’économie de l’ensemble contractuel en cause. Dans cette affaire, la concomitance des contrats conclus pour la même durée et par l’intermédiaire d’un interlocuteur unique dans un but commun, soit le remboursement du capital emprunté par le rachat partiel du contrat d’assurance-vie que devait financer l’excédent des produits de ce contrat, convergeaient vers une indivisibilité contractuelle qui rendait indifférent le critère avancé par la banque de l’exécution indépendante des conventions. En effet, la possibilité, matériellement constatée, de leur exécution cloisonnée ne suffisait pas à remettre en cause l’interdépendance contractuelle souhaitée par les parties dès l’origine. 

Notons toutefois que l’indivisibilité, même lorsqu’elle résulte de la volonté des parties, s’apprécie par l’existence d’éléments objectifs caractérisant leur « commune intention » de lier les contrats entre eux (v. déjà, Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658 et n° 14-17.772). En résulte un certain flou s’agissant du fondement juridique exact de l’indivisibilité, qui apparaît mal. La volonté des parties ne semble pas pouvoir être un fondement juridique autonome de celle-ci, contrairement à l’économie du contrat, qui semble constituer la source véritable et l’instrument privilégié par la jurisprudence pour reconnaître l’indivisibilité des contrats. Ainsi, en l’espèce, le montage financier justifiait l’interdépendance contractuelle. Le but financier ne pouvant être atteint que par l’imbrication des différents contrats conclus, cette seule considération obligeait à voir le montage réalisé comme un tout indivisible, et non comme la seule adjonction de contrats indépendants. La volonté des parties se confond alors avec le motif impulsif et déterminant de l’opération contractuelle globale. Et le fondement se trouble encore depuis que la jurisprudence décide, dans un cas particulier, de l’interdépendance impérative des contrats dès lors qu’ils incluent une « location financière » (Ch. mixte, 17 mai 2013, Com. 10 janv. 2024, préc.). En réalité, le rôle de la volonté des parties dans le lien des différentes conventions semble inversement proportionnel à leur interdépendance naturelle, comme en témoigne la décision rapportée. Mais la jurisprudence est délicate à synthétiser. En particulier, la première chambre civile et la chambre commerciale n’ont pas exactement la même analyse de la question, celle-ci contrôlant la qualification d’ensemble indivisible, celle-là l’abandonnant le plus souvent.

Conséquences de l’indivisibilité- L’existence d’un groupe de contrats crée des phénomènes d’anéantissement en chaîne. Sur le fondement de l’ancienne notion de cause du contrat, la première chambre civile avait posé la règle selon laquelle la disparition de l’un des contrats, quel qu’en soit le fondement (nullité, résolution, résiliation) entraînait la caducité de ceux qui lui étaient indissociablement liés, caducité qui serait rétroactive. Les restitutions consécutives à celle-ci n’étaient toutefois pas automatiques. Ainsi, concernant le montage contractuel litigieux, la caducité des prêts liés au contrat d’assurance-vie n’était susceptible d’emporter des restitutions qu’à la condition que ces contrats caducs n’aient pas encore été entièrement exécutés à la date d’exercice de la faculté de renonciation (pt 12). Ici réitérée, la règle est transposable au droit nouveau, malgré le silence gardé par les auteurs de la réforme sur cette question. En effet, la Cour confirme que la renonciation au contrat principal d’assurance-vie, entraînant la caducité des contrats accessoires de crédit, ne pouvait en l’espèce donner lieu à restitutions que pour le seul crédit encore en cours d’exécution à la date de la renonciation. Les autres contrats de prêt ayant été « entièrement exécutés », les restitutions devenaient impossibles. Ainsi la jurisprudence continue-t-elle de faire dépendre les restitutions corrélatives à la caducité de l’absence d’exécution intégrale des contrats caducs, celle-ci devant être appréciée à la date d’exercice de la faculté de renonciation à l’origine de la caducité. Le maintien de cette règle s’explique très probablement par la nécessité de ne pas remettre en cause l’utilité économique de l’opération lorsque celle-ci s’est pleinement déployée (v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 688, n° 595, comparant la solution avec celle retenue en matière de résolution).

Références :

■ Com. 28 mai 1996, n° 94-11.766 : RTD civ. 1996. 906, obs. J. Mestre

■ Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724 : D. 1996. 322, note G. Loiseau ; RTD civ. 1996. 163, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 66, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 342, obs. A. Martin-Serf

■ Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 06-19.339 

■ Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 et 11-22.927 : DAE, 3 juin 2013, note M. H.D. 2013. 1658, note D. Mazeaud ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2013. 597, obs. H. Barbier ; RTD com. 2013. 569, obs. D. Legeais

■ Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466 DAE, 30 janv.2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 342, note G. Chantepie ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki

 Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658 et n° 14-17.772 DAE, 30 sept. 2015, note A.M., D. 2015. 1837, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2016. 566, obs. M. Mekki ; AJCA 2015. 469, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2016. 111, obs. H. Barbier ; RTD com. 2015. 723, obs. D. Legeais

 

Auteur :Merryl Hervieu


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