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[ 16 mai 2019 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Accidents de la circulation et faute inexcusable

Au sens de l’article 3 de la loi Badinter, en cas d’atteinte à la personne, seule peut être exclue l’indemnisation de la victime non conductrice lorsque celle-ci a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi ou a commis une faute inexcusable si celle-ci a été la cause exclusive de l’accident. 

Les juges ont eu une nouvelle fois à se prononcer sur les critères d’appréciation de la faute inexcusable de la victime non conductrice au sens de l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation dite loi Badinter.

En l’espèce, le piéton-victime se tenait debout à côté de sa voiture, stationnée en bon état de marche, sur un refuge où il se trouvait en sécurité, et s’est, sans raison valable connue, soudainement engagé à pied sur la chaussée de l’autoroute. Ce dernier a lors été fauché par un camion. Sa veuve, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de leurs trois enfants mineurs, a assigné en indemnisation le représentant de l’assureur et l’organisme social du défunt.

La cour d’appel, dans un arrêt infirmatif, retient la faute inexcusable de la victime et exclut ainsi le droit à indemnisation de ses ayants droit. Ces derniers ont alors formé un pourvoi en cassation en arguant de la violation de l’article 3, alinéa 1er, de la loi du 5 juillet 1985 par la cour d’appel du fait que celle-ci avait prononcé le caractère inexcusable de la faute « sans s’expliquer notamment sur les conditions climatiques et de visibilité du lieu de l’accident et sans rechercher […] si le défunt piéton n’avait pas été troublé par le fait qu’il avait vu au dernier moment le poids lourd, par la vitesse de celui-ci et par la réaction de son chauffeur, qui s’est déportée sur la gauche ». 

La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve les juges du fond en retenant que ceux-ci n’étaient pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni de procéder à la recherche demandée, avaient pu en déduire la caractérisation de la faute inexcusable de la victime, cause exclusive de son dommage. La Cour relève que le défunt piéton « se tenait debout à côté de sa voiture, stationnée en bon état de marche, sur un refuge où il se trouvait en sécurité, et s’est, sans raison valable connue, soudainement engagé à pied sur la chaussée de l’autoroute, à la sortie d’une courbe masquant la visibilité des véhicules arrivant sur les voies, devant un ensemble routier circulant sur la voie de droite à la vitesse autorisée et n’ayant pas disposé d’une distance suffisante pour l’éviter ». Ainsi, les demandeurs se trouvent privés d’indemnisation ; la faute inexcusable du défunt pouvant leur être opposée par ricochet (Cass., ass. plén., 19 juin 1981 ; Projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017, art. 1256).

Il convient de rappeler que les victimes d’un accident de la circulation sont indemnisées sur le fondement du régime spécial prévu par la loi Badinter du 5 juillet 1985. Pour bénéficier de ce régime dérogatoire, il faut être en présence d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et le dommage doit être imputable à l’accident

Le régime de l’indemnisation est prévu aux articles 2 à 6 de la loi susvisée. Contrairement au droit commun de la responsabilité civile, les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers (L. n° 85-677, art. 2). 

Concernant les causes d’exonération, la loi de 1985 opère une distinction entre les préjudices patrimoniaux résultant d’une atteinte aux biens et les préjudices corporels et entre les victimes conductrices et non conductrices : 

               

 

 

 

 

 

 

Victimes non conductrices

 

 

 

 

Victimes conductrices

 

 

Préjudices patrimoniaux 

 

 

Toute faute causale de la victime (même faute simple) peut limiter ou exclure son droit à réparation (Art. 5)

 

 

Préjudices corporels

 

 

Principe : Faute de la victime inopposable (Art 3, al. 1er)

 

Exceptions :

 

-        Faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident (Art 3, al. 1er)

 

Sauf pour  les victimes protégées : moins de 16 ans, plus de 70 ans, titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité au moins égal à 80 % (Art. 3, al. 2) 

 

-        Recherche volontaire du dommage subi (Ex : suicide) : même pour victime protégée (Art 3, al. 3)

 

 

 

 

Faute de la victime limite ou exclut l’indemnisation (Art. 4)  

 

Le problème de l’espèce concerne la détermination de la faute inexcusable ; laquelle n’a pas été précisée par le législateur. La Cour de cassation la définit comme la « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Cass., ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912). Conformément à la volonté protectrice et indemnisatrice, vis-à-vis des victimes, de la loi de 1985, la Cour apprécie de matière restrictive cette cause d’exonération. 

Dans un arrêt rendu le même jour, la Cour de cassation a écarté la faute inexcusable pour une affaire concernant deux cyclistes mineurs empruntant la route départementale de nuit sans éclairage en raison du mauvais état de la piste cyclable (Civ. 2e, 28 mars 2019, nos 18-14.125 et 18-15.855).

Concernant le piéton-victime, la jurisprudence retient sa faute inexcusable que lorsque, sans aucune raison valable, il s’est trouvé au moment de l’accident, dans un lieu de grande circulation où « sa présence et radicalement bannie ; et aussi inadmissible qu’imprévisible » (V. Jéol, concl. sous Cass., ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912).

Dans plusieurs cas d’espèces, le fait que le piéton n’ait pas eu à franchir un obstacle matérialisant l’interdiction d’accès aux piétons a entraîné le rejet par la Cour de la qualification de la faute inexcusable. Ainsi n’a pas été qualifiée de faute inexcusable la traversée soudaine de nuit par un piéton d’une route nationale (Civ. 2e, 20 avr. 1988, n° 87-10.763). A contrario la faute inexcusable est caractérisée lorsque la victime a traversé, de nuit, une autoroute, malgré trois glissières de sécurité (Civ. 13 févr. 1991, n° 89-10.054). 

Tout est affaire de circonstances et la Cour, appréciant au cas par cas la retenue ou non de la faute inexcusable, n’exige pas nécessairement un franchissement d’obstacles ; ainsi le fait pour le piéton en état d’ébriété, de s’être allongé au milieu d’une voie de circulation fréquentée et dépourvue d’éclairage public caractérise une faute inexcusable (Civ. 2e, 28 mars 2013, n° 12-14.522).

De plus, le rôle exclusivement causal de la faute inexcusable doit être caractérisé ; c’est-à-dire qu’aucune autre cause ne doit avoir participé à l’accident. Ainsi la faute du défendeur (le conducteur, dans le cas d’espèce) ne doit pas avoir joué un rôle causal dans l’accident (Civ. 2e, 19 janv. 1994, n° 92-13.804). Ainsi l’article 1287 du projet de réforme de la responsabilité civile fait la distinction entre deux situations : la faute inexcusable prive la victime de tout droit à réparation si elle a été la cause exclusive de l’accident (al. 2) ; alors que lorsqu’elle n’est pas la cause exclusive de l’accident, la faute inexcusable commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter son droit à réparation (al.3).

Civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-15.168 

Références 

■ Cass., ass. plén., 19 juin 1981, n° 78-91.827 P : D. 1981. 641, note C. Larroumet ; ibid. 1982. 85, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; RTD civ. 1981. 857, obs. G. Durry

■ Cass. ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912 P: D. 1995. 633, rapp. Y. Chartier ; RTD civ. 1996. 187, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 28 mars 2019, nos 18-14.125 et 18-15.855 P : D. 2019. 695

■ Civ. 2e, 20 avr. 1988, n° 87-10.763 P

■ Civ. 13 févr. 1991, n° 89-10.054 P: D. 1992. 208, obs. P. Couvrat et M. Massé

■ Civ. 2e, 28 mars 2013, n° 12-14.522 P: D. 2013. 907

■ Civ. 2e, 19 janv. 1994, n° 92-13.804 P

 

Auteur :Marie-Astrid Petit


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