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[ 10 juin 2015 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Adieu Vincent ?

Mots-clefs : Droit à la vie, Traitements, Obstination déraisonnable, Marge d’appréciation, Consensus, Fin de vie, Malade, Médecin, Procédure collégiale, Loi Leonetti, Directive anticipée.

Le couperet est tombé, la mise en œuvre de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014, se prononçant sur l’arrêt des soins, ne conduit pas à une violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit à la vie. Écartant l’hypothèse de l’euthanasie, cette décision de la Cour, qui reconnait l’absence de consensus des États membres du Conseil de l’Europe sur l’arrêt des traitements, insiste en revanche sur le consensus existant quant à la prise en considération de la volonté du patient. Il ressort de cet arrêt que la Cour juge la loi suffisamment claire. Elle indique également, bien que le patient soit dans l’impossibilité de s’exprimer, que sa volonté peut être déterminée par d’autres moyens. Enfin, elle juge que les requérants ont bénéficié de recours juridictionnels garantissant la protection de leurs droits, ouvrant la voie à l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État. 

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 5 juin 2015 se situe en dehors du champ de l’euthanasie et du suicide assisté sur lesquels la Cour avait déjà été amenée à rendre des arrêts. Ces derniers ne constituent pas la trame du raisonnement de la Cour, celle-ci étant dans un autre cadre qu’est l’arrêt des traitements, justifiant un examen sur le fondement de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH).

Ainsi, la CEDH s’est prononcée dans un dossier qui, au-delà de sa complexité médicale et juridique, a pour particularité de déterminer si une personne peut subir un arrêt de ses traitements, alors qu’il est dans l’incapacité d’exprimer sa volonté clairement. Cette question soulevant celle de la violation de l’article 2 de la Conv. EDH, relatif au droit à la vie, a opposé les membres de la Grande Chambre, cinq juges ayant exprimé une opinion dissidente avec une grande fermeté, par rapport non seulement à l’arrêt, mais également à la protection offerte par la Convention. La Cour s’est largement appuyée sur le principe de subsidiarité pour conforter la solution du Conseil d’État du 24 juin 2014.

A l’origine des faits, il y a Vincent Lambert qui souffre d’un grave traumatisme crânien, victime d’un accident de moto. Il est alors tétraplégique et entièrement dépendant. Après des hospitalisations dans divers établissements, il est soigné au CHU de Reims. Il y bénéficie d’une hydratation et d’une alimentation artificielles par voie entérale au moyen d’une sonde gastrique. Son état est aujourd’hui qualifié de végétatif, cependant il respire sans appareillage et n’a pas d’autres soins. En 2013, après plusieurs semaines de réflexion et d’échanges entre le personnel médical, son épouse et une partie de la famille, le médecin en charge a décidé d’arrêter la nutrition et de réduire l’hydratation. Les parents de Vincent Lambert, qui n'avaient pas été consultés à l'époque ni informés de la décision prise par le corps médical, ont saisi le juge des référés afin que la décision cesse d’être appliquée. Ce juge a fait droit à leur demande. Une nouvelle décision fut prise d’arrêter les soins le 11 janvier 2014 par le médecin. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (16 janv. 2014, n° 1400029) puis le Conseil d’État ont été saisi. La décision du Conseil d’État est intervenue le 24 juin 2014.

Dans cette décision, les juges du Palais Royal ont jugé que la loi Leonetti du 22 avril 2005, relative au droit des malades et à la fin de vie était applicable et que l’hydratation et l’alimentation artificielles constituaient des traitements qui pouvaient être arrêtés en cas d’obstination déraisonnable. Après avoir en outre demandé une expertise médicale, le Conseil d’État s’est prononcé en faveur de la légalité de la décision, en insistant sur l’exigence de prendre en considération la volonté du patient. Il a jugé conforme à la loi et à la Convention européenne des droits de l'homme l'exécution de la décision médicale d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de Vincent Lambert. 

C’est au regard de cette décision du Conseil d’État que les parents ont choisi de saisir la CEDH. Il a été sursis à l'exécution de cette mesure dans l'attente d'un examen de l'affaire par la Cour. La procédure de l'article 39 du règlement de la Cour EDH, permet de décider de mesures provisoires uniquement s'il y a « un risque imminent de dommage irréparable » dont la suspension de l'exécution d’un arrêt pour la durée de la procédure devant la Cour. La CEDH a également décidé que la procédure au fond sera traitée en priorité, en vertu de l'article 41 du règlement de la juridiction

Avant de revenir sur le fond, la recevabilité de la requête doit être évoquée. En effet, les parents voulaient agir au nom et pour le compte de leur fils. La Cour leur a refusé au regard des critères de sa jurisprudence (notamment CEDH, 22 juill. 2003, Y. F. C/ Turquie, n° 24209/94). Pour la Cour, il n’existe pas de risque que Vincent Lambert soit privé d’une protection effective. En effet, les proches peuvent invoquer en leur nom le droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention. Ensuite, il n’y a selon la Cour aucune convergence d’intérêts entre les requérants et Vincent Lambert. Il est vrai que les parents semblent exprimer une position différente de celle que leur fils aurait pu choisir. Cependant, aucune directive anticipée ne permet d’affirmer clairement cette divergence. Dès lors les parents de Vincent Lambert n’ont pu intervenir qu’en leur propre nom, position de la Cour qui a largement été contestée par les juges ayant une opinion dissidente.

Sur le fond, la Cour européenne se prononce sur le seul article 2 de la Convention, bien que les requérants aient invoqués également l’article 8 relatif au droit à la vie privée et l’article 3 sur les traitements inhumains et dégradants. Cependant la Cour intègre l’article 8 dans son raisonnement sur la violation de l’article 2, justifiant qu’elle ne se prononce pas spécifiquement sur sa violation. 

Sous l’angle de l’article 2, la Cour écarte la question des obligations négatives, qui imposent aux États de s’abstenir de donner la mort intentionnellement. En effet, la loi Leonetti n’autorise pas l’euthanasie ou le suicide assisté. Cette loi permet uniquement d’arrêter un traitement si sa poursuite est la traduction d’une obstination déraisonnable. La Cour s’en tient en conséquence aux obligations positives issues de l’article 2 de la Convention qui impose aux États de prendre les mesures nécessaires de protection à la vie des personnes. A partir de cette approche, la Cour reprend son raisonnement traditionnel en déterminant si l’État dispose d’une marge d’appréciation. Les juges retiennent l’existence d’une marge d’appréciation étant donné qu’il n’existe pas de consensus sur l’arrêt des traitements artificiels. La Cour recherche alors si une violation existe tant par rapport à la clarté de la loi, au processus décisionnel et aux recours juridictionnels. 

Sur le premier point, la Cour va rechercher au regard des moyens soulevés si la loi Leonetti présente une absence de clarté et de précision, notamment par rapport aux notions d’obstination déraisonnable et de traitement. En outre, les parents estimaient que la loi ne pouvait s’appliquer à leur fils, celui-ci n’étant pas en fin de vie ou malade, contrairement au champ d’application posé par la loi. Après examen, la Cour reconnait que la loi peut s’appliquer à Vincent Lambert, puisqu’au regard de la décision du Conseil d’État et des travaux préparatoires de la loi, celle-ci s’adresse à tous les usagers et non simplement aux personnes malades ou en fin de vie. En outre il est jugé que la loi française répond aux exigences de la Convention, eu égard aux précisions apportées par le Conseil d’État et par les dispositions du code de la santé publique (art. L. 1110-5 sur l’obstination déraisonnable). Dès lors, le cadre législatif est suffisamment clair aux fins de l’article 2 de la Convention.

Dans un second point, la Cour s’attache aux conditions de la prise de décision, autrement dit, elle s’attarde sur la détermination de la volonté du malade telle que le Conseil d’État l’a retenue. La Cour remarque que les États font jouer un rôle primordial à la volonté du patient dans la prise de décision, mais que la décision finale peut être confiée à différentes personnes. En conséquences, les modalités sont multiples, notamment quand il y a absence de directive anticipée de la part du patient et que par ailleurs, l’article 2, comme la jurisprudence n’imposent aucune obligation. Au regard de la marge d’appréciation laissée aux États membres, la Cour juge qu’en l’espèce, la procédure collégiale est conforme à l’article 2, d’autant plus que le CHU de Reims a été au-delà des préconisations de la loi. En effet plusieurs médecins ont été consultés, ainsi que l’équipe soignante, tout comme la famille. La décision du médecin a enfin été longuement motivée. La procédure a été ainsi longue et méticuleuse selon les mots de la Cour.

Dans un troisième point, la Cour revient sur l’effectivité des recours juridictionnels. La Cour note qu’ils sont réels au regard des pouvoirs du juge, y compris en référé. Des expertises ont pu être menées à bien et de manière complète. Le contrôle a également porté sur la volonté du patient. La Cour précise que cette volonté a été recherchée, le Conseil d’État ayant pris en considération des témoignages familiaux liés à la personnalité et à l’histoire de Vincent Lambert. La position de sa femme, elle-même infirmière comme Vincent Lambert, qui avaient évoqué ensemble ce sujet des traitements artificiels, a été intégrée dans la décision du Conseil d’État. La Cour en conclut logiquement à l’absence de violation, rappelant la complexité éthique et juridique de l’affaire.

CEDH, Grande chambre, 5 juin 2015, Lambert et autres contre France, n° 46043/14 

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 2 

« Droit à la vie. 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3

« Interdiction de la torture.   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8 

« Droit au respect de la vie privée et familiale.   1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Règlement de la Cour européenne des droits de l’homme

Article 39 

« Mesures provisoires.1. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure. 

2. Le cas échéant, le Comité des Ministres est immédiatement informé des mesures adoptées dans une affaire. 

3. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent inviter les parties à leur fournir des informations sur toute question relative à la mise en oeuvre des mesures provisoires indiquées. 

4. Le président de la Cour peut désigner des vice-présidents de section comme juges de permanence pour statuer sur les demandes de mesures provisoires. »

Article 41

« Ordre de traitement des requêtes. Pour déterminer l'ordre dans lequel les affaires doivent être traitées, la Cour tient compte de l'importance et de l'urgence des questions soulevées, sur la base de critères définis par elle. La chambre et son président peuvent toutefois déroger à ces critères et réserver un traitement prioritaire à une requête particulière. »

■ Code de la santé publique

Article L. 1110-5

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.

Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10.

Les dispositions du premier alinéa s'appliquent sans préjudice de l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé, ni des dispositions du titre II du livre Ier de la première partie du présent code.

Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort. Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »

 TA Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2014Lambert, n° 1400029, D. 2014. 149fileadmin/actualites/pdfs/JUIN_2015/1400029_D.pdf.

■ CE, ass., 24 juin 2014Lambert et autres, n° 375081, RFDA 2014. 657, concl. R. Keller.

■ CEDH, 22 juill. 2003, Y. F. C/ Turquie, n° 24209/94.

 

Auteur :V. B.


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