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[ 27 mai 2015 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Aggravation du préjudice : la limite de l’autorité de la chose jugée

Mots-clefs : Responsabilité, Préjudice, Aggravation, Indemnisation, Conditions, Autorité de la chose jugée, Décision définitive, Transaction

La victime ne peut prétendre à être indemnisée de l’aggravation de son préjudice sans la prouver en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de justice et à la transaction ayant successivement déterminé le montant initial de l’indemnité. 

 

 La victime d'un accident de la circulation l'ayant rendu tétraplégique avait assigné l’assureur du propriétaire du véhicule qui avait causé l’accident en indemnisation de son préjudice. Par un arrêt devenu irrévocable, la cour d'appel saisie du litige avait condamné l'assureur à payer à la victime, au titre de l'assistance permanente par tierce personne, une rente mensuelle. Cette rente, indexée sur l'évolution du SMIC, avait été, aux termes d’un protocole conclu entre la victime et l’assureur, ensuite indexée sur l'indice légal de revalorisation prévu par l'article L. 455 du Code de la sécurité sociale alors applicable.

Invoquant une évolution de son préjudice et l'insuffisance du montant de la rente pour répondre au besoin en assistance par tierce personne initialement évalué, la victime avait sollicité l'augmentation de cette rente. Sa demande fut déclarée irrecevable au motif de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision judiciaire et à la transaction ayant déterminé le montant de l’indemnité. 

La victime forma un pourvoi en cassation. Elle soutenait que l'autorité de la chose jugée s'attachant à la décision judiciaire d'indemnisation comme celle inhérente à l’accord transactionnel ne pouvait faire obstacle à l'indemnisation d’un préjudice nouveau né d'une évolution de la législation sociale qui, par hypothèse, n'avait pu être prise en compte ni par le juge, ni par les parties à la transaction. 

Le pourvoi est rejeté : ne justifiant ni d'une aggravation de son handicap ou de son préjudice, ni d'un préjudice nouveau survenus depuis la première évaluation de l’indemnité, la cour d'appel a exactement décidé que sa demande en réévaluation de la rente, peu important que cette dernière soit devenue insuffisante pour continuer à lui permettre de s'assurer quotidiennement les services d'une tierce personne à titre permanent, se heurtait à l'autorité de chose jugée et était irrecevable. 

« Les transactions ont, entre les parties, l'autorité de chose jugée en dernier ressort » (C. civ., art. 2052). Cette disposition fait du contrat de transaction un « équivalent juridictionnel ». Qu'elle fasse suite à une décision de justice ou à une transaction, l’aggravation du préjudice ne peut donc être prise en compte qu’à la condition de ne pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée. Dans les deux cas, c'est en effet le principe de l'autorité de la chose jugée qui détermine la possibilité et la mesure de la révision de l'indemnité initiale. 

Or depuis longtemps, la Cour de cassation n’admet cette révision des dommages-intérêts que dans l'hypothèse où la victime établit l'aggravation du préjudice postérieurement à la décision définitive ayant procédé à la liquidation de ses droits (Cass. req., 10 déc. 1861) et, a fortiori, lorsque la décision révisée n'a pas envisagé expressément les conséquences futures du dommage. 

Mais encore faut-il que cette révision de l'indemnité accordée à la victime soit présentée comme participant de l'indemnisation de chefs de préjudices nouveaux et non comme relevant d’une simple réévaluation des chefs de préjudices initiaux. 

En effet, pour ne pas heurter le principe de l’autorité de la chose jugée, le juge ne peut que statuer sur l'indemnisation d'un préjudice nouveau ; il ne saurait connaître de l'aggravation du préjudice initial (Civ. 2e, 12 oct. 2000)

Pour la même raison, en cas d'aggravation du préjudice dont le montant a été déterminé dans une transaction, seuls sont indemnisables les dommages nouveaux révélés postérieurement à l’accord initial (Civ. 1re, 17 déc. 2002)

Ainsi, à condition que la victime parvienne à établir la réalité et l'étendue de l'aggravation dont elle se prévaut (Civ. 1re, 4 juin 1991), une indemnité complémentaire pourra lui être allouée, par exemple, si elle a commis une erreur portant sur la nature de son préjudice (Cass. req., 23 déc. 1907. – V. aussi, Civ. 1re, 10 juin 1986 et Civ. 2e, 10 janv. 1990) ou bien encore s’il résulte de l’interprétation de la transaction par le juge que les conséquences du dommage ou le préjudice nouveau allégués au titre d'aggravation n'ont pas été envisagés, ni spécialement, ni forfaitairement par les parties, lors de la conclusion de leur accord. Le pouvoir des juges du fond est néanmoins limité par la théorie de la dénaturation, privant le juge du pouvoir de modifier les termes clairs d’un contrat. 

En effet, la révision de la transaction est non seulement limitée par le principe de l’autorité de la chose jugée, mais également par les règles propres à la matière contractuelle (Pour d’autres exemples, comme la possibilité de rescinder la transaction pour dol mais non de la réviser en cas de lésion ou d’erreur sur la valeur commise par la victime concernant l'appréciation du montant de son préjudice en ce qu’ils ne sont pas réparés en droit commun des contrats, V. Civ. 1re, 17 déc. 2002J.-P. Chauchard). 

Ainsi, malgré l’immixtion croissante du juge dans le contrat, ce dernier ne peut toutefois ni modifier les termes de la transaction, ni trancher le litige pour lequel une décision de justice devenue définitive puis une transaction sont intervenues

Civ. 2e, 5 mars 2015, n° 14-14.151 et 14-15.646.

 

Références

■ Code civil

Article 2052

« Les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort.

Elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion. »

■ Cass. req., 10 déc. 1861, DP 1862, 1, p. 123.

■ Civ. 2e, 12 oct. 2000, n° 98-20.160RTD civ. 2001. 158, note Jourdain.

■ Civ. 1re, 17  déc. 2002,  00-17.333JCP 2003, II, 10081, note H. Kenfack.

■ Civ. 1re, 4 juin 1991, n° 88-17.702.

■ Cass. req., 23 déc. 1907, DP 1912, 1, p. 70.

■ Civ. 1re, 10 juin 1986, n° 85-10.127Bull. civ. I, n° 164.

■ Civ. 2e, 10 janv. 1990, n° 87-10.453, Bull. civ. II, n° 9.

■ P. Chauchard, La transaction dans l'indemnisation du préjudice corporel ; RTD civ. 1989. 1, spéc. n° 52 s.

 

 

 

 

Auteur :M. H.


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