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[ 12 juillet 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : illustration à propos du lien de causalité

Mots-clefs : Autorité de la chose jugée, Pénal, Civil, Énonciations revêtues de la chose jugée, Lien de causalité, Responsabilité civile

L’autorité de la chose jugée au pénal s’étendant aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision, le constat d’un lien de causalité direct et certain entre les agissements délictueux du coupable et le préjudice de la victime, cause indispensable de la décision rendue, s’impose au juge civil.

Un prévenu avait été déclaré, par un arrêt rendu le 25 avril 2002 par la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Nancy, devenu irrévocable, coupable de trouble à la tranquillité d'autrui en raison d’appels téléphoniques malveillants réitérés auprès d’une victime ayant conduit celle-ci à se suicider et, sur l'action civile, responsable du préjudice subi par celle-ci. La victime avait alors demandé l'indemnisation de son préjudice à un tribunal de grande instance avant que l'instance, interrompue par son décès, eut été reprise par ses ayants droit. Pour rejeter leur demande, la cour d’appel retint que la preuve de l'existence d'un lien de causalité directe entre la tentative de suicide de la victime et les appels malveillants commis par leur auteur n’était pas rapportée. Au visa de l'article 1351 du Code civil, cette décision est cassée. Rappelant le principe selon lequel l'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision, la deuxième chambre civile relève qu’en statuant comme elle l’a fait alors que, comme s'en était prévalue la victime dans ses conclusions, la cour d'appel avait, dans son arrêt du 25 avril 2002, motivé sa décision en retenant que les agissements délictueux du coupable étaient de façon directe et certaine la cause du préjudice de la partie civile, la cour d'appel a violé le texte visé. 

Dans cette affaire, la cassation est prononcée à double titre. D’une part en raison de la violation, par les juges du fond, de l’article 1351 du Code civil. En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, seules les sentences pénales ont cette autorité. Dans l'hypothèse d'un jugement de condamnation, tous les éléments constitutifs de l'infraction étant réunis, la chose jugée s'attache aux énonciations requises par la loi pour déclarer le fait poursuivi condamnable, soutien nécessaire de la décision du juge pénal. L'existence de la faute, tout d'abord, s'impose au juge civil. Après condamnation pénale, le juge civil qui statue sur les intérêts civils ne peut se refuser à tirer les conséquences civiles de la condamnation et doit reconnaître l'existence d'une faute civile à la charge du condamné (Crim. 3 mars 1976, n° 75-90.267). Il en va de même, comme en atteste la décision rapportée, en ce qui concerne le lien de causalité. Le constat de son existence est alors la cause nécessaire du jugement, son soutien indispensable. Ainsi, en l’espèce, en vertu de ce principe selon lequel l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui soutiennent nécessairement le chef de dispositif prononçant la décision, la cour d’appel n’était pas en droit de rejeter la demande indemnitaire des ayants droit de la victime en jugeant que n’était pas établi le lien de causalité directe entre les faits commis et les préjudices subis alors même que la chambre des appels correctionnels de cette cour avait déclaré l’auteur des appels téléphoniques coupable de l’infraction de trouble à la tranquillité de la victime par un arrêt devenu irrévocable et motivé par le lien de causalité entre les appels passés et répétés et la tentative de suicide de la victime. Ainsi la cour d’appel a-t-elle violé l’autorité de la chose jugée au pénal attachée à ce motif, soutien nécessaire de la déclaration de culpabilité. Partant, et plus largement, en refusant de déclarer le coupable civilement responsable, la cour d’appel a méconnu l’autorité de la chose jugée par le juge pénal sur l’action civile. Certes, en principe, les dispositions civiles incluses dans le jugement pénal n'ont qu'une autorité relative selon les termes de l'article 1351 du Code civil (Civ. 2e, 17 mars 1977, n° 75-13.831. Civ. 2e, 10 mars 1993). Tel est le cas lorsque le juge répressif désigne, comme en l’espèce, la personne civilement responsable (Civ. 2e, 11 juill. 1956. Civ. 2e, 3 avr. 1978, n° 77-10.135). Cependant, comme le rappelle ici la Cour, par exception, la disposition civile contenue dans le jugement pénal peut être dotée de l'autorité absolue de la chose jugée, à l’instar du jugement répressif lui-même ; il en est ainsi quand le juge pénal est appelé à statuer sur une question de nature civile, tel que le lien de causalité, dès lors qu’elle forme l'un des éléments constitutifs de l'infraction poursuivie et qu’elle doit être nécessairement tranchée pour motiver sa décision sur le plan pénal (Civ. 15 janv. 1913. Civ. 2e, 18 oct. 1989, n° 87-19.781)

La cassation est d’autre part prononcée en raison d’une mauvaise appréciation, par les juges du fond, du lien causal entre les agissements du coupable et le comportement de la victime. Bien que réfutant le caractère direct et certain du lien causal entre les appels téléphoniques malveillants du coupable et les préjudices subis par la victime résultant de sa tentative de suicide, que les juges du fond imputaient en vérité au décès du père de la victime, ces derniers constataient toutefois que la tentative de suicide de la victime était bien le résultat d’un épisode dépressif caractérisé par des convictions inébranlables « de ruine et d’indignité », convictions directement et avec certitude inspirées, selon l’expert dont la cour avait entendu adopter les conclusions, par les appels téléphoniques répétés par leur auteur. Direct et certain, le lien de causalité entre les faits et le préjudice était donc bien caractérisé. 

Civ. 2e, 30 juin 2016, n° 14-25.070

Références

■ Crim. 3 mars 1976, n° 75-90.267 P.

■ Civ. 2e, 17 mars 1977, n° 75-13.831 P, D. 1977, IR. 441.

■ Civ. 2e, 10 mars 1993, n° 91-15.043 P.

■ Civ. 2e, 11 juill. 1956.

■ Civ. 2e, 3 avr. 1978, n° 77-10.135 P, D. 1978, IR. 403.

■ Civ. 15 janv. 1913 ; DP 1913, 1, p. 320.

■ Civ. 2e, 18 oct. 1989; n° 87-19.781 P.

 

Auteur :M. H.


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