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[ 17 janvier 2019 ] Imprimer

Droit des personnes

Cap ou pas cap ?

Par deux avis récents, la Cour de cassation répond en faveur de l’autonomie personnelle de la personne incapable en défendant ses droits au maintien de ses comptes bancaires et à l’exercice d’une activité commerciale.

Les règles applicables aux majeurs protégés s’efforcent aujourd’hui de protéger la personne vulnérable tout en préservant, dans la mesure du possible, son autonomie. Alors qu’historiquement, l’incapable était avant tout traité de façon abstraite, comme un sujet de droit, comme le titulaire d’un patrimoine, qu’il fallait assister ou représenter sur la scène juridique, depuis plus de vingt ans maintenant, le législateur comme le juge, portant un regard nouveau sur l’incapacité, cherchent à reconnaître des droits à la personne vulnérable, c’est-à-dire à ne plus concevoir l’incapacité comme une simple privation ou diminution de la capacité juridique, mais à l’appréhender de façon positive comme une technique de protection qui ne doit pas pour autant anéantir l’autonomie et la liberté individuelle de la personne, celles-ci devant toujours, dans la mesure du possible, être recherchées. C’est dans cette perspective que le droit des incapacités a été réformé par la loi du 5 mars 2007 pour moderniser le droit des incapables majeurs. L’article 415 du Code civil qui en est résulté traduit bien la politique depuis lors poursuivie : la « protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci ». Cette politique est notamment justifiée par l’évolution des données démographiques, la forte croissance de la population des majeurs vulnérables en France ne pouvant que soutenir ce mouvement de libéralisation de la personne incapable. Cette volonté d’accroître l’autonomie de la personne vulnérable se traduit notamment par le statut personnel du majeur protégé, qui s’applique quel que soit son régime de protection. C’est à ce titre qu’il bénéficie de certains droits, variés, notamment relatifs à ses comptes bancaires et à l’exercice d’activités professionnelles, comme en témoignent les deux avis rapportés, récemment rendus par la Haute cour en application de l’article L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire. 

La personne protégée a droit au maintien des comptes ou des livrets ouverts en son nom. Le tuteur ou le curateur ne peuvent pas modifier les comptes ni en en ouvrir de nouveau dans toute banque ou établissement financier (C. civ., art. 427). Toutes les opérations bancaires (encaissement, paiement, gestion patrimoniale) effectuées au nom et pour le compte du majeur doivent être réalisées exclusivement au moyen des comptes ouverts à son nom. Tous les fruits, produits et plus-values générés par les fonds et les valeurs appartenant au majeur doivent lui revenir exclusivement. C’est à propos de ce texte qu’un tribunal d’instance a sollicité l’avis de la Cour de cassation, lui posant la question de savoir si « (l)’article 427 du code civil exige (…) l’autorisation du juge des tutelles pour l’ouverture, la clôture ou la modification d’un compte bancaire par une personne protégée assistée de son curateur ? ». A cette question, la Cour répond en commençant par rappeler qu’en dépit du principe d’interdiction qui s’impose à la personne chargée de la mesure de protection, cette dernière peut être autorisée par le juge des tutelles à procéder aux opérations bancaires visées si l’intérêt de la personne protégée le commande (C. civ., art. 427, al. 2). Elle précise ensuite que ce texte, situé dans la première section du chapitre du code civil consacré aux mesures de protection juridique des majeurs, et contenant les dispositions générales communes à l’ensemble des mesures de protection, s’applique notamment aux mesures de curatelle. En outre, il vise « la personne chargée de la mesure de protection », et non pas seulement le tuteur ou le mandataire spécial. A l’effet de garantir la protection de l’incapable tout en préservant, dans son intérêt, le caractère personnel attaché à ses comptes et livrets bancaires, la Cour affirme qu’il s’’ensuit que le curateur ne peut concourir seul, en assistant la personne protégée, à l’ouverture, la modification ou la clôture d’un compte bancaire. Il doit donc impérativement obtenir l’autorisation du juge des tutelles, qui ne la donnera qu’à la condition que ces opérations soient de l’intérêt de la personne protégée. 

La promotion de l’autonomie de la personne vulnérable est encore plus nettement affichée dans le second avis rendu le même jour par la Cour, qui devait répondre à la question de savoir si une personne en curatelle avait la possibilité d’exercer une activité commerciale sous la forme spécifique de la micro-entreprise. La réponse n’allait pas de soi, faute de dispositions précises expresses dans le code de commerce comme dans le code civil sur la possibilité pour une personne protégée d’exercer le commerce. La Cour a dû en conséquence interpréter et combiner les textes existants traitant, même indirectement, de ce sujet. D’une part, l’article, 509, 3° du Code civil dispose que « le tuteur ne peut, même avec une autorisation, (…) exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ». Il en résulte, dans le même sens de la préservation de son autonomie personnelle, que la personne en tutelle ne peut jamais être représentée par son tuteur pour exercer le commerce. D’autre part, l’article 467 du même code prévoit que « la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ». Toutefois, ce texte renvoie aux articles 505 et 508 du Code civil, qui concernent « les actes que le tuteur accomplit avec une autorisation ». Il ne renvoie pas à l’article 509 du Code civil, relatif aux « actes que le tuteur ne peut accomplir ». En toute hypothèse considère la Cour, « dans le silence ou l’ambiguïté des textes, ceux-ci doivent être interprétés dans un sens favorable à la capacité de la personne protégée ». Il en résulte donc, affirme-t-elle, qu’aucune disposition n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce mais qu’elle doit, aux termes de l’article 467 précité, être assistée de son curateur pour les actes de disposition.

Selon les cas, il pourra être fait application de l’article 471 du Code civil qui, conformément au principe directeur de proportionnalité, prévoit qu’ « à tout moment, le juge peut, par dérogation à l’article 467, énumérer certains actes que la personne en curatelle a la capacité de faire seule ou, à l’inverse, ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels l’assistance du curateur est exigée ». Et si le curateur constate, ajoute la Cour, que la personne compromet gravement ses intérêts, il pourra saisir le juge des tutelles sur le fondement de l’article 469 du Code civil, pour être autorisé à titre dérogatoire à accomplir seul un acte déterminé ou provoquer l’ouverture d’une tutelle.

En conséquence, conclut la Cour, aucun texte n’interdit à une personne en curatelle d’exercer une activité commerciale sous la forme de la micro-entreprise, sous la seule réserve de devoir être assistée de son curateur pour accomplir les actes de disposition que requiert l’exercice de cette activité.

« L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer » (R.Char)

Civ. 1re, avis,  6 déc. 2018, n° 18-70.011

Civ. 1re, avis,  6 déc. 2018, n° 18-70.012

Références

■ Fiches d'orientation Dalloz:  Majeur protégé; Majeur protégé (Droits); Curatelle; Tutelle 

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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