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[ 10 juin 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Ce qui est avouable n’est pas toujours admissible

L’aveu extrajudiciaire, constitué par la reconnaissance, faite par le débiteur d’une soulte, de ce qu'il n'a pas payé les sommes dues, ne saurait annuler le caractère libératoire de la quittance, mentionnée dans l’acte notarié, du paiement de celles-ci hors la comptabilité du notaire.

Par acte notarié, un père avait consenti une donation-partage à ses trois enfants, à charge pour l’un d’eux de payer une soulte aux deux autres, qui avaient reconnu en avoir reçu le paiement hors la comptabilité du notaire, et en avaient consenti bonne et valable quittance au débiteur. Soutenant qu'en réalité, aucun paiement n'était intervenu, ils lui avaient délivré, sept ans plus tard, des sommations interpellatives auxquelles il avait répondu ne pas avoir versé les soultes, puis l'avaient assigné en paiement.

Pour accueillir leurs demandes, la cour d’appel retint que la reconnaissance ainsi faite par le débiteur de ce qu'il n'avait pas payé les sommes dues constituait un aveu extrajudiciaire qui annulait le caractère libératoire de la mention du quittancement apportée par le notaire hors sa comptabilité.

Cette décision est cassée par la première chambre civile de la Cour de cassation. Au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, elle juge dans un premier temps que si la quittance d'une somme payée en dehors de la comptabilité du notaire fait foi jusqu'à preuve contraire, celle-ci ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par ce texte, sauf à caractériser un des cas d'exception mentionnés aux anciens articles 1347 et 1348 et rappelle, dans un second temps, qu’aux termes de l’article 1355 du même code, toujours dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'allégation d'un aveu extrajudiciaire verbal est inutile toutes les fois qu'il s'agit d'une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible.

La force probante de l’acte authentique n’est pas attachée de la même manière à chacun de ces éléments : il convient de distinguer selon l’objet de la contestation. S’agissant du contenu de l’acte, ce dernier fait foi jusqu’à inscription de faux, procédure spécifique qui consiste en une accusation de faux portée à l’encontre de l’officier public, mais seulement pour les faits directement constatés et actés par lui ; les faits mentionnés dans l’acte mais dont l’officier public n’a pas vérifié la véracité font, quant à eux, foi jusqu’à la preuve du contraire, dans les conditions posées par l’ancien article 1341 : la personne qui conteste des faits de telle nature devra donc, comme pour contester le contenu d’un acte sous seing privé, produire un autre écrit pour établir la preuve de ce qu’elle allègue. Ainsi, en l’espèce, parce qu’elles étaient censées avoir été payées en dehors de la comptabilité du notaire, la quittance des soultes litigieuses, quoique mentionnée dans l’acte notarié, faisait foi jusqu'à la preuve du contraire, et celle-ci ne pouvait être administrée qu'en conformité avec les règles prévues par les articles 1359 et suivants du Code civil (art. 1341 s. anc). 

La première règle issue de l’article 1359 du Code civil réside dans l’exigence d’une preuve écrite pour établir l’existence mais également le contenu des actes portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret, ladite somme étant actuellement fixée à 1 500 euros ; par exception, il est possible de suppléer à l’exigence d’un écrit en cas d’impossibilité matérielle ou morale de s’en être procuré, s’il est d’usage de ne pas en établir, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure (C. civ., art. 1360 nouv., 1347 et 1348 anc.). 

La seconde règle issue de ce texte revient à exiger la production d’un écrit pour rapporter la preuve contre (inexactitude) et outre (incomplétude) un écrit constatant un acte juridique, même inférieur à 1500 euros (art. 1359 al. 2). Aucune preuve par témoins ou par présomptions pour prouver contre ou outre le contenu d’un écrit n’est donc en principe admise ; or en l’espèce, l'acte notarié comportait les mentions suivant lesquelles le débiteur avait réglé hors la comptabilité du notaire les soultes dues respectivement à ses frères et sœurs, lesquels lui en avaient donné quittance ; l’analyse de la cour d’appel, considérant que ces mentions avaient une valeur probante inexistante au motif qu'elles étaient contredites par les déclarations du débiteur dans des sommations interpellatives, selon lesquelles celui-ci aurait admis ne pas avoir payé les soultes, quand de telles sommations, n'ayant qu'une valeur testimoniale, ne pouvaient, sauf exceptions non caractérisées en l'espèce, prouver contre et outre les mentions précités de l'acte notarié, justifiait déjà, sur ce point, la censure de la Haute juridiction. Elle devait également être prononcée en vertu de la règle selon laquelle l'allégation d'un aveu extra-judiciaire purement verbal est inutile toutes les fois qu'il s'agit d'une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible (C. civ., art. 1355 anc.). 

Civ. 1re, 9 mai 2019, 18-10.885

Référence

■ Fiche d’orientation Dalloz : Aveu civil

 

Auteur :Merryl Hervieu


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