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[ 23 octobre 2019 ] Imprimer

Droit de la consommation

Chasse aux clauses abusives : quand l’union fait la force

L’irrecevabilité d’une action engagée par une association de défense des consommateurs en suppression de clauses abusives n’empêche pas d’accueillir celle visant à la réparation du préjudice causé par ces clauses à l’intérêt collectif  des consommateurs.

Dans les deux décisions rapportées, l'association de défense des consommateurs UFC- Que Choisir avait assigné deux fournisseurs d’énergie en suppression de diverses clauses qu’elle estimait illicites et/ou abusives, contenues dans leurs conditions générales de vente respectives telles qu’elles étaient stipulées à la date de son assignation. Cependant, en cours d'instance, les deux fournisseurs avaient émis de nouvelles conditions générales de vente, se substituant aux anciennes clauses litigieuses, celles-ci ayant été notifiées à l'ensemble des clients concernés.

Dans l’une comme l’autre des deux affaires, les juges du fond en avaient déduit que la demande de suppression portant sur ces clauses était, faute d’objet, irrecevable. L’association fit alors valoir devant la Cour de cassation la multiplicité des textes, promulgués également en cours de procédure, qui autoriseraient les associations agréées de défense des consommateurs à demander la suppression de clauses abusives et illicites contenues y compris dans les contrats qui ne sont plus proposés aux consommateurs, notamment dans l’hypothèse où les clauses dénoncées auraient été supprimées ou modifiées postérieurement à la délivrance de l’assignation. 

S’il est vrai que la loi Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation (L. n° 2014-344, art. 76), en cela poursuivie par la loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait permis aux associations de consommateurs de solliciter la suppression de clauses abusives et/ou illicites figurant dans des contrats qui ne sont plus proposés aux consommateurs (L. n° 2015-990, art. 40), l’ancien article L. 421-6 du Code de la consommation précisant en ce sens que l’action pouvait viser « les contrats en cours ou non », le nouvel article L. 621-8 du même code, issu de l’ordonnance du 14 mars 2016 portant recodification du code de la consommation (Ord. n° 2016-301), restreint la demande de suppression d'une clause illicite ou abusive au « contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d'exécution ».

L’association entendait néanmoins combattre une interprétation du texte qui aboutirait à exclure de la protection contre les clauses abusives les consommateurs dont le contrat n’est certes plus proposé, mais qui demeurent potentiellement liés par ses clauses, abusives et/ou illicites, en raison des effets encore en cours d’exécution, tant que la prescription quinquennale n’est pas acquise, de leurs contrats.

La Cour de cassation rejette cet argumentaire, jugeant irrecevables les demandes en suppression des clauses litigieuses : modifiées en cours d’instance, les substitutions opérées par les deux fournisseurs avaient abouti à les faire disparaître de tout contrat, proposé ou en cours. La demande de l’association s’étant ainsi trouvée privée d’objet, cette dernière était par conséquent dépourvue d’intérêt à agir. Il est vrai que dans les deux affaires, les dates à compter desquelles les substitutions contractuelles avaient été rendues effectives obligeaient à considérer qu’aucun consommateur ne pouvait plus être lié par les anciennes conditions générales de vente et qu’aucun autre ne pouvait plus, a fortiori, y souscrire. Aussi convient-il d’ajouter que même lorsque le délai de prescription n’est pas arrivé à expiration, le contrat peut être éteint, notamment parce qu’un nouveau contrat s’y est substitué, en sorte qu’il ne peut être considéré comme étant « en cours d’exécution ».

En revanche, dans chacun des deux litiges, la Haute cour condamne le rejet, en cause d’appel, de la demande d'indemnisation sollicitée au titre du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs par les anciennes conditions générales de vente au même motif, mais cette fois jugé erroné, que la notification des nouvelles clauses à l'ensemble des clients concernés, en cours de procédure, ne laissait subsister aucun contrat susceptible de contenir les clauses litigieuses, « alors que l'action en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs est distincte de celle en suppression des clauses illicites ou abusives ».

Rappelons qu’outre l’action la plus connue en cessation d’agissements illicites, qui a principalement pour objet d’éradiquer les clauses illicites et abusives stipulés dans les contrats proposés aux consommateurs, le code de la consommation offre également aux associations agréées la possibilité d’engager une autre action de « police contractuelle », dans l’intérêt collectif des consommateurs, celle d’ « exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs » (C. consom., art. L. 621-1). Cette action de groupe, également au cœur des deux arrêts commentés, a pour objet la réparation de tout préjudice porté à l’intérêt collectif des consommateurs, notamment par la stipulation, même passée, de clauses abusives qui constitue, en elle-même, une faute de nature à porter atteinte à cet intérêt collectif. Plus généralement, cette action vise tout d’abord à obtenir une décision de justice constatant l’existence d’une faute contractuelle, et un lien de causalité entre cette faute et le dommage subi par une collectivité de consommateurs, identifiés ou non. Ensuite, l’association ou le groupement à l’initiative de la procédure sont autorisés à demander au juge d’informer par tous moyens appropriés les consommateurs concernés, c’est-à-dire ceux pouvant justifier que le dommage qu’ils ont subi relève de celui établi par la décision de justice (C. consom., art. L. 621-9L. 621-2). Or une action en réparation étant, dans sa nature comme dans ses effets, distincte d’une action en cessation de l’illicite, l’action engagée à ce titre par l’association UFC Que choisir ne pouvait être jugée sans objet au motif que l’était celle en suppression des clauses litigieuses, dès lors que la stipulation et l’application dans le passé de ces clauses avaient bien été de nature à porter préjudice aux consommateurs, quand bien même, depuis lors, leurs contrats n’étaient plus en cours.

Civ. 1re, 26 sept. 2019, 18-10.890 et 18-10.891

 

Auteur :Merryl Hervieu


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