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[ 28 mars 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Confusion mentale de la victime : absence de faute inexcusable

Mots-clefs : Accidents de la circulation, Loi du 5 juillet 1985, Victime non-conductrice, Faute inexcusable, Caractère volontaire, Confusion mentale, Absence de discernement

La confusion mentale de la victime non-conductrice d’un accident de la circulation prive sa faute du caractère volontaire qui la rendrait inexcusable.

Assise à l'arrière d'un taxi en compagnie de sa sœur, placée à l’avant du véhicule, une jeune femme, sujette à des bouffées délirantes, avait, sous l’empire d’une crise de panique, ouvert la porte coulissante latérale droite arrière du véhicule qui circulait sur une autoroute à une vitesse d'environ 90 km/h, et avait basculé sur la chaussée, se blessant grièvement. L'assureur du chauffeur ayant refusé de prendre en charge le sinistre en invoquant la faute inexcusable de la victime, plusieurs membres de sa famille, victimes indirectes de l’accident, l’avaient assigné en indemnisation de leurs préjudices. Après que la cour d’appel eut accueilli leur demande, l’assureur forma un pourvoi en cassation pour contester le caractère excusable de la faute de la victime retenu par les juges du fond. Au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, celle-ci se définit comme la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (Cass. ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912); or, selon l’auteur du pourvoi, si la victime était dans un état de confusion mentale ou à tout le moins d'absence momentanée de discernement privant sa faute de caractère volontaire, cet état n’excluait cependant pas la conscience qu’elle aurait dû avoir du danger encouru. Il faisait surtout valoir, conformément à la jurisprudence de la Cour rendue en la matière (Civ. 2e, 7 juin 1989, n° 88-10.379 ; Civ. 2e, 12 mai 1999, n° 97-17.714), que l'état mental de la victime, qui n'invoquait aucun titre lui reconnaissant un taux d'invalidité au moins égal à 80 %, ne pouvait être pris en considération pour apprécier sa faute civile.

Son pourvoi est étonnamment rejeté, les juges d’appel ayant relevé que, d'une part, la victime avait manifesté, durant les deux jours précédant l’accident, de manière de plus en plus caractérisée des signes augurant d'une nouvelle crise, ce qui avait rendu nécessaire son examen par un médecin qui lui avait donné des tranquillisants, que d’autre part, la sœur de la victime, présente au moment de l’accident, avait ajouté que, durant la course, il lui était apparu que l'état de sa sœur se dégradait, celle-ci ayant les yeux révulsés, la tête enfoncée dans sa capuche, ne répondait à aucune question, et qu'après l'entrée sur l'autoroute, elle avait dit avoir besoin d'air, ouvert brusquement la porte du véhicule et basculé sur la chaussée. C'est par une appréciation souveraine qu’ils ont estimé que la victime était dans un état de confusion mentale ou, à tout le moins, d'absence momentanée de discernement au moment de l'accident, rendant la faute qu’elle avait commise excusable.

Si la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation transcende la distinction traditionnelle des responsabilités contractuelle et délictuelle et le principe de leur non-cumul, il résulte de l’article 1er de cette loi que ses dispositions relatives à l’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur s’appliquent y compris lorsque la victime est, comme en l’espèce, transportée en vertu d’un contrat. En application de l’article 3 de cette même loi, les victimes non-conductrices d’un véhicule terrestre à moteur bénéficient, compte tenu de leur absence de maîtrise du véhicule impliqué dans l’accident, d’un régime de faveur. En effet, elles sont indemnisées des dommages résultant de l’atteinte à leur personne sans que puisse leur être opposée leur propre faute à moins que celle-ci, d’une part, revête un caractère inexcusable et, d’autre part, qu’elle ait été la cause exclusive de l’accident.

Si cette seconde condition était, en l’espèce, remplie et ainsi, susceptible d’être opposée à la victime pour exclure son indemnisation, son comportement ayant seul concouru à la survenance de l’accident, la première ne semblait pas l’être. Rappelons que la faute inexcusable comprend plusieurs éléments rarement réunis, en fait. En effet, pour être jugé inexcusable, le comportement doit d’abord être volontaire ; le caractère volontaire s’appliquant à l’acte lui-même et non à ses conséquences, qui n’auront pas à être recherchées. L’imputabilité de la faute est donc requise. Son intensité aussi : elle doit revêtir une exceptionnelle gravité, c’est-à-dire se déduire du fait de s’exposer à un grave danger, qu’il était normalement possible de mesurer, et sans qu’une raison valable, comme la nécessité de courir un danger pour en éviter un autre, (un piéton poursuivi par des agresseurs traversant une autoroute si elle se présente comme la seule issue pour leur échapper), puisse être avancée pour la justifier. En l’espèce, c’est le caractère volontaire de l’acte qui n’a pu être démontré, en sorte que la faute, alors excusable, de la victime, justifiait la réparation de son préjudice. Pourtant, et bien que tous les commentateurs aient souligné que la faute inexcusable ne devrait pouvoir être commise par une personne dépourvue de discernement (B. Starck, H. Rolland et L. Boyer, Obligations 1, n° 637-3. – G. Légier : D. 1986, chron. 102, p. 24), par un arrêt du 7 juin 1989, la deuxième chambre civile avait admis qu'une victime, dont le handicap mental avait motivé son placement sous curatelle mais sans qu’ait été constaté un certain taux, élevé, d’invalidité, pouvait commettre une faute inexcusable (Civ. 2e, 7 juin 1989, n° 88-10.379 ; Civ. 2e, 12 mai 1999, n° 97-17.714). 

En l’espèce, elle s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond, lesquels n’avaient pas jugé nécessaire d’apprécier cet élément, pour admettre que le discernement de la victime avait, même temporairement, entièrement disparu ainsi que, de ce fait, le caractère volontaire de son acte. Dans ce cas, en effet, la condition d'imputabilité, qui doit être requise pour pouvoir apprécier aussi sévèrement le comportement de la victime au point de priver celle-ci de tout droit à indemnisation, fait défaut.

Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-11.986

Références

■ Cass. ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912 PD. 1995. 633, rapp. Y. Chartier ; RTD civ. 1996. 187, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 7 juin 1989, n° 88-10.379 P.

■ Civ. 2e, 12 mai 1999, n° 97-17.714.

 

Auteur :M. H.


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