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[ 23 octobre 2017 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Crèches de Noël : où en sommes-nous ???

Mots-clefs : Crèche de Noël, Usage culturel local, Tradition ancienne et continue, Bâtiments publics

Alors que la crèche installée dans les locaux du conseil départemental de la Vendée répond aux critères d’usage culturel local et de tradition festive, celle du hall d’entrée de l’hôtel de la région Auvergne-Rhône-Alpes ne résulte pas d’un usage local…

Après les décisions de l’assemblée du Conseil d’État du 9 novembre 2016 (n° 395122 et 395223), précisant les conditions d’installation d’une crèche de Noël dans un établissement public, on aurait pu imaginer que les problèmes avaient été définitivement résolus… Ils le sont peut-être mais tout est ici question de nuances….

Pour mémoire, selon l’assemblée du Conseil d’État : « Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations ». Elle est à la fois un symbole chrétien et un élément d'un décor civil et peut, à ce titre, présenter un « caractère culturel, artistique ou festif ». Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir ni interdiction générale, ni autorisation systématique. Le Conseil d’État a ainsi proposé une grille d’analyse en distinguant « l'enceinte des bâtiments publics » des « autres emplacements publics ». Dans la première hypothèse, les crèches sont interdites, sauf si elles s'inscrivent dans un projet culturel précis ou découlent de circonstances particulières, par exemple une tradition ancienne et continue. Dans la seconde hypothèse, l'installation d'une crèche comme partie d'un décor de Noël est possible, sauf si celle-ci constitue « un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse ».

En l’espèce les décisions concernant les crèches du département de Vendée et de la région Auvergne-Rhône-Alpes entrent dans la première hypothèse : projet culturel ou circonstances particulières comme par exemple, une tradition ancienne et continue.

La genèse de l’histoire de la crèche vendéenne date de la fin de l’année 2012 : une crèche est installée dans les locaux publics de l’hôtel du département de la Vendée. Le tribunal administratif de Nantes (14 nov. 2014, n° 1211647) avait conclu à l’illégalité de l’aménagement de cette crèche. La cour administrative d’appel de Nantes a, par la suite, annulé cette décision (13 oct. 2015, n° 14NT06400). Les juges nantais avaient en effet estimé que lorsque sa taille est raisonnable, sa situation non ostentatoire et en l’absence de tout autre élément religieux, la crèche de Noël s’inscrit dans le cadre d’une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël et ne revêt pas la nature d’un « signe ou emblème religieux », elle n’entrait donc pas dans le champ de l’interdiction posé par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. Le 9 novembre 2016 (n° 395223), le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel et renvoyé l’affaire devant cette cour. Il estimait que les juges du fonds auraient dû rechercher « si cette installation résultait d’un usage local ou s’il existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif ».

Les juges administratifs nantais viennent de répondre à cette question par l’affirmative : « la crèche en litige est, depuis l’achèvement de cet immeuble, et plus précisément depuis décembre 1990, installée chaque année, durant la période de Noël, dans le hall de l’hôtel du département de la Vendée, soit depuis plus de 20 ans à la date de la décision contestée ; … elle est mise en place au début du mois de décembre et est retirée aux environs du 10 janvier, dates qui sont exemptes de toute tradition ou référence religieuse, et … son installation est dépourvue de tout formalisme susceptible de manifester un quelconque prosélytisme religieux ; … cette crèche de 3 mètres sur 2 mètres est située dans un hall d’une superficie de 1000 m² ouvert à tous les publics et accueillant, notamment, les manifestations et célébrations laïques liées à la fête de Noël, en particulier l’Arbre de Noël des enfants des personnels départementaux et celui des enfants de la DDASS ; …, dans ces conditions particulières, son installation temporaire, qui résulte d’un usage culturel local et d’une tradition festive, n’est pas contraire aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques et ne méconnaît pas les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. » Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 14 novembre 2014 est donc annulé.

L’histoire de la crèche lyonnaise est plus récente. Cette crèche de 14 m2 a été placée dans le grand hall du siège du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes en décembre 2016, soit après que les décisions de l’assemblée du Conseil d’État aient été rendues. C’est donc en interprétant les principes énoncés par les juges du Palais Royal, que le président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes décida de « mettre en valeur le savoir-faire et le travail des artisans santonniers de la Drôme ». La Ligue des droits de l’homme avait alors saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande de suspension de l’exécution de la décision du président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Par une ordonnance du 17 décembre 2016, le juge des référés avait conclu au rejet de cette demande en considérant qu’il n’y avait pas urgence (notamment : pas de circonstances particulières induisant un risque de trouble à l’ordre public provoqué par l’installation de la crèche…). Le tribunal administratif de Lyon vient, par deux décisions, de statuer sur le fond de cette affaire. Il estime que la décision du président du conseil régional d’installer une crèche de la nativité dans les locaux de l’hôtel de la région du 14 décembre 2016 au 6 janvier 2017 doit être annulée. En effet : « Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’installation de cette crèche dans l’enceinte de ce bâtiment public, siège d’une collectivité publique, résulte d’un usage local. …, aucune crèche de Noël n’a jamais été installée dans les locaux du siège lyonnais de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette installation était accompagnée d’un autre élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif, alors même que la crèche a été réalisée par des artisans de la région et que l’installation permet l’exposition de leur savoir-faire. »

Cette décision semble quelque peu déconcertante… Effectivement, il ne peut y avoir de tradition, d’usage local puisque cette crèche n’avait jamais été installée auparavant. En revanche, le pays des santonniers est-il uniquement celui de la région PACA ou la Drôme provençale peut-elle également revendiquer cette culture et cet art ??? Parfois tout est question d’interprétation….

CAA Nantes, 6 oct. 2017, n° 16NT03735

TA Lyon, 5 oct. 2017, n° 1609063

TA Lyon, 5 oct. 2017, n° 1701752

Références

■ Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État. 

Article 28

« Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

■ CE, ass., 9 nov. 2016, Cne de Melun, n° 395122, Dalloz Actu Étudiant, 14 nov. 2016 ; Lebon ; AJDA 2016. 2135 ; D. 2016. 2341, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 2456, entretien D. Maus.

■ CE, ass., 9 nov. 2016, Féd. de la libre pensée de Vendée, n° 395223, Dalloz Actu Étudiant, 14 nov. 2016 ; Lebon ; AJDA 2016. 2135 ; ibid. 2375, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 2456, entretien D. Maus.

■ TA Nantes, 14 nov. 2014, n° 1211647.

■ CAA Nantes, 13 oct. 2015, n° 14NT06400 : Dalloz Actu Étudiant19 oct. 2015 ; AJDA 2015. 2390, note A. de Dieuleveult ; AJCT 2015. 651, obs. M. Yazi-Roman.

 

■ TA Lyon, réf., 17 déc. 2016, n° 1609064 : Dalloz Actu Étudiant2 janv. 2017.

 

 

Auteur :C. G.


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