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[ 26 avril 2016 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Demande d'effacement de données du TAJ : l’autorité judiciaire, le droit au respect de la vie privée et contrôle du juge administratif

Mots-clefs : Données, TAJ, Avis du Conseil d’État, Conservation des données, Effacement des données

Le Conseil d’État précise les compétences de l’autorité judiciaire saisie d’une demande d’effacement de données figurant dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires.

Pour mémoire, le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) est un fichier d’antécédents commun aux forces de l’ordre, fusion de feus les fichiers STIC (pour la police) et JUDEX (pour la gendarmerie). Le fichier TAJ résulte de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution (Cons. const. 10 mars 2011, n° 2011-625 DC). Il est utilisé dans le cadre d’enquêtes judiciaires (recherche des auteurs d’infractions) et d’enquêtes administratives (comme les enquêtes préalables à certains emplois publics ou sensibles). Un décret en Conseil d’État du 4 mai 2012, pris après avis de la CNIL, avait précisé notamment la liste des contraventions concernées, la durée de conservation des informations enregistrées, les modalités d’habilitation des personnes maniant le fichier ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d’accès. Ce texte a fait l’objet d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir que le Conseil d’État avait rejeté affirmant ainsi la légalité de ce nouveau fichier de police (CE 11 avr. 2014, Ligue des droits de l'homme, n° 360759).

Parmi les contestations soulevées à l’époque, celle du droit d’opposition et de rectification ou d'effacement des données. Selon le Conseil d’État, les décisions prises par les magistrats, dont la loi prévoit l’intervention en matière d’effacement ou de rectification des données, constituent des actes de gestion administrative du fichier lesquels peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Tel était le contexte de l’avis rendu par la Haute assemblée administrative le 30 mars dernier. 

Par un jugement du 30 novembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande d’un individu tendant à l'annulation de la décision par laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny a refusé l'effacement de la mention le concernant dans le système de traitement des infractions constatées, a décidé de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'État, en soumettant à son examen trois questions. 

La première interrogation concernait les demandes d'effacement de données relatives à une condamnation pénale et portait sur le point de savoir si dans une telle hypothèse, l’autorité judiciaire est en situation de compétence liée pour refuser cette demande ou peut, au contraire, apprécier le bien-fondé du maintien dans le temps de ces données dans le fichier, notamment au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. 

Selon le Conseil d’État, le législateur n’a prévu des règles relatives au maintien ou à l'effacement des données du traitement des antécédents judiciaires que dans les cas où les poursuites pénales sont, pour quelque motif que ce soit, demeurées sans suite (relaxe, acquittement, non-lieu ou de classement sans suite). Il en déduit donc, qu’il n’existe aucune possibilité d'effacement avant l’expiration de la durée de conservation fixée par voie réglementaire. Le procureur de la République ne peut alors que refuser une demande d'effacement avant ce terme. Pour rappel, les durées de conservation concernant les personnes mises en cause ont été fixées à 20 ans pour les majeurs (sauf hypothèses dérogatoires de 5 ans et 40 ans) et 5 ans pour les mineurs (sauf exceptions) et 15 ans pour les victimes (C. pr. pén., art. R. 40-27). Ces dernières peuvent néanmoins, s’opposer à ce que leurs données soient conservées dès lors que l’auteur a été définitivement condamné (C. pr. pén., art. 230-7 al. 3).

Les deuxième et troisième questions intéressaient les demandes d'effacement de données en l'absence de condamnation pénale. De manière similaire, le tribunal administratif s’interrogeait sur la nécessité de prendre en compte les intérêts respectifs en présence, dont toujours les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en cas de décision de maintien dans le fichier. Dans l’affirmative, quel doit être le degré de contrôle du juge administratif dans la mise en œuvre de ces critères ?

La Haute Assemblée rappelle tout d’abord les règles applicables en la matière lesquelles varient selon les causes de l’absence de condamnation (C. pr. pén., art. 230-8, al. 1er ):

- si la procédure aboutit à une décision de relaxe ou d'acquittement définitive, le principe est l'effacement des données et l'exception, le maintien pour des raisons tenant à la finalité du fichier. 

- si la procédure fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ou d'un classement sans suite pour insuffisance de charges par le procureur de la République, les données sont conservées dans le fichier (assorties d'une mention qui fait obstacle à la consultation dans le cadre des enquêtes administratives). Le procureur de la République a toutefois la possibilité d'ordonner leur effacement.

- si la procédure fait l'objet d'un classement sans suite pour un autre motif que l'insuffisance de charges, les données sont assorties d'une mention. Une demande d'effacement peut également être accueillie selon le Conseil d’État, bien que le Code de procédure pénale ne le prévoit pas expressément. 

Le Conseil d’État explicite ensuite, les critères devant être pris en compte par l’autorité judiciaire pour décider de l'effacement des données dans toutes ces hypothèses. Il précise ainsi que les magistrats prennent en considération la nature et la gravité des faits constatés, les motifs de la relaxe, de l'acquittement, du non-lieu ou du classement sans suite, le temps écoulé depuis les faits et la durée légale de conservation restant à courir, au regard de la situation personnelle de l'intéressé, protégée par les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils peuvent prendre ainsi en considération l'âge auquel l'intéressé a commis les faits, son comportement depuis et son attitude vis-à-vis des éventuelles victimes ou son insertion sociale. 

Il souligne également que « l'application des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme impose également au juge de l'excès de pouvoir d'exercer un entier contrôle sur la décision prise par les autorités désignées par la loi sur les demandes d'effacement des données ». Cette dernière affirmation n’est pas sans rappeler l’arrêt Brunet c/ France (CEDH 18 sept. 2014, n° 21010/10) par lequel la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France pour violation du droit au respect de la vie privée concernant l’ancien fichier policier « STIC ».

Par les précisions apportées, le Conseil d’État tente de répondre aux exigences formulées par la juridiction européenne, particulièrement que les recours en matière d’effacement présente le caractère d’effectivité suffisant.

CE, avis, 30 mars 2016, n° 395119

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Cons. const. 10 mars 2011Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, n° 2011-625 DC, AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097, note D. Ginocchi ; D. 2011. 1162, chron. P. Bonfils ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJCT 2011. 182, étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 789, étude M.-A. Granger ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy.

■ CE 11 avr. 2014Ligue des droits de l'homme, n° 360759, Dalloz Actu étudiant, 9 mai 2014 ;  Le numérique et les droits fondamentaux, étude annuelle 2014 du Conseil d’État ; Lebon ; AJDA 2014. 823 ; AJ pénal 2014. 431, obs. E. Péchillon.

■ CEDH 18 sept. 2014Brunet c/ France, n° 21010/10, AJDA 2014. 1796 ; D. 2014. 1880 ; AJ pénal 2014. 539, obs. G. Roussel ; RSC 2015. 165, obs. D. Roets.

 

Auteur :C. L.


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