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[ 19 mai 2016 ] Imprimer

Droit pénal général

Droit au logement versus violation de domicile

Mots-clefs : Droit au logement, Inviolabilité du domicile, Éléments constitutifs de l’infraction

Si de grands textes internationaux reconnaissent le caractère fondamental du droit au logement, compris comme le droit à un domicile, disposer d'un logement ne reste qu'un objectif justifiant que des dispositions législatives restreignent, notamment, le droit de propriété, sous réserve que ce dernier ne soit pas atteint dans sa substance même.

La reconnaissance d’un droit au logement opposable par le législateur français depuis 2007, ne saurait ainsi faire échec aux dispositions pénales protectrices du domicile et justifier les actions d’installation de familles dans des habitations non occupées à titre permanent menées par les associations. Le droit pénal protège en effet contre les violations éventuelles du domicile. Les articles 226-4226-5 et 226-7 du Code pénal définissent et répriment la violation de domicile commise par une personne privée. Le droit pénal s’inscrit dans le prolongement de la reconnaissance de l’inviolabilité du domicile reconnu tant au plan international que constitutionnel. Ce principe est affirmé solennellement la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 (art. 12 : « Toute personne a droit à la protection de la loi contre les immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ») ou encore par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles (art. 8 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »). Sur le plan interne, le respect du domicile n'est pas formellement exprimé dans la Constitution de 1958 contrairement aux constitutions antérieures. La formulation la plus célèbre du principe d'inviolabilité se trouve dans la Constitution du 22 frimaire an VIII : « la maison de toute personne habitant sur le territoire français est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y pénétrer que dans des cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation faite de l'intérieur de la maison. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou par une loi ou par un ordre émané de l'autorité publique » (art. 76). Néanmoins, le Conseil constitutionnel a reconnu expressément la valeur constitutionnelle de ce principe dans sa décision du 29 décembre 1983 (n° 83-164 DC).

Constitue une violation de domicile l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet (C. pén., art. 226-4, al. 1er). Le Code pénal de 1994 avait étendu la répression à l'hypothèse du maintien dans le domicile d'autrui. Désormais, la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015, laquelle a modifié la rédaction de l'article 226-4 du Code pénal, distingue l'introduction dans le domicile (qui devra être le fait de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte) et le maintien dans le domicile d'autrui qui est dissocié des manœuvres, voies de fait, menaces et contrainte (al. 2).

En l’espèce, le 2 juillet 2013, la propriétaire d'un bien immobilier à Bordeaux, a appris que celui-ci était occupé par deux familles, l’une arménienne, l’autre bulgare. Des premières constatations ont permis d'établir la disparition de biens mobiliers et l'installation de nouvelles serrures. Après l'expulsion de ces occupants, le 15 juillet 2013, des poursuites pénales ont été engagées du chef de violation de domicile contre certains membres de l’association « Droit au logement » sur le fondement du 1er alinéa de l’article 226-4 du Code pénal. Ces derniers ont été déclarés coupables de l’infraction. Selon les juges du fond, « ils ont participé à l’installation des familles étrangères dans la maison, en établissant notamment un inventaire des biens présents, et ont apporté leur soutien actif à cette action en la revendiquant tant dans un communiqué qu’auprès de certains représentants municipaux ». 

La déclaration de culpabilité est censurée par la chambre criminelle pour défaut de motivation. La haute juridiction reproche à la cour d’appel de s’être prononcée « sans caractériser à l’encontre de chacun des trois prévenus l’existence d’une introduction illicite, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte dans ladite propriété, et sans s’expliquer sur leur degré respectif d’implication en qualité d’auteur ou, le cas échéant, de complice de l’action ainsi entreprise ».

La décision de condamnation doit caractériser les éléments constitutifs de l’infraction et mentionner le mode de participation à l’infraction sous peine d'être cassée pour insuffisance de motif. Rappelons qu’en droit pénal, le principe de la responsabilité personnelle signifie qu’une personne ne peut voir sa responsabilité engagée que si elle a participé personnellement à l’infraction, soit comme auteur, soit comme complice. L’auteur de l’infraction, si l’on se rapporte à l’article 121-4 du Code pénal, est alors celui « qui comment les faits incriminés », donc la personne « sur la tête de laquelle sont réunis les différents éléments constitutifs de l’infraction ou de sa tentative ». En matière de violation de domicile, au titre de l’élément matériel, l’infraction suppose un acte d'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de l'un des moyens illégitimes visés par le texte ou un acte de maintien. Lorsque l'acte incriminé consiste à s'introduire dans le domicile d'autrui, encore faut-il que les juges caractérisent les « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Or, en l’espèce, les juges ne relèvent à l’encontre des militants de l’association qu’un soutien actif, et revendiqué, à l’introduction et au maintien dans les lieux. Soutenir une action n’est pas la commettre. Les juges ne relevant pas que les prévenus ont eux-mêmes commis les faits incriminés, ils ne pouvaient leur imputer l’infraction. De même, la cour d’appel, pour caractériser le délit de violation de domicile, n’établit pas qu'antérieurement à la pénétration dans le domicile, les prévenus ont commis une effraction ou une escalade ou affronté une résistance ou une opposition quelconque.

Sans doute, des actes consistant à la préparation de l'installation, à l'installation elle-même puis au maintien dans les lieux pourraient-ils permettre de qualifier les prévenus de complices au sens des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal. Encore faut-il que les éléments de la complicité soient constatés par le juge. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

Crim. 13 avril 2016, n° 15-82.400

Référence

■ Cons. const. 29 déc. 1983Loi de finances pour 1984, n° 83-164 DC.

 

Auteur :C. L.


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