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[ 19 décembre 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Exception de jeu : une recevabilité encadrée

Mots-clefs : Contrat en matière de jeu, Prêt pour jouer, Dette de jeu, Exception de jeu, Conditions de recevabilité

Le participant à un jeu, dont l’activité est autorisée par la loi, ne peut se prévaloir de l'article 1965 du Code civil sauf lorsqu'il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis pour alimenter le jeu.

Une banque avait assigné un couple titulaire d’un compte chèque présentant, au 30 septembre 2005, un solde débiteur de 175 948, 92 euros pour atteindre, au 22 décembre 2005, la somme de 1 390 599, 11 euros. Le 30 mars 2006, la banque leur avait alors réclamé le paiement du solde débiteur de ce compte, ce à quoi le couple avait opposé l’exception de jeu et formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

Pour écarter l’application au cas d’espèce de l’article 1965 du Code civil qui fonde l’exception de jeu, la cour d’appel se fonda sur la circonstance que la banque, qui n’avait fait qu’avancer des fonds en vue de financer la participation des intéressés à des jeux de hasard organisés par la Française des jeux, était un tiers audit jeu et que la dette contractée ne pouvait donc être une dette de jeu. Elle retint également le fait que les emprunteurs n’avaient pas démontré que l’ouverture de crédit avait été consentie par la banque pour les besoins du jeu.

Ces derniers formèrent un pourvoi en cassation. Selon eux, le prêt d’argent destiné à permettre le jeu fait, dans tous les cas, naître une dette de jeu, pour laquelle la loi ne donne aucune action. En conséquence, la circonstance que le prêteur ne soit pas lui-même l’organisateur du jeu est à cet égard indifférente.

En outre, ils rappelèrent, avoir versé aux débats copie des 397 chèques émis par la Française des jeux, et encaissés sur le compte litigieux, dont la quasi-totalité se révélait antérieure à l’ouverture de crédit, pour soutenir que la preuve de la cause du prêt – les besoins du jeu – avait bien été rapportée.

Pour rejeter le pourvoi, la Cour énonce : «  qu’après avoir retenu que la participation aux jeux organisés par la société La Française des jeux est licite, que la banque n’avait pas à s’immiscer dans la gestion du compte de ses clients, qu’elle était un tiers aux jeux auxquels les demandeurs avaient participé, et relevé que ceux-ci ne rapportaient pas la preuve que l’ouverture de crédit lui avait été consentie pour les besoins du jeu, la cour d’appel en a exactement déduit (…) que le découvert en compte ne constituait pas une dette de jeu, en sorte que l’exception soulevée ne pouvait être accueillie ».

Par principe, la loi n'accorde aucune action en paiement ou en recouvrement pour une dette de jeu ou un pari (C. civ., art. 1965). Dans le cas où une action en paiement serait engagée, le perdant aurait donc, dans tous les cas, la possibilité d’opposer l'exception de jeu, lui permettant d’échapper au paiement de sa dette de jeu.

Cela étant, la jurisprudence déduit de l’autorisation légale d’un certain nombre de jeux de hasard, comme ceux de l’espèce, organisés par la Française des jeux, que les établissements créanciers peuvent, par exception à la règle précitée, agir en paiement des dettes que des joueurs ont contractées envers eux sans pouvoir se voir opposer l'article 1965 du Code civil (v. Ch. mixte 14 mars 1980).

Cependant, l'exception de jeu prévue par ce texte retrouve à s’appliquer lorsqu'il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis par l’établissement créancier « pour alimenter le jeu » (Civ. 1re, 31 janv. 1984 le client d’un casino, dont l’activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, ne peut se prévaloir de l’article 1965, sauf s’il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis par le casino pour alimenter le jeu, auquel cas, l’exception de jeu doit être accueillie ; Civ. 1re, 4 nov. 2011 : application de l’exception de jeu pour la signature, chaque mois pendant une période de deux ans, d’un acte dans lequel le débiteur reconnaissait avoir reçu une somme en espèces pour ses besoins personnels et s’engageait à la rembourser au plus vite, les juges du fond ayant admis la preuve que le prêt avait été consenti pour jouer compte tenu des circonstances, dont l’énormité de la somme globale prêtée, constituée exclusivement par la remise de sommes en espèces).

Ce type de prêt, qui sert exclusivement à alimenter le jeu, fait ainsi naître une dette, appelée dette de jeu, autorisant le joueur emprunteur à soulever l’exception légale. Le prêt doit avoir comme cause exclusive le jeu, raison pour laquelle il doit avoir été consenti avant sa réalisation. Aussi le prêteur doit-il avoir connaissance de la destination des fonds qu'il prête et être intéressé au jeu pour que la dette en résultant puisse rendre recevable l’exception de jeu. En somme, la recevabilité de l’exception dépend d’une analyse des circonstances entourant la conclusion du contrat de prêt.

En l’espèce, les juges se sont fondés sur le fait que la banque était un tiers aux jeux des participants et que la preuve que l’avance des fonds trouvait sa cause dans les besoins du jeu n’avait pu être établie pour décider que le découvert litigieux ne constituait pas une dette de jeu, de telle sorte que l’exception soulevée par les joueurs ne pouvait être accueillie.

Civ. 1re, 26 nov. 2014, n°13-16.378

Références

■ Fr. Guerchoun, V° « Jeu – Pari », Rép. civ. Dalloz, 2014.

■ Article 1965 du Code civil

« La loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari. »

 Ch. mixte 14 mars 1980, n° 79-90.154 ; Gaz. Pal. 1980, 1, 290, concl. Robin ; RTD civ. 1980. 764, obs. F. Chabas ; RTD com. 1980. 577, obs. Cabrillac et Rives-Lange.

 Civ. 1re, 31 janv. 1984, n° 82-15.904 ; D. 1985. 40, note Diener.

■ Civ. 1re4 nov. 2011, n°10-24.007.

 

Auteur :M. H.


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