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[ 27 février 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Garde à vue : déclarations en l’absence de l’avocat

Mots-clefs : Garde à vue, Nullités, Assistance d’un avocat

Un prévenu ne saurait se faire un grief de ce que les procès-verbaux de ses auditions n’aient pas été annulés, faute pour celui-ci d’avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de sa garde à vue, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que, pour le déclarer coupable des faits visés à la prévention, la cour d’appel ne s’est pas fondée sur ses déclarations recueillies en garde à vue.

Deux individus, A et C, poursuivis et condamnés pour violences en réunion, sollicitaient l’annulation de l’intégralité de la procédure, faute d’avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de leur garde à vue. Infirmant le premier jugement, les juges d’appel ont fait droit à cette demande en ce qui concerne les seuls procès-verbaux retranscrivant les déclarations de C. Cependant, en application d’une jurisprudence classique selon laquelle « seuls doivent être annulés les actes affectés par la nullité et ceux dont ils sont le support nécessaire » (Crim. 12 avr. 2005), ils précisent que la nullité de l’ensemble de la procédure n’est pas encourue, dès lors que les poursuites sont justifiées par des éléments suffisants, précis et antérieurs à la garde à vue (en l’espèce l'audition de la victime le jour des faits et celle du témoin trois jours avant les auditions des mis en cause). Les actes antérieurs à la garde à vue ne sont pas affectés par la nullité et peuvent valablement servir de fondement aux poursuites (Crim. 4 janv. 2005 ; solution identique s’agissant des actes ultérieurement accomplis dont cette mesure n’est pas le support nécessaire : Crim.10 déc. 2003).

L’exception de nullité soulevée par le second protagoniste n’est en revanche pas accueillie au motif que l’avocat choisi par ce dernier avait été avisé dès la notification des droits et qu’il ne s’était jamais présenté. Le pourvoi formé contre cette décision est rejeté.

La chambre criminelle confirme la solution adoptée par la cour d’appel refusant d’annuler les procès-verbaux d’audition au motif l’avocat choisi par ce dernier a été avisé dès la notification des droits et qu’il ne s’est jamais présenté, dès lors que, pour le déclarer coupable des faits visés à la prévention, celle-ci ne s’est pas fondée sur ses déclarations recueillies en garde à vue.

La Cour de cassation ne se prononce pas répond sur la validité des déclarations recueillies en garde à vue en l’absence de l’avocat avisé et qui ne se présente pas et sur la possibilité de fonder une déclaration de culpabilité sur celles-ci. Pour la Cour suprême, peu importe que les procès-verbaux d’audition n’aient pas été annulés, puisqu’ils ne constituent pas la base de la condamnation.

Rappelons que sous l’empire de l’ancien art. 63-4 du Code de procédure pénale, la jurisprudence décidait que cette disposition imposait seulement à l'officier de police judiciaire de prendre contact avec l'avocat désigné ou d'informer par tous moyens et sans délai le bâtonnier de la demande de commission d'un avocat d'office. Aucune nullité ne pouvait résulter du refus de l’avocat de se déplacer pour assister son client. Si la nouvelle législation en matière de garde à vue, issue de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 prévoit le renforcement du droit à l’assistance d’un avocat, notamment en permettant à ce dernier d’assister aux auditions et confrontations (art. 63-3-1 s.), aucune disposition ne remet en cause la jurisprudence antérieure. Au mieux, la nouvelle législation prévoit que lorsque la personne gardée à vue demande que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité, ne peut débuter sans la présence de l'avocat choisi ou commis d'office avant l'expiration d'un délai de deux heures (art. 63-4-2 C. pr. pén.). Il faut donc toujours admettre que les déclarations recueillies en garde à vue en l’absence de l’avocat avisé et qui ne se présente pas sont régulières. Reste à déterminer si celles-ci pourraient servir de base à une condamnation. Sans doute faut-il ici se reporter au principe énoncé au dernier alinéa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, introduit par cette même réforme qui prévoit qu’ « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui ». Les déclarations incriminantes du gardé à vue pourraient donc être utilisées à la condition d’être corroborées par d’autres éléments.

En conclusion, on soulignera que la décision de la chambre criminelle du 7 février 2012 s’inscrit harmonieusement avec la jurisprudence européenne. La Cour EDH considère en effet, qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation » (CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie). Dans une décision en date du 17 janv. 2012 (CEDH, 2e sect., 17 janv. 2012, Fidanci c. Turquie), les juges européens affirment de surcroit que toute prise en compte par la juridiction de jugement de déclarations auto-incriminantes tenues sans que l’intéressé ait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, même comme simples preuves corroborantes, méconnaît le droit à un procès équitable. Te n’est pas le cas dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, les juges du fond ne s’étant pas fondés sur les procès-verbaux d’audition, susceptibles d’être irréguliers.

 

Crim. 7 fév. 2012, n° 11-83.676 F-P+B+I 

Références

 Crim. 12 avr. 2005Bull. crim. n° 125 ; JCP 2005. IV. 2280.

■ Crim. 4 janv. 2005Bull. crim. n° 3, D. 2005. 761.

 Crim. 10 déc. 2003Bull. crim. n° 243 ; AJ pénal 2004. 120, obs. C. Girault.

 CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie.

 CEDH, 2e sect., 17 janv. 2012, Fidanci c. Turquie, n° 17730/07, Dalloz actualité 2 févr. 2012.

■ Code de procédure pénale

Article préliminaire

« I. - La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.

Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

II. - L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.

III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.

Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.

Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

Article 63-3-1

« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier. 

Le bâtonnier ou l'avocat de permanence commis d'office par le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L'avocat peut également être désigné par la ou les personnes prévenues en application du premier alinéa de l'article 63-2. Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne. 

L'avocat désigné est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête. 

S'il constate un conflit d'intérêts, l'avocat fait demander la désignation d'un autre avocat. En cas de divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République sur l'existence d'un conflit d'intérêts, l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République saisit le bâtonnier qui peut désigner un autre défenseur. 

Le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire, peut également saisir le bâtonnier afin qu'il soit désigné plusieurs avocats lorsqu'il est nécessaire de procéder à l'audition simultanée de plusieurs personnes placées en garde à vue. »

Article 63-4

« L'avocat désigné dans les conditions prévues à l'article 63-3-1 peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. 

La durée de l'entretien ne peut excéder trente minutes.

Lorsque la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne peut, à sa demande, s'entretenir à nouveau avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et pour la durée prévues aux deux premiers alinéas. »

Article 63-4-1

« À sa demande, l'avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l'article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l'article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes. »

Article 63-4-2

« La personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations. Dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité, ne peut débuter sans la présence de l'avocat choisi ou commis d'office avant l'expiration d'un délai de deux heures suivant l'avis adressé dans les conditions prévues à l'article 63-3-1 de la demande formulée par la personne gardée à vue d'être assistée par un avocat. Au cours des auditions ou confrontations, l'avocat peut prendre des notes.

Si l'avocat se présente après l'expiration du délai prévu au premier alinéa alors qu'une audition ou une confrontation est en cours, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s'entretenir avec son avocat dans les conditions prévues à l'article 63-4 et que celui-ci prenne connaissance des documents prévus à l'article 63-4-1. Si la personne gardée à vue ne demande pas à s'entretenir avec son avocat, celui-ci peut assister à l'audition en cours dès son arrivée dans les locaux du service de police judiciaire ou à la confrontation.

Lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne, le procureur de la République peut autoriser, par décision écrite et motivée, sur demande de l'officier de police judiciaire, que l'audition débute sans attendre l'expiration du délai prévu au premier alinéa.

À titre exceptionnel, sur demande de l'officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention, selon les distinctions prévues par l'alinéa suivant, peut autoriser, par décision écrite et motivée, le report de présence de l'avocat lors des auditions ou confrontations, si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête, soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes.

Le procureur de la République ne peut différer la présence de l'avocat que pendant une durée maximale de douze heures. Lorsque la personne est gardée à vue pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, autoriser à différer la présence de l'avocat, au-delà de la douzième heure, jusqu'à la vingt-quatrième heure. Les autorisations du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention sont écrites et motivées par référence aux conditions prévues à l'alinéa précédent au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des faits de l'espèce. 

Lorsque, conformément aux dispositions des deux alinéas qui précèdent, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention a autorisé à différer la présence de l'avocat lors des auditions ou confrontations, il peut également, dans les conditions et selon les modalités prévues par ces mêmes alinéas, décider que l'avocat ne peut, pour une durée identique, consulter les procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue. »

 

 

Auteur :C. L.


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