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[ 16 octobre 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

La décision passée en force de chose jugée, point de départ de la prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle

Alors que le dommage subi par l’acquéreur ne s’est manifesté qu’à compter de la décision passée en force de chose jugée déclarant que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l’indivision, la Cour de cassation retient que le délai de prescription de l’action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date.

Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 18-26.390

Le dies a quo, locution latine incontournable dans la computation d’un délai, désigne le jour de son commencement.

L’arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi rappelé le premier rôle tenu par cette notion juridique séculaire, celui de déterminer le moment à compter duquel court le délai de prescription d’une action en responsabilité civile engagée par un acquéreur à l’encontre de son notaire.

Un particulier avait fait l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation. Si l’acte authentique de vente mentionnait l’existence non négligeable, sur l’une des parcelles, d’un passage commun au profit d’autres propriétaires, le notaire avait écrit à l’acquéreur, au cours des pourparlers antérieurs à la vente, que cette parcelle lui appartiendrait en totalité une fois la vente conclue.

C’est ainsi que naquit un litige entre le propriétaire et ses voisins qui l’assignèrent aux fins de voir juger que la parcelle était soumise au régime de l’indivision (V. C. civ., art. 815 s.), ce qu’ils obtinrent par un arrêt d’appel confirmatif, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi formé en cassation contre lui.

Estimant avoir subi un préjudice, l’acquéreur non découragé assigna le notaire en responsabilité et indemnisation.

Un écueil se présenta à lui, celui de la prescription de l’action en responsabilité. 

Rappelons que ce principe général du droit est défini comme « la consolidation d’une situation juridique par l’écoulement d’un délai » (V. S. Porchy-Simon, Droit des obligations, 13e éd., Dalloz, coll. Hypercours, 2020, p. 628). En d’autres termes, évoquer la prescription, c’est déterminer la durée au-delà de laquelle une action en justice n’est plus recevable.

Restait encore à fixer le point de départ de la prescription, point d’achoppement qui cristallisa le débat judiciaire entre l’acquéreur et le notaire.

En cause d’appel, les juges du fond, retenant que la prescription commençait à courir à compter de la date d’assignation de l’acheteur par ses voisins, déclarèrent par un arrêt infirmatif l’action irrecevable comme prescrite (l’assignation est « l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaitre devant le juge » - V. C. pr. civ., art. 55).

En désaccord avec ce raisonnement, l’acquéreur se pourvut en cassation, en arguant que le dommage n’avait été réalisé que par la décision de justice reconnaissant aux voisins leur droit de bénéficier de l’indivision de la parcelle et qu’ainsi le délai de prescription de l’action n’avait commencé à courir qu’à compter de ce jour, non pas à celui de l’assignation qui n’avait créé, pour le demandeur au pourvoi, qu’une éventualité du dommage.

La Cour de cassation devait ainsi déterminer, de la date de l’assignation de l’acquéreur ou de celle de la décision définitive reconnaissant les droits de ses voisins, quel était le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle.

Dans un arrêt rendu au visa de l’article 2224 du code civil et largement publié, il est tout d’abord rappelé que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Puis, dans un bref résumé didactique, sont ensuite évoqués les termes de l’arrêt rendu par les juges du fond, lesquels ont déclaré l’action irrecevable comme prescrite. 

« En statuant ainsi », retient la première chambre civile, « alors que le dommage subi par l’acquéreur ne s’est manifesté qu’à compter de la décision passée en force de chose jugée déclarant que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l’indivision, de sorte que le délai de prescription de l’action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date, la cour d’appel a violé le texte susvisé »

Autrement dit, la Haute juridiction a retenu la violation de la loi (grief de droit précis, comptant parmi les neuf cas d’ouverture à cassation), invoquée par le demandeur au pourvoi.

L’arrêt commenté « casse et annule » en intégralité l’arrêt de la cour d’appel ; par cette formule franche, la première chambre civile inscrit pleinement cet arrêt dans la jurisprudence comprise et acquise de la Cour de cassation relative à la fixation du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle, dont il s’évince régulièrement qu’elle «  court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance » (Civ. 3e, 6 oct. 2016, no 15-14.417 ; Civ. 1re, 11 mars 2010, no 09-12.710).

Plus récemment, dans une affaire où était engagée la responsabilité d’un notaire pour annulation d’une garantie hypothécaire, à l’instar de la solution retenue dans l’arrêt du 9 septembre 2020, le jour de l’assignation a été pareillement rejeté par la première chambre civile, qui a retenu cette fois-ci celui du jugement d’annulation pour marquer le commencement du délai de prescription (Civ. 1re, 4 juill. 2019, no 18-16.138).

Au cas d’espèce de notre arrêt, ce raisonnement est tout à fait logique puisque ce n’est qu’au jour où le caractère indivis de la parcelle litigieuse fut reconnu judiciairement et ce, de manière définitive en raison de l’épuisement des voies de recours, que le dommage s’est manifesté à l’endroit de l’acquéreur. 

Avant cela, il n’était que latent ou éventuel.

Or, pour engager l’action en responsabilité extracontractuelle de l’auteur du dommage sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil et espérer ainsi obtenir indemnisation, le préjudice subi doit remplir trois conditions cumulatives : être personnel, direct et certain

La Cour de cassation a constamment rappelé cette condition prérequise de certitude du préjudice avant toute action en responsabilité extracontractuelle, allant jusqu’à préciser que le préjudice futur doit être réparé dès lors qu’il est certain (Civ. 3e, 2 juin 2016, no 15-16.967).

Cette certitude du préjudice ne se manifeste donc, en l’espèce, qu’à compter de la décision passée en force de chose jugée, empêchant de statuer à nouveau sur les faits.

Au-delà de la simple question de computation du délai de prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle, cet arrêt met ainsi en exergue cette notion essentielle de force de chose jugée, qui renvoie à la capacité d’une décision de justice d’être exécutée en raison soit de l’écoulement de tous délais de recours soit de l’épuisement de toutes voies de recours d’une décision de justice, comme ce fut le cas dans notre affaire à la suite du rejet du pourvoi.

Références

■ Civ. 1re, 4 juill. 2019, no 18-16.138

■ Civ. 3e, 6 oct. 2016, no 15-14.417 

■ Civ. 3e, 2 juin 2016, no 15-16.967 P : D. 2016. 1254 ; AJDI 2016. 843, obs. Y. Rouquet

■ Civ. 1re, 11 mars 2010, no 09-12.710 P : D. 2010. 827, obs. I. Gallmeister

 

Auteur :Anne Renaux


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