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[ 29 octobre 2019 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’apparence physique au travail : mieux vaut ne pas être obèse, mal habillé, mal coiffé, barbu, tatoué et percé….

Le Défenseur des droits vient de rendre une décision-cadre pour mieux combattre les discriminations en raison de l’apparence physique au travail adressée aux ministres concernés, aux acteurs institutionnels, aux acteurs de l’emploi et aux syndicats. Elle est accompagnée de 5 annexes sur l’obésité, les tenues vestimentaires, les coiffures, les barbes, les tatouages et piercings.

L’objectif de la décision-cadre du 2 octobre 2019 est de mettre à la disposition des employeurs et représentants des travailleurs un document de référence afin de leur rappeler les règles et la jurisprudence applicables concernant des exigences en lien avec l’apparence physique dans le cadre de l’emploi.

Les droits et libertés des travailleurs sont garantis par la Constitution (V. Préambule de la Constitution de 1946, al. 5) et la loi, et notamment les articles L. 1121-1 du Code du travail et 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il est important que chaque restriction soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Le droit positif français interdit « tout traitement défavorable fondé sur l’apparence physique, prise isolément ou en lien avec d’autres critères de discrimination prohibés, tels que l’origine, le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’état de santé, le handicap, l’âge, la religion, les opinions mais également la particulière vulnérabilité économique apparente ou connue de son auteur, que ces caractéristiques soient corporelles ou vestimentaires. » La décision-cadre rappelle ainsi qu’il est interdit de refuser de recruter un candidat à un poste commercial au motif qu’il est « disgracieux », de refuser de confier des responsabilités managériales à une personne du fait de son surpoids, ou encore de rompre une collaboration du fait du non-respect de codes vestimentaires non fondés. Toutefois, les caractéristiques physiques peuvent être prises en compte si elles répondent à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». Ainsi, l’employeur pourra prendre en compte des objectifs de santé, de sécurité, d’hygiène, d’image de l’entreprise, d’obligation de dignité des fonctionnaires, de décence, de nécessité d’être identifié par la clientèle, de devoir de neutralité et de réserve. L’employeur doit vérifier que les objectifs ne peuvent être atteints autrement que par la mise en œuvre de restrictions. Par exemple, la décision-cadre rappelle que « le contact avec les usagers, l’exercice d’une fonction d’autorité ou la relation avec la clientèle ne permettent pas, à elles seules, de justifier toutes les restrictions ». 

Dans un souci de transparence et de clarté, il apparaît préférable que les exigences liées à l’apparence physique, si elles sont légitimes, soient prévues dans un document écrit (règlement intérieur ou circulaire).

Les annexes de la décision-cadre

-        Obésité et grossophobie

Sont des faits de harcèlement discriminatoire à raison de l’apparence physique le fait pour un employeur ou un collègue de tenir des propos vexants, dégradants, offensants ou humiliant en lien avec le surpoids des salariés :  remarques désobligeantes de l’employeur au sujet de la taille de la poitrine, des fesses ou encore du poids d’une salariée telles que « bientôt vous ne pourrez plus prendre l'ascenseur, il vous faudra un monte-charge », « vous ne pourrez plus passer par la porte », « vous avez de grosses fesses » (CA Paris, 16 janv. 2014, n° 12/01734 ), etc… ; accusation à tort d’une salariée en surpoids par le directeur d’une papeterie de vider le réfrigérateur de l’entreprise (CPH Paris 5 juill. 2018, n° 17/09907). Toutefois, est par exemple justifié, le licenciement d’une femme mannequin qui a pris du poids, son changement de morphologie rendant impossible l’exercice des missions essentielles de son contrat de travail en raison de la taille standard des vêtements qu’elle ne pourra plus mettre (CA Paris 14 mars 1989, n° 88-35597). Ou encore une clause imposant un poids limite à une salariée est licite et ne porte pas atteinte à la vie privée lorsqu’il s’agit d’une salariée d’un centre esthétique prodiguant à ses clients des soins pour maigrir (CA Douai 20 oct. 1983, n° 82-2265).

-        Tenues vestimentaires

Le Défenseur des droits rappelle l’existence d’une extrême diversité des normes vestimentaires selon le secteur professionnel et le type de poste occupé. Ainsi, dans certains domaines, les tenues vestimentaires des salariés doivent être conformes aux règles d’hygiène et de sécurité, être correctes et soignées notamment lorsque les salariés sont en contact avec la clientèle. Il importe également que les tenues soient décentes (est notamment cité dans l’annexe, le licenciement d'une salariée qui se déplaçait dans les bureaux de l'entreprise vêtue d’un chemisier transparent sans soutien-gorge). Dans certains secteurs professionnels, le port de l’uniforme peut être obligatoire (militaires, policiers, sapeurs-pompiers, magistrats, infirmiers, …). La révocation d’un fonctionnaire peut alors être justifiée si par exemple un agent de surveillance de Paris (agent de police) refuse de porter l'uniforme imposé, en conservant un foulard sous sa casquette et un vêtement à manches longues sous le polo d'été afin de cacher ses bras. Son comportement révèle une manifestation prohibée de ses croyances religieuses dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (CAA Paris, 19 févr. 2019, n° 17PA00273).

-        Coiffures

Il est d’abord rappelé qu’il existe des restrictions liées à l’hygiène et à la sécurité, ensuite, qu’il est possible pour un employeur d’exiger une coiffure correspondant à une certaine image de marque de l’entreprise (par ex : ne correspond pas à l’image de l’entreprise, un employé de banque ayant la tête rasée sur les côtés et surmontée d’une crête jaune centrale gominée).

-        Barbes

« L’interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique devrait permettre de protéger les hommes contre une interdiction de porter la barbe dans le cadre professionnel, public ou privé. Ce principe n’est toutefois pas absolu et des restrictions peuvent être posées si elles sont liées à l’hygiène, à la santé et à la sécurité et, dans le secteur public, à la conciliation avec les devoirs de réserve, de neutralité et l’obligation de dignité de tout agent public. » Par exemple, il est possible pour l’employeur d’exiger que les barbes soient soignées et entretenues (policiers, militaires, sapeurs-pompiers), de les interdire pour des raisons de sécurité (ex. : CRS sauf autorisation). Par ailleurs, la barbe peut, dans certaines circonstances, être considérée comme un signe religieux. La liberté de porter la barbe est protégée non seulement par le droit de la non-discrimination fondé sur l’apparence physique mais également celui fondé sur les convictions religieuses. Selon de Défenseur des droits, dans la fonction publique notamment, on ne peut présumer une violation du principe de neutralité du simple port de la barbe par un agent public.

-        Tatouages et piercings

Le Défenseur des droits note que « même si le tatouage ou le piercing ne constituent plus aujourd’hui des marqueurs sociaux anticonformistes, certains secteurs de l’emploi restent réfractaires voire hostiles à ces modalités d’expression corporelle ». S’agissant des tatouages ou de piercings vis-à-vis de l’image de l’entreprise privée ou de l’obligation de dignité dans la fonction publique, aucune restriction ne peut être générale et absolue. Toutefois, les exigences du poste lui-même peuvent justifier des restrictions. Ainsi, une rupture de période d’essai est justifiée lorsqu’un hôte d’accueil touristique devant revêtir un costume d’époque refuse de retirer ses piercings (CA Paris 3 avr. 2008, n° 06-10076). Par ailleurs, certains « tatouages comportant des images ou des messages violents ou offensants (ex : « mort aux vaches », squelettes sanguinolents), racistes, antisémites, (ex : « croix gammée »), sexistes (ex : femme nue dans une position suggestive), qui sont contraires à la morale ou à l’ordre public (ex : tatouage faisant la promotion de la consommation de stupéfiants) peuvent être interdits sur le fondement de l’obligation de santé et de sécurité exigeant d’interdire la violence, le harcèlement et la discrimination ou encore sur le trouble à l’ordre public. » Ainsi, par exemple, il existe des réglementations notamment dans la police interdisant les tatouages portant « atteinte aux valeurs fondamentales de la nation ».

L’employeur qu’il soit public ou privé doit toujours être en mesure de justifier que les restrictions sont nécessaires et proportionnées.

Décision-cadre du Défenseur des droits n° 2019-205

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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