Actualité > À la une

À la une

[ 14 avril 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

Le droit à un défenseur doit être concret et effectif

Mots-clefs : Droit à un défenseur, Avocat, Aide juridique, Aide juridictionnelle, Partie civile, Protection

 

Une cour d’appel ne pouvait, sans méconnaître les articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, statuer tout en constatant que l’avocate désignée pour assister la partie civile au titre de l’aide juridictionnelle avait refusé de lui prêter son concours.

Reprochant à un géomètre d’avoir établi de faux plan et procès-verbal de bornage et un faux document d’arpentage, M. X. déposa plainte et se constitua partie civile du chef de faux en écritures le 19 juillet 2011. Le juge d’instruction, par ordonnance du 13 février 2013, refusa d’informer. Sur l’appel de la partie civile, la chambre de l’instruction, le 13 octobre 2015, confirma l’ordonnance de refus d’informer. Lors de l’audience, la juridiction constata que l’avocate désignée pour assister la partie civile au titre de l’aide juridictionnelle avait refusé de lui prêter son concours après avoir indiqué que le père de cette dernière lui avait tenu, dans les instants précédant l’appel de la cause, des propos qu’elle estimait irrespectueux de sa personne, mais elle retint tout de même l’affaire et statua sur l’appel. 

Dans son pourvoi, la partie civile invoquait une violation des articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, en ce qu’elle avait été privée du droit d’être assistée par un défenseur. Par son arrêt, la chambre criminelle casse et annule la décision de la cour d’appel rendue en méconnaissance de ces dispositions. La Haute cour énonce en attendu que « selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et qu’aux termes du deuxième, le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a droit à l’assistance d’un avocat », tout en précisant que « cette assistance doit constituer un droit concret et effectif ». Et elle estime alors qu’« il appartenait [à la chambre de l’instruction] de s’assurer de la renonciation non équivoque de la partie civile à bénéficier de l’assistance d’un défenseur au cours de l’audience ». 

La partie civile bénéficie du droit à l’assistance d’un défenseur sur le fondement de l’article 6, §1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit, d’une façon générale, le droit à un procès équitable (alors que ce droit est spécialement prévu pour l’« accusé » à l’article 6, § 3, c). Très tôt, la Cour de Strasbourg a affirmé qu’il lui fallait « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets ou effectifs » (CEDH 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande, n° 6289/73). Les concepts qu’elle utilise pour y parvenir sont nombreux et ils incluent notamment certaines obligations positives impliquant des États parties à la Convention non seulement qu’ils s’abstiennent de porter directement atteinte aux droits garantis mais encore qu’ils prennent des mesures positives pour éviter que ces droits soient violés. C’est ainsi que l’article 6, par exemple, implique des autorités publiques de garantir aux justiciables un droit effectif d’accéder à un juge (arrêt Airey préc.) ou encore de vérifier qu’un avocat commis d’office accomplit correctement sa mission (CEDH 13 mai 1980, Artico c/ Italie, n° 6694/74). 

La chambre criminelle fait sienne cette jurisprudence en s’appuyant également sur l’article 25 de la loi de 1991 qui prévoit que « le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours ». Se livrant à une appréciation concrète des faits de la cause, la Haute Cour relève qu’une aide juridique avait bien été accordée à la partie civile dans le cadre de son recours dirigé contre l’ordonnance de non-informer mais qu’après le refus de l’avocate désignée de lui prêter son concours, la partie civile avait, de fait, été privée de son droit d’être assistée au cours de l’audience devant la chambre de l’instruction. Et dès lors qu’elle n’avait pas renoncé à être assistée, le droit à un défenseur, privé d’effectivité, a donc en l’espèce été violé. 

Crim. 22 mars 2017, n° 16-83.928

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

■ CEDH 9 oct. 1979Airey c/ Irlande, n° 6289/73; Cah. dr. eur. 1980. 470, obs. Cohen-Jonathan ; Ann. fr. dr. int. 1980. 323, obs. Pelloux ; JDI 1982. 187, obs. Rolland. 

■ CEDH 13 mai 1980Artico c/ Italie, n° 6694/74; Cah. dr. eur. 1982. 213, obs. Cohen-Jonathan ; Ann. fr. dr. int. 1981. 288, obs. Pelloux ; JDI 1982. 202, obs. Rolland.

 

Auteur :S. L.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr