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[ 3 mars 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Le pari de la procédure fictive n’est pas gagnant

Mots-clefs : Primauté, Libre prestation de services, Incompatibilité, Autorisation, Réforme fictive, Pouvoir du juge national, Sanction pénale

Le juge national est le juge de droit commun de l’Union (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77), il doit dès lors écarter toute norme nationale contraire au droit de l’Union, notamment lorsqu’une incompatibilité entre les deux droits a été constatée par le juge de l’Union.

Le juge national applique le principe de primauté. En outre, dans l’hypothèse où une loi nationale instaure une procédure, qui se trouve être fictive, pour remédier à une incompatibilité, le juge national ne doit pas davantage en tenir compte. En effet, l’État ne peut imposer de sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque cette formalité est refusée ou rendue impossible par l’État membre en violation du droit de l’Union.

Le contentieux des paris sur les compétitions sportives offre l’opportunité à la CJUE de préciser la portée des obligations pesant sur le juge national. Cet arrêt est une nouvelle fois fondé sur les dispositions allemandes en matière de paris et leur compatibilité avec la libre prestation de services (art. 56 TFUE). Celles-ci ont déjà fait l’objet de plusieurs arrêts de la CJUE constatant leur incompatibilité (par ex. : CJUE 8 sept. 2010, Carmen Media Group, n° C46/08). L’arrêt Ince ne revient pas directement sur cette problématique, mais s’intéresse davantage à la possibilité pour le juge national de maintenir des sanctions pénales contre les opérateurs économiques privés alors même que les nouvelles dispositions adoptées en matière de paris, afin de respecter le droit de l’Union, demeurent non effectives. 

À l’origine, Madame Ince est poursuivie pour avoir procédé à l’enregistrement de paris sportifs, sans avoir obtenu l’autorisation administrative requise en Bavière. Il pèse sur elle des charges pour l’année 2012 dans son ensemble. Cependant le droit en vigueur a été modifié pendant cette période. Pour le premier semestre 2012, le droit allemand relevait d’un traité de 2008, signé entre les Länder, qui détiennent la compétence dans ce domaine. Le traité instaurait un monopole public, interdisant toute intervention d’un autre opérateur. Pour le second semestre, un nouveau traité entre Länder, adopté en 2012, intègre une clause d’expérimentation selon laquelle les opérateurs privés peuvent obtenir une autorisation pour une période de sept ans. Cependant, concrètement aucune concession n’avait encore été accordée le jour de l’audience devant la Cour de justice, le 10 juin 2015. Le juge national en a conclu que le monopole était maintenu dans les faits, ce qui explique les questions préjudicielles sur les conséquences à en tirer.

Au regard de la première question, le juge de l’Union était interrogé sur la portée de l’incompatibilité lorsque celle-ci était déterminée par un arrêt de la Cour. La réponse de la Cour n’est guère étonnante puisqu’elle fait pleinement jouer le principe de primauté (CJCE, 15 juill. 1964, Costa contre ENEL, n° 6/64). Le juge national doit écarter toutes normes nationales contraires, peu importe que l’incompatibilité soit issue d’un arrêt. Madame Ince ne peut ainsi être sanctionnée pénalement pour le premier semestre.

Au regard de la seconde question, le juge de l’Union devait se prononcer sur la procédure d’expérimentation et l’implication de son caractère fictif. Il est important de rappeler, comme le fait la Cour de justice, que l’État n’est pas obligé de remettre en cause le monopole public en matière de jeux, à la condition que ce dernier soit sous le contrôle effectif et strict des autorités publiques. Si ces conditions ne peuvent être réunies, la libéralisation du marché doit s’opérer. Si l’État décide d’opérer une libéralisation du marché, il doit le faire en respectant les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence. Les critères choisis pour accorder une autorisation doivent être objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance des opérateurs de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales. Ces exigences sont une constante de la jurisprudence de la Cour allant au-delà du domaine des jeux. Or, au regard de l’examen du traité de 2012, la Cour note qu’aucune concession n’a été délivrée malgré 70 demandes d’autorisation d’opérateurs privés. Ce système d’autorisation est alors fictif, ne pouvant remettre en cause l’incompatibilité du régime allemand. Aussi, toujours au regard du principe de primauté, l’État ne peut imposer de sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque cette formalité est refusée ou rendue impossible par l’État membre en violation du droit de l’Union. Ainsi la possibilité d’obtenir une autorisation théoriquement n’est pas suffisante. 

Le juge de l’Union veille par son examen à ce que les États n’entreprennent pas seulement des réformes d’apparence, mais qu’il y ait une application réelle et concrète de celles-ci afin de garantir l’effectivité du droit de l’Union. 

CJUE 4 février 2016, Sebat Ince, n° C-336/14

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 56 (ex-art. 49 TCE)

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de l'Union. »

■ CJCE, 9 mars 1978Simmenthal, n° 106/77.

■ CJUE 8 sept. 2010Carmen Media Group, n° C46/08.

■ CJCE, 15 juill. 1964Costa contre ENEL, n° 6/64.

 

Auteur :V. B.


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