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[ 26 février 2015 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le transfert d’une entité économique emporte celui des contrats de travail

Mots-clefs : Contrat de travail, Transfert d’une entité économique, Conditions, Poursuite des contrats de travail, Caractère d’ordre public, Indemnisation du préjudice lié à la rupture

L'article L. 1224-1 du Code du travail impose la poursuite, aux mêmes conditions, des contrats de travail en cours d’exécution en cas de transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité, dès lors que l'activité est poursuivie ou reprise ; le non-respect de cette disposition d’ordre public peut justifier une condamnation solidaire de l’ancien et du nouvel employeur dès lors qu’il est établi qu’ils ont agi de manière concertée.

Deux sociétés avaient conclu un contrat de cession portant sur un ensemble immobilier locatif. Avant sa conclusion, les gardiens de l’ensemble cédé s’étaient vu proposer, par la société cessionnaire, de nouveaux contrats de travail, ce qu’ils avaient refusé, invoquant les dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail (anc. art. L. 122-2), selon lesquelles leurs contrats devaient se poursuivre de plein droit. Quelques mois après ce refus, les gardiens avaient été licenciés par la société cédante pour motif économique. Ils avaient alors saisi le conseil de prud'hommes à l’effet de voir requalifier la rupture de leurs contrats de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’être indemnisés à ce titre.

Le litige fut, par la suite, porté devant la cour d'appel de Paris, qui donna gain de cause aux salariés. Les deux sociétés formèrent un pourvoi en cassation.

À titre principal, elles soutenaient que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 n'étaient pas remplies, ce texte ne s'appliquant qu'en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée d’un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, et non à la cession d'un bien immobilier, laquelle ne constitue pas, en soi, le transfert d'une entité économique autonome ; de surcroît, aucune stipulation dans l’acte ne prévoyait la subrogation de l'acquéreur dans les droits et obligations du vendeur concernant les contrats de travail des gardiens, ni la poursuite de ces contrats.

À titre incident, la société cédante contestait sa condamnation in solidum au paiement de dommages-intérêts dès lors que le licenciement du salarié avait été prononcé par le seul cessionnaire, postérieurement au transfert, et que le cessionnaire s'était expressément engagé dans l'acte à assumer la charge exclusive de toute conséquence résultant de sa reprise du logement de fonction des salariés.

La Cour de cassation confirme cependant l'analyse des juges du fond. En l’espèce, la cession ne portait pas exclusivement sur la propriété de l'immeuble mais emportait légalement la subrogation dans les droits et obligations des baux en cours et des risques qui en découlaient. En outre, dans l'acte de cession, des dispositions avaient été prises concernant les contrats de travail des gardiens, la poursuite d'une activité de gardiennage et le maintien de l'affectation des locaux nécessaires à cette activité. Ainsi, la cour d'appel a pu exactement déduire le transfert d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre et l’obligation en résultant, pour la société cessionnaire, de poursuivre aux mêmes conditions les contrats de travail des salariés gardiens.

Enfin, la chambre sociale rejeta le pourvoi incident au motif que les sociétés s'étant entendues, dans l'acte de cession, sur la poursuite des contrats de travail à des conditions différentes de celles en vigueur au jour du transfert et sur les conséquences éventuelles d'une résiliation des contrats, elles se trouvaient alors dans l’obligation de réparer le préjudice ainsi causé aux salariés par leur action commune, justifiant leur condamnation solidaire au paiement de dommages-intérêts.

L'article L. 1224-1 du Code du travail prévoit le transfert automatique des contrats de travail « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur », notamment à l’occasion d’une vente. Le nouvel employeur est ainsi tenu de poursuivre les contrats de travail en cours au jour de la modification. Le texte est applicable chaque fois que peut être constaté le transfert d'une entité économique autonome, ayant conservé son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

Seules doivent donc être caractérisées l'existence d'une entité économique autonome et d’une opération juridique qui réalise le transfert des éléments actifs significatifs nécessaires à l’exploitation (v. E. Dockès, G. Auzero), la liste fixée par l'article L. 1224-1 n’étant pas limitative.

Ces conditions réunies, le transfert du contrat de travail en cours s'effectue automatiquement, de plein droit (Soc. 16 janv. 1990). L'employeur comme le salarié ne peuvent s’y opposer (Soc. 25 oct. 2000) ou en aménager l’application par contrat, le texte de l'article L. 1224-1 du Code du travail, visant au maintien des emplois, étant d'ordre public.

C’est pourquoi le moyen du pourvoi fondé sur le silence gardé par les parties quant à la poursuite des contrats ne pouvait qu’être rejeté. Et, en l’espèce, le texte avait bien vocation à s’appliquer car la cession ne portait pas seulement sur la propriété de l'immeuble, laquelle ne constitue pas une entité économique autonome (Soc. 14 mars 2006) ; elle organisait, plus largement, la transmission d’un ensemble constitué d'éléments corporels ou incorporels, ainsi que de ses deux gardiens, afin de poursuivre l'activité cédée, c’est-à-dire le transfert d’une entité économique. Les contrats de travail devaient donc être poursuivis aux mêmes conditions. Pour s’être concertées à l’effet d’y échapper, les deux sociétés ont été solidairement condamnées au paiement d’indemnités (v. déjà Soc. 14 févr. 2007).

Soc. 28 janv. 2015, n° 13-16.719

Références

 E. Dockès, G. Auzero, Droit du travail 2015, 29e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2014, n°300 s.

■ Article L. 1224-1 du Code du travail

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. »

■ Soc. 16 janv. 1990, n° 88-40.054.

■ Soc. 25 oct. 2000, n° 98-45.422.

■ Soc. 14 mars 2006, n° 05-41.610.

■ Soc. 14 févr. 2007, n°04-47.110 et n°04-47.203, Dr. social 2007. 554, obs. A. Mazeaud JCP S 2007, n°9, act.122, N. Léger.

 

Auteur :M. H.


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