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[ 11 mai 2021 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Licenciement lié au port d’un signe religieux : mode d’emploi pour échapper à la discrimination

A défaut d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, le licenciement prononcé en raison du refus de retirer un signe religieux constitue une discrimination directe. Ce licenciement ne peut être justifié que si l’employeur établit une exigence professionnelle essentielle et déterminante. La volonté de tenir compte des souhaits particuliers du client ne répond pas à cette condition et par conséquent, le licenciement prononcé est nul.

Soc. 14 avril 2021, n° 19-24.079

La question du licenciement en raison du port d’un signe religieux est au cœur d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 avril 2021 et rappelle l’important contentieux autour de l’affaire Babyloup (Cass, ass. plén. 25 juin 2014, n° 13-28.369) ou l’arrêt Micropole Universers (CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, C-188/15). 

En l’espèce, une salariée employée comme vendeuse dans un magasin de prêt à porter se présente, au retour de son congé parental, avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. L’employeur lui demande de le retirer et à la suite de son refus elle est licenciée. Elle obtient la nullité de son licenciement devant la Cour d’appel et la cour régulatrice confirme cette décision. L’arrêt commenté est rédigé de manière très pédagogique et permet de bien repérer les différentes étapes du raisonnement lorsqu’un licenciement est lié au port visible d’un signe religieux. La première étape consiste à vérifier la teneur du règlement intérieur, la seconde à identifier les justifications permettant d’échapper à une condamnation pour discrimination directe.

■ La teneur du règlement intérieur

En 2017, la CJUE a précisé que l’entreprise dotée d’un règlement intérieur comprenant une clause de neutralité valable pouvait licencier un salarié qui y contreviendrait sans s’exposer à une action pour discrimination directe. Selon la Cour, dans une telle situation, tous les salariés sont tenus de dissimuler leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses. En imposant une mesure générale et indifférenciée, il n’y a pas de désavantage et donc pas de discrimination directe. Toutefois, même dans cette hypothèse, l’employeur ne se trouve pas à l’abri de tout contentieux. Il faut vérifier la validité de la clause réglementaire puis ensuite son application au cas d’espèce. 

Concernant la validité de la clause du règlement intérieur, la loi du 8 aout 2016 est venu ajouter un nouvel article au Code du travail. Selon l’article L. 1321-2-1 « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». 

Ce texte n’était pas encore applicable à l’affaire donnant lieu à l’arrêt commenté mais la Cour de cassation interprète les textes alors en vigueur pour leur donner la même portée. La Cour affirme ainsi que « L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail ». Une telle clause doit bien évidemment respecter les règles strictes d’élaboration du règlement intérieur : consultation du CSE, communication à l’inspection du travail et publicité. Ensuite, un contrôle administratif ou judiciaire peut être effectué sur la teneur de la clause. En l’espèce, l’employeur ne pouvait se prévaloir d’aucune clause à valeur réglementaire. On observera que ni le contrat de travail, ni une fiche de poste, ne pourraient pallier cette carence. Faute de règlement intérieur, il y discrimination directe. On peut donc passer immédiatement à la seconde étape.

Toutefois, pour que le raisonnement soit bien compris et éviter toute confusion avec les développements ultérieurs, autorisons-nous une petite digression et imaginons que l’entreprise soit dotée d’une telle règle. Dans ce cas, selon la CJUE, l’employeur ne peut pas automatiquement se prévaloir d’une violation du règlement intérieur pour licencier le salarié contrevenant. Il faut vérifier si le licenciement ne constitue pas une discrimination indirecte. L’obligation, neutre en apparence, pourrait constituer un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données. Ainsi l’obligation générale de ne pas arborer un signe religieux pour les vendeuses d’un magasin de vêtement touche davantage les femmes musulmanes que des femmes chrétiennes qui pourront plus facilement dissimuler une croix. Si un tel effet discriminatoire est identifié, l’employeur doit alors établir qu’il poursuit un objectif légitime. A ce stade, il faut bien comprendre que le souhait d’un employeur d’afficher une image de neutralité à l’égard de sa clientèle est considéré par la CJUE comme un objectif légitime. Toutefois, les moyens adoptés doivent être appropriés et nécessaires. Aussi, seuls les salariés en contact avec la clientèle doivent être concernés par la clause et en cas de difficulté avec un salarié donné, l’employeur doit rechercher un accommodement raisonnable en proposant à la salariée concernée - si c’est possible- un poste sans contact avec la clientèle. On le voit la fenêtre est très étroite et c’est la raison pour laquelle, la Cour de cassation, dans l’arrêt du 14 avril commenté, effectue un petit raccourci en affirmant que la clause de neutralité ne peut être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. La généralité de la formule est sans doute discutable car le lien avec le client ne s’explique que si l’intérêt légitime invoqué repose justement sur l’image commerciale. D’autres intérêts légitimes pourraient à l’avenir être invoqués et expliquer d’autres solutions factuelles.

■ L’exigence professionnelle essentielle et déterminante

Dès lors qu’il n’existe pas de règlement intérieur établissant une clause de neutralité, l’employeur s’expose à une condamnation pour discrimination s’il prononce une mesure à l’égard d’un salarié qui refuse de retirer un signe religieux. Selon la CJUE, dans cette configuration, il y a bien a priori une mesure défavorable prise en raison des convictions religieuses, donc discrimination directe. L’employeur peut toutefois encore sauver sa mesure en établissant qu’au regard du poste occupé, il existe une exigence professionnelle essentielle et déterminante qui justifie sa décision (C. trav., art. L. 1133-1). 

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation se réfère expressément aux précisions apportées par la CJUE : une exigence essentielle et déterminante renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client. Il convenait donc de vérifier que le poste de vendeuse dans un magasin de prêt à porter exigeait objectivement l’absence de voile. L’analyse va se faire au regard des arguments invoqués par l’employeur. Or selon les juges du fond, celui-ci s’était placé sur le terrain de l’image de l’entreprise : il estimait que le port du voile par l’une de ses vendeuses était contraire à sa politique commerciale, que ce foulard n’était pas en cohérence avec le message qu’il voulait véhiculer à ses clientes pour les attirer dans ses boutiques. Dès lors, et sans surprise, la Cour de cassation, opérant un contrôle plein et entier, approuve la cour d’appel d’avoir retenu que cette attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante. L’employeur n’invoquait aucun élément objectif, matériellement vérifiable, attestant de l’incompatibilité entre le poste de vendeuse de vêtement et le port d’un foulard. Partant, la discrimination directe était bien caractérisée et le licenciement devait être déclaré nul. 

Le message délivré aux entreprises est très clair : si l’employeur souhaite réguler les manifestations des convictions des salariés pour des raisons de politiques commerciales, il doit nécessairement passer par le règlement intérieur. Faute de règlement intérieur, le recours à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante ne peut intervenir que dans des situations très particulières. On pourrait par exemple imaginer l’hypothèse où le poste occupé exige de porter un équipement de sécurité individuel incompatible avec le port d’un voile.

Références 

■ Cass, ass. plén. 25 juin 2014, Babyloup, n° 13-28.369 P: AJDA 2014. 1293 ; ibid. 1842, note S. Mouton et T. Lamarche ; D. 2014. 1386, et les obs. ; ibid. 1536, entretien C. Radé ; AJCT 2014. 511, obs. F. de la Morena ; ibid. 337, tribune F. de la Morena ; Dr. soc. 2014. 811, étude J. Mouly ; RDT 2014. 607, étude P. Adam ; RFDA 2014. 954, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2014. 620, obs. J. Hauser.

■ CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, Micropole Univers, n° C-188/15 : Dalloz Actu Étudiant, 21 mars 2017 ; AJDA 2017. 551 ; ibid. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 947, note J. Mouly ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 450, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 422, obs. P. Adam ; Constitutions 2017. 249, chron. A.-M. Le Pourhiet ; RTD eur. 2017. 229, étude S. Robin-Olivier ; ibid. 2018. 467, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 342, étude G. Gonzalez

■ Soc. 22 nov. 2017, Micropole Univers, n° 13-19.855 P: Dalloz Actu Étudiant, 1er déc. 2017 ; D. 2018. 218, et les obs., note J. Mouly ; ibid. 190, chron. F. Ducloz, F. Salomon et N. Sabotier ; ibid. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2018. 348, étude H. Nasom-Tissandier ; RDT 2017. 797, obs. M. Miné

 

Auteur :Chantal Mathieu


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