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[ 17 décembre 2014 ] Imprimer

Droit des personnes

Majeur protégé : le droit à l’expression de ses sentiments

Mots-clefs : Majeurs protégés, Désignation du tuteur, Appel de la décision, Audition du tutélaire, Droit d’être entendu, Droit à l’expression de ses sentiments

Le juge qui nomme le tuteur ou le curateur doit prendre en compte les sentiments exprimés par le majeur protégé, obligation qui n’est pas respectée lorsque, des pièces de la procédure, il ressort que le majeur n’avait pas été régulièrement convoqué à l’audience et n’avait donc pas été mis en mesure d’exprimer ses sentiments.

Si à l’origine, l’incapable était envisagé de manière abstraite, il est désormais pleinement considéré comme une personne véritable devant être, en cette qualité et en dépit de sa vulnérabilité, pourvue de droits et de libertés. Le droit d’être entendu et d’exprimer ses sentiments font partie des droits fondamentaux devant lui être reconnus, comme l’illustre la décision rapportée.

Un juge des tutelles avait déchargé un fils de ses fonctions de tuteur de sa mère et l’avait remplacé par un mandataire judiciaire de son choix. Pour confirmer cette décision, la cour d’appel, après avoir constaté que la tutélaire n’avait ni comparu ni été représentée à l’audience et retenu que le premier juge n’avait pas expressément demandé à celle-ci son avis sur le changement de son curateur, s’était néanmoins appuyée sur le fait que, lors de la dernière audience tenue, elle avait été présente et qu’il ressortait du dernier procès-verbal d’audience qu’il avait été fait état de l’éventualité du changement de tuteur devant l’intéressée.

Au visa, des articles 449, alinéa 3, du Code civil, et des articles 12441244-1 et 1245, alinéa 4, du Code de procédure civile, cette décision est cassée au motif que le droit du majeur protégé à être entendu à toutes les étapes de la procédure et à y exprimer ses sentiments n’avait pas, en l’espèce, été respecté.

Depuis 1804, l’évolution du droit des incapacités est remarquable. Si les codificateurs avaient fait le choix de protéger les « naturellement faibles » – mineurs de moins de 21 ans, déments, prodigues et faibles d’esprit – en raison de leur incapacité à exprimer un consentement éclairé, critère essentiel de protection conféré par le code aux contractants, la prise en compte de leur individualité leur était étrangère. Ce n’est qu’en 1968 qu’une première loi avait exprimé cette préoccupation d’humaniser l’incapable, jadis réduit à un être objectivement irrationnel, à protéger. Ainsi cette réforme avait-elle, notamment, fait disparaître le terme d’ « aliénés » pour lui préférer celui de « majeurs protégés ».

Mais ce mouvement d’individualisation de l’incapable ne prit un vrai relief qu’avec la réforme opérée par la loi du 5 mars 2007, marquant un véritable renouvellement de la conception de l’incapacité : plutôt que d’être vue négativement comme une réduction de la capacité et de l’autonomie de la personne fragile, elle est beaucoup plus positivement appréhendée comme un arsenal de moyens offerts par le droit pour conjuguer la nécessaire protection de la personne et celle, tout aussi indispensable, de son autonomie, de ses libertés et de ses droits (C. civ., art. 415 : la « protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci »).

Ainsi, les règles depuis lors applicables aux majeurs protégés (quoique cette politique puisse être également observée à propos du mineur) s’efforcent tout autant de protéger leur personne et leurs biens que de préserver, dans la mesure du possible, leur liberté individuelle et leurs droits fondamentaux.

Dans cette perspective, un statut personnel du majeur protégé, applicable indépendamment du régime spécifique de protection mis en place, a été édifié. Un certain nombre de droits ont ainsi été consacrés en vue de favoriser l’autonomie du majeur incapable.

Le droit d’être entendu en fait, parmi bien d’autres, partie. Avant d’ouvrir une mesure de protection, le juge est ainsi tenu d’entendre ou d’appeler la personne intéressée : son audition est, par principe, obligatoire et cette règle d’ordre public est désormais reconnue par des sources multiples (C. civ., art. 432 mais aussi C. pr. civ., art. 1219 et 1220 s. ; v. aussi en jurisprudence CEDH, sect. I, 27 mars 2008, C. c/Russie ; Civ. 1re, 13 juill. 2004). Et pour assurer l’effectivité de ce droit à être entendu, l’article 449, alinéa 3, du Code civil, au cœur de la décision rapportée, oblige le juge, lorsqu’il nomme le tuteur ou le curateur de l’incapable, à prendre en considération les sentiments qu’il exprime, obligation par ailleurs renforcée par la combinaison des textes de procédure civile figurant au visa, dont il résulte qu’en cas d’appel d’une décision du juge, le greffe de la cour doit convoquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, les personnes auxquelles la décision a été notifiée et, à l’audience, entendre le majeur à protéger ou protégé, sous réserve que son état le permette.

Le droit à l’expression des sentiments du majeur protégé découle ainsi naturellement de son droit à être entendu. Ainsi avait-il déjà été jugé que le juge qui rejette la demande de la personne placée sous curatelle renforcée avec la nomination d’un mandataire judiciaire de voir désigner sa nièce comme curatrice doit préciser, sous peine d’attenter aux droits d’audition et d’expression de la personne protégée, ce qui interdit, malgré les sentiments contraires dévoilés par l’incapable, de confier la curatelle à sa nièce (Civ. 1re, 5 déc. 2012).

Civ. 1re, 19 nov. 2014, n°13-23.365

Références

■ Fr. Terré, D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, n°605 s.

■ CEDH, sect. I, 27 mars 2008, C. c/Russie, req. n°44009/05.

■ Civ. 1re, 13 juill. 2004Bull. civ. I, n°205, n° 01-14.506, RTD civ. 2004. 716, obs. J. Hauser.

 Civ. 1re, 5 déc. 2012, n°11-26.611.

■ Code civil

Article 415

« Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre.

Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.

Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci.

Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »

Article 432

« Le juge statue, la personne entendue ou appelée. L'intéressé peut être accompagné par un avocat ou, sous réserve de l'accord du juge, par toute autre personne de son choix.

Le juge peut toutefois, par décision spécialement motivée et sur avis du médecin mentionné à l'article 431, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de l'intéressé si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou s'il est hors d'état d'exprimer sa volonté. »

Article 449

« À défaut de désignation faite en application de l'article 448, le juge nomme, comme curateur ou tuteur, le conjoint de la personne protégée, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu'une autre cause empêche de lui confier la mesure.

À défaut de nomination faite en application de l'alinéa précédent et sous la dernière réserve qui y est mentionnée, le juge désigne un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables.

Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage. »

■ Code de procédure civile

Article 1219

« Le certificat médical circonstancié prévu par l'article 431 du code civil :

1° Décrit avec précision l'altération des facultés du majeur à protéger ou protégé ;

2° Donne au juge tout élément d'information sur l'évolution prévisible de cette altération ;

3° Précise les conséquences de cette altération sur la nécessité d'une assistance ou d'une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu'à caractère personnel, ainsi que sur l'exercice de son droit de vote.

Le certificat indique si l'audition du majeur est de nature à porter atteinte à sa santé ou si celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté.

Le certificat est remis par le médecin au requérant sous pli cacheté, à l'attention exclusive du procureur de la République ou du juge des tutelles. »

Article 1220

« Le juge des tutelles peut, dans tous les cas où il a l'obligation ou il estime utile d'entendre la personne à protéger ou protégée, se déplacer dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel ainsi que dans les départements limitrophes de celui où il exerce ses fonctions. Les mêmes règles sont applicables aux magistrats de la cour d'appel en cas de recours. »

Article 1244

« Le greffier de la cour convoque à l'audience prévue pour les débats : 

1° S'il en a constitué un, l'avocat du requérant, par tout moyen ;

2° L'appelant et les personnes auxquelles la décision ou la délibération a été notifiée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi que, le cas échéant, leurs avocats.

Ces dernières ont le droit d'intervenir devant la cour. »

Article 1244-1

« La convocation est adressée, dès la fixation de l'audience prévue pour les débats et au moins quinze jours à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Une copie de la convocation est adressée aux personnes concernées par lettre simple.

La convocation vaut citation. »

Article 1245

« L'appel est instruit et jugé en chambre du conseil.

La procédure est orale.

Les prétentions des parties ou la référence qu'elles font aux prétentions qu'elles auraient formulées par écrit sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal.

A l'audience, la cour entend l'appelant, le majeur à protéger ou protégé, sauf application par la cour des dispositions du second alinéa de l'article 432 du code civil et, le cas échéant, le ministère public.

Les avocats des parties, lorsqu'elles en ont constitué un, sont entendus en leurs observations. »

 

Auteur :M. H.


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