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[ 23 juin 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Méthodes d’évaluation de la lésion

Mots-clefs : Vente immobilière, Lésion, Valeur vénale, Appréciation, Méthodes d’évaluation

La supériorité de la valeur vénale d’un terrain à bâtir au seuil de la lésion des sept douzièmes, appréciée à partir sa surface constructible et de sa localisation, encourt la rescision et justifie de débouter l’acheteur de sa demande en exécution forcée de la vente.

Après avoir signé un compromis de vente d’une parcelle de terrain à bâtir au prix de 51 833 euros, un vendeur, assigné en réitération de la vente, avait invoqué la rescision de celle-ci pour lésion. L’acheteur reprocha à la cour d’appel d’avoir jugé la vente effectivement lésionnaire et de l’avoir débouté de sa demande en exécution forcée. Confortant le pouvoir des juges du fond, dont l’appréciation est souveraine en cette matière, la Cour de cassation rejette son pourvoi en relevant que pour parvenir à la somme de 108 000 euros, le collège d’experts avait eu recours à une seule méthode d’évaluation du bien litigieux, consistant à recenser des terrains à bâtir sur l’ensemble du territoire de la commune, de superficie et de qualité fort diverses, qui étaient notamment situés dans une ZAC et dont la valeur ne pouvait être pertinemment comparée avec celle de la parcelle vendue, située dans un secteur résidentiel et réputé de la ville, et à en induire une moyenne globale du prix au mètre carré ainsi qu’à évaluer le terrain considéré après avoir pratiqué une pondération empirique, par seuils, de la superficie de ce terrain. Cette prise en compte de transactions trop hétérogènes quant à la superficie et à la localisation des biens faisait perdre à la notion de moyenne tout son sens. La cour d’appel avait quant à elle retenu que le vendeur produisait des éléments probants et circonstanciés dont elle a souverainement apprécié la valeur probante, et constaté que la valeur vénale de l’immeuble était supérieure au seuil de la lésion des sept douzièmes, s’élevant à 124 399 euros. 

Définie comme une insuffisance de prix par rapport à la valeur réelle d’un bien, la lésion n’est pas un vice du consentement à proprement parler quoiqu’elle se trouve, dans le Code civil, à proximité immédiate des textes relatifs à la théorie des vices du consentement (C. civ., art. 1118). Empreinte du libéralisme classique prévalant en droit commun des contrats, le principe de validité des contrats lésionnaires est acquis, même si le droit prospectif envisage de le tempérer par la notion de lésion qualifiée. Il n’en reste pas moins qu’en la matière, l’autonomie de la volonté continue de régner. La valeur de l’engagement libre l’emporte sur le déséquilibre du contrat. Comme en témoigne la décision rapportée, ce principe de validité connaît toutefois quelques exceptions, dont la vente immobilière. 

En effet, l’article 1674 du Code civil donne au vendeur lésé de plus des sept douzièmes dans le prix d’un immeuble le droit de demander la rescision de la vente pour lésion. Autrement dit, la vente d’un immeuble à un prix inférieur au sept douzièmes de sa valeur est considérée comme étant lésionnaire. Cette exception expressément prévue par le code s’explique par le fait que les codificateurs, en 1804, entendaient protéger la propriété privée. 

Directement en cause dans cette affaire, l'appréciation de la lésion se fait par comparaison entre la valeur réelle de l'immeuble et le montant du prix, étant rappelé que ce n’est que si la différence est supérieure aux sept douzièmes de la valeur réelle de l'immeuble que la rescision sera encourue. Il convient donc d'abord d'évaluer l'immeuble selon certaines modalités, précisées par la jurisprudence et, ensuite, de confronter le résultat de cette évaluation avec le prix convenu par les parties dans l’acte de vente. La détermination de la valeur d'un immeuble peut se faire selon divers procédés et méthodes de calcul. Le choix d'une méthode relève du pouvoir souverain des juges du fond (Civ. 1re, 18 déc. 1951. Civ. 1re, 17 juin 1957. Civ. 3e, 19 juin 2007, n° 06-17.699. Civ. 3e, 11 janv. 2011, n° 10-15.226). Les juges peuvent également choisir de procéder à plusieurs évaluations à partir de méthodes différentes et décider que la valeur de l'immeuble équivaut à la moyenne de ces évaluations. Les éléments d'appréciation de la valeur d'un immeuble relèvent du pouvoir souverain des juges du fond (Civ. 1re, 19 janv. 1966. Civ. 3e, 19 févr. 1970.) qui apprécient la ou les méthodes choisies par les experts (V. par ex., Civ. 3e, 19 juin 2007, n° 06-17.699 . Civ. 3e, 11 janv. 2011, n° 10-15.226). En l’espèce, la méthode choisie, consistant à établir une moyenne globale du prix au mètre carré des terrains à bâtir sur une zone géographique donnée n’a pas été retenue compte tenu de la trop grande diversité, en termes de surface et de qualité, des terrains recensés et de l’indifférence à l’emplacement de la parcelle vendue, située dans un quartier d’un rang supérieur à ceux dans lesquels les terrains servant à établir l’estimation étaient situés. Ainsi les éléments pris en compte faisaient-ils perdre à la notion de moyenne tout son sens, compte tenu de la superficie et de la localisation du terrain du vendeur. En revanche, la surface constructible du terrain litigieux, élément important de la valeur d’un terrain à bâtir dans un quartier tel que celui où il est situé et établi par le vendeur, ainsi que l’avis donné par une agence immobilière locale, ont permis aux juges du fond de s’assurer que la valeur vénale du terrain vendu était supérieure au seuil de la lésion. 

Civ. 3e, 2 juin 2016, n° 14-21.142

Références

■ Civ. 1re, 18 déc. 1951, Bull. civ. I, n° 358. 

■ Civ. 1re, 17 juin 1957 : D. 1957, p. 594 ; RTD civ. 1957, p. 703, obs. Carbonnier.

■ Civ. 3e, 19 juin 2007, n° 06-17.699.

■ Civ. 3e, 11 janv. 2011, n° 10-15.226.

■ Civ. 1re, 19 janv. 1966Bull. civ. I, n° 50.

■ Civ. 3e, 19 févr. 1970, n° 68-12.893 P.

■ Civ. 3e, 19 juin 2007, n° 06-17.699.

■ Civ. 3e, 11 janv. 2011, n° 10-15.226.

 

Auteur :M. H.


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