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[ 6 mai 2013 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Perte de chance de vie : limites à la réparabilité du préjudice

Mots-clefs : Dommage à la personne, Perte de chance de vie, Caractérisation, Transmissibilité de l’action aux héritiers de la victime

« La perte de chance de vie » n’est pas caractérisée dès lors que le droit de vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé n’est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l’état de santé de toute personne pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès.

La transmission à cause de mort de la créance de réparation du préjudice connaît des limites que la présente décision vient rappeler.

En application des dispositions de l'article 731 du Code civil, la créance de réparation d'un dommage devrait, comme toute créance, se transmettre à cause de mort. Si l’application de cette règle aux créances nées de la lésion d'intérêts patrimoniaux n’a jamais soulevé de difficultés, elle fut davantage discutée au sujet des créances de réparation de préjudice de nature extrapatrimoniale, en raison de leur caractère personnel. Ainsi, la chambre criminelle avait débouté les héritiers d'une victime, exerçant l'action du de cujus, de leur demande de réparation du préjudice moral subi par ce dernier au motif qu'un tel préjudice est strictement personnel (Crim. 28 janv. 1960). Cette jurisprudence s'opposait cependant à celle des chambres civiles, qui jugeaient la même action transmissible. Deux arrêts rendus en chambre mixte (Ch. mixte 30 avr. 1976) ont mis fin à cette divergence en reconnaissant la transmissibilité de la créance de réparation aux héritiers de la victime, sans restriction particulière, quels que soient les chefs de préjudice en cause. Cette règle, lentement acquise, est remise en cause par l’arrêt rapporté (V. aussi Civ. 2e, 10 déc. 2009).

En l’espèce, une jeune fille mineure est décédée des suites d’un accident de la circulation. En qualité d’héritiers, ses parents demandent réparation de leur préjudice par ricochet, que constituerait la « perte de chance de vie » subie par la victime principale. Autorisés à cumuler les avantages de l'action héréditaire et ceux de l'action en réparation de son propre préjudice, ils ont également agi en réparation des préjudices physiques et moraux subis, avant sa mort, par leur propre fille. En appel, leur demande est rejetée au motif que « le droit de vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé n’est pas suffisamment certain (…) pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès». Et la chambre criminelle de rejeter le pourvoi, limitant ainsi la portée de l’arrêt du 13 mars 2007 dans lequel la première chambre civile affirma que « le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison d'une perte de chance de survie, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers ».

La « perte de chance de vie » soulève, au regard de la transmissibilité de la créance, une difficulté tenant à sa date de naissance : la créance naît, non pas avant le décès, mais à l'occasion du décès ; la disparition du sujet de droit étant concomitante à la naissance de la cause de la créance, la question est de savoir si le droit à réparation est né dans le patrimoine du de cujus afin de pouvoir se transmettre à ses héritiers. Si l’on considère que les héritiers ne demandent pas réparation d'un préjudice subi par un mort, mais par un vivant en mourant, l'action devrait leur être transmise » (v. H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas). Cette analyse n'a pourtant jamais convaincu la chambre criminelle, qui avait déjà jugé que les héritiers d'une victime d'un accident de la route ne sauraient obtenir réparation du préjudice né de la perte de chance de vie qu'aurait subie le défunt du fait de son accident, car aucun droit à indemnité de ce chef n'était entré dans le patrimoine de la victime avant sa mort et n'avait pu, dès lors, être transmis à ses successeurs (Crim. 30 oct. 1979). Ici rappelée, sa position se justifie par la date de naissance, antérieure au décès, de la créance litigieuse : à défaut d’être entrée dans le patrimoine de la victime de son vivant, elle ne peut naturellement être transmise aux héritiers. De surcroît, l’analyse de la chambre criminelle est compatible avec celle révélée par la première chambre civile en 2007 dès lors que la créance de réparation jugée transmissible était également née avant la mort de la victime qui avait, elle, perdu de son vivant la chance d’échapper à sa souffrance morale en raison des fautes médicales intervenues.

Par une double référence à la notion de perte de chance et à la chronologie déterminante de la transmissibilité des créances, la Cour de cassation dans son ensemble entend bien limiter l’indemnisation des héritiers au préjudice né des souffrances morales éprouvées par le défunt avant sa mort, évaluée à la seule mesure des chances de vie perdues de son vivant (v. S. Hocquet-Berg).

Crim. 26 mars 2013, n°12-82.600

Références

 Article 731 du Code civil

« La succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt dans les conditions définies ci-après. »

 Crim. 28 janv. 1960, D. 1960. 574 ; Gaz. Pal. 1960, 1, 207.

 Ch. mixte, 30 avr. 1976, n° 74-90.280 et n° 73-93.014, D. 1977. 185, note M. Contamine-Raynaud.

 Civ. 2e, 10 déc. 2009, n°09-10.296.

 Crim. 30 oct. 1979, n° 78-93.267.

 Civ. 1re, 13 mars 2007RCA 2007, n°7, comm. 207, S. Hocquet-Berg.

 H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, Obligations, théorie générale, t. II, 1er vol., 9e éd., Montchrestien, 1998, n° 607.

 

Auteur :M. H.


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