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[ 26 janvier 2015 ] Imprimer

Droit des obligations

Préjudice né d’une infection nosocomiale : pas de minimisation du dommage

Mots-clefs : Responsabilité médicale, Infection nosocomiale, Préjudice corporel, Aggravation du préjudice, Obligation de limiter le préjudice (non)

La victime d’une infection nosocomiale n’a pas à limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable.

Un patient ayant subi deux interventions chirurgicales avait présenté, à la suite de la seconde, une hyperthermie indiquant un état infectieux. Refusant tout traitement, il avait quitté la clinique deux jours plus tard pour réintégrer son domicile, contre avis médical. Son état s'étant aggravé, il avait été admis, le mois suivant, dans un autre établissement, où une septicémie par streptocoque fut diagnostiquée, avec des atteintes secondaires à l'épaule, au foie et au cœur qui avaient nécessité plusieurs traitements. Le patient assigna alors la clinique en responsabilité.

Pour limiter la responsabilité de celle-ci aux conséquences de l'infection nosocomiale contractée par la victime telles qu’elles auraient dû se produire si elle avait été « normalement traitée », la cour d’appel releva d'abord que si, selon l'expert, le patient, dépourvu de médecin traitant, n'avait pas refusé un transfert vers un autre établissement, quitté la clinique contre avis médical et, de retour chez lui, omis de consulter un autre médecin, une antibiothérapie adaptée au germe qui aurait pu être identifié par la poursuite des examens et analyses engagés lors de son séjour à la clinique et interrompus avant d'avoir abouti, aurait permis, dans un délai de quinze à trente jours, de résorber l'infection et d'éviter l'aggravation de son état.

La cour retint ensuite, distinguant entre réduction du dommage et évitement d'une situation d'aggravation, que les complications de l'infection initiale étaient la conséquence du refus par ce patient, pendant plus d'un mois et en raison de ses convictions personnelles, de traitements qui ne revêtaient pas un caractère lourd et pénible.

Au visa des articles 16-3 du Code civil, L. 1142-1 et L. 1111-4 du Code de la santé publique, cette décision est censurée par la Haute Cour au motif que le refus d'une personne, victime d'une infection nosocomiale dont un établissement de santé a été reconnu responsable en vertu du deuxième de ces textes, de se soumettre à des traitements médicaux, qui, selon le troisième, ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de l'infection. Ainsi, en imputant l'aggravation de l'état de la victime à son refus des traitements proposés, alors que ceux-ci n'avaient été rendus nécessaires que parce qu'il avait contracté une infection nosocomiale engageant la responsabilité de la clinique, la cour d'appel a violé les textes précités. 

Cette décision est l’occasion de revenir sur le principe de la minimisation du dommage, c’est-à-dire sur la question de savoir si le responsable d’un dommage peut échapper en tout ou partie aux conséquences de sa faute en faisant valoir que la victime n’a pas agi en sorte de réduire l’ampleur du dommage subi.

Par deux arrêts en date du 19 juin 2003 concernant des accidents corporels, et rendus au visa de l’article 1382 du Code civil, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait nettement pris position en défaveur du principe en énonçant que « l’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables » et que « la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable » (Civ. 2e, 19 juin 2003).

Cette solution fut par la suite reprise par la première chambre civile dans une affaire de contamination par le virus de l’hépatite C, qui mettait cette fois en cause la responsabilité contractuelle de l’auteur du dommage (Civ. 1re, 3 mai 2006).

Il semble donc désormais acquis qu’en matière de dommages corporels, il n’est pas possible de reprocher à la victime de ne pas avoir fait en sorte de réduire ou, même, de ne pas aggraver son préjudice.

La décision rapportée le confirme, en consacrant le droit à la réparation intégrale de son préjudice corporel d’une victime d’infections nosocomiales dont les conséquences s’étaient aggravées du fait de son refus de suivre les traitements qui auraient été susceptibles de les tempérer.

Selon la même analyse, la Cour avait, en 2003, cassé la décision des juges du fond qui reprochaient à la victime de ne pas s’être soumise à des traitements médicaux susceptibles de réduire l’invalidité consécutive à l’accident dont elle avait été victime (Civ. 2e, 19 juin 2003, arrêt n°2).

Répétée, cette position se fonde sur le principe de l’inviolabilité du corps humain (C. civ., art. 16-1), qui implique de laisser la victime libre de se soigner et de déterminer la fréquence et le degré des traitements qu’elle souhaite suivre. Il semble, en revanche, que la règle de faveur instaurée par les juges au profit des victimes de dommages corporels ne puisse être généralisée au profit des victimes de dommages patrimoniaux.

Ainsi, dans une décision du 24 novembre 2011, la Cour de cassation reprocha à une cour d’appel d’avoir rejeté la demande d’un assuré en indemnisation du préjudice matériel résultant de la privation de jouissance de son véhicule au motif qu’il n’était pas établi que le refus de la société d’assurances de l’assurer l’ait empêché d’utiliser sa voiture en s’adressant à un autre assureur, alors que les juges auraient dû, pour en juger ainsi, caractériser la faute de l’assuré ayant causé l’aggravation de son préjudice matériel. La solution se révèle équilibrée – il n’est énoncé ni que la victime est dispensée de limiter son dommage, ni qu’elle est tenue de le faire – ; simplement, il convenait que le juge recherchât, au regard de l’ensemble des circonstances, si la victime n’avait pas commis une faute en s’abstenant de limiter son préjudice (v. S. Carval).

Ainsi, les victimes de dommages patrimoniaux ne semblent-ils pas pouvoir se prévaloir d’un principe aussi fondamental que celui consacré par les articles 16-1 et 16-3 du Code civil, qui leur permettrait de faire obstacle à l’invitation qui leur est faite de limiter les pertes qu’elles subissent.

Civ. 1re, 15 janv. 2015, n°13-21.180

Références

■ Civ. 2e, 19 juin 2003, n°01-13.289 et n°00-22.302Bull. civ. II, n°203 ; D. 2004. 1343, note Mazeaud.

 Civ. 1re, 3 mai 2006, n°05-10.411.

 Civ. 2e, 24 nov. 2011, n°10-25.635, RTD civ. 2012. 324, note Jourdain.

■ S. Carval, RDC 2012/2437.

■ Code civil

Article 16-1

« Chacun a droit au respect de son corps.

Le corps humain est inviolable.

Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »

Article 16-3

« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.

Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »

Article 1382

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

■ Code de la santé publique

Article L. 1142-1

« I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »

Article L. 1111-4

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10.

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.

Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.

L'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre.

Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions. »

 

Auteur :M. H.


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