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[ 15 janvier 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Prohibition de la clause réduisant la durée de la garantie de l’assureur

Mots-clefs : Assurance, Clause réduisant la durée de la garantie, Absence de cause, Validité (non), Sanction, Réputé non-écrit

Toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré est génératrice d'une obligation sans cause et doit être réputée non écrite.

Un couple avait conclu un contrat de construction de maison individuelle avec une société spécialisée, laquelle avait souscrit une assurance de responsabilité civile professionnelle et de responsabilité civile décennale auprès d’une société d’assurances, ainsi qu'une assurance dommages-ouvrage. Les travaux de gros œuvre avaient, eux, été sous-traités à une société assurée par une autre compagnie d’assurance. Le couple avait ensuite confié au sous-traitant la construction d'un mur de soutènement et un procès-verbal de réception sans réserves avait été établi. Se plaignant de fissures, le couple avait déclaré le sinistre le 15 septembre 2004 auprès de son assureur dommages-ouvrage, qui leur avait opposé un refus de garantie. Ils avaient alors assigné en indemnisation le constructeur et son assureur, lequel avait appelé en garantie l’assureur du sous-traitant. Pour rejeter leur demande, la cour d’appel retint que la police souscrite prévoyait une période de garantie plus réduite que celle pendant laquelle la responsabilité de l'assuré pouvait être engagée en sa qualité de sous-traitant et que, la responsabilité du sous-traitant relevant d'une assurance facultative, l'assureur était libre de fixer sa durée de sa garantie au délai de dix ans à compter de la réception des travaux. Au visa principal de l’article 1131 du Code civil, cette analyse est censurée par la Cour au motif que toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré est génératrice d'une obligation sans cause et doit être réputée non écrite. 

Cet arrêt, publié au Bulletin, rappelle immédiatement la chasse poursuivie par la première chambre civile, dans les années quatre-vingt-dix, aux clauses abusives stipulées dans les contrats d'assurance (Sur ce point, v. H. Groutel, RCA 2011, n° 4, repère 4). C’est aujourd’hui la troisième chambre civile qui, par la décision rapportée, annule la clause visant à réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré, dont l’obligation se voit ainsi privée de cause, comme en avait déjà décidé la première chambre en 1997 (Civ. 1re, 16 déc. 1997, n° 94-17.061 et 94-20.060 : « toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré est génératrice d'une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite »). Avant cette décision, la Cour avait également déclaré illicite la clause dite « de réclamation » ou « claims made », visant, à supposer le fait générateur survenu durant le temps de validité du contrat, à subordonner la garantie à la condition que la réclamation de la victime intervienne avant la résiliation de celui-ci. Longtemps jugée valable (V. Civ. 1er, 28 oct. 1974, 73-11.646 et 72-14.438), cette clause fut fermement condamnée, pour défaut de cause, par une série d’arrêts du 19 décembre 1990 (Civ. 1re, 19 déc. 1990, n° 88-12.863, 88-14.756, 87-17.586, 87-195.88, 88-19.441) au motif que le versement des primes pour la période qui se situe entre la prise d'effet du contrat d'assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s'est produit pendant cette période ; or cette clause « aboutit à priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause au profit du seul assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ; que cette stipulation doit en conséquence être réputée non écrite ». Enfin, elle déclara encore illicite « la garantie subséquente » (Civ. 1re, 28 avr. 1993, n° 91-16.294), exigeant que la réclamation intervienne dans un certain délai, prévu au contrat, à compter de la résiliation. Si la loi du 1er août 2003 vint tempérer la rigueur jurisprudentielle en validant, à certaines conditions, les clauses de réclamation pour les assurances professionnelles, lesquelles ont également une influence sur la durée de la garantie, l’arrêt rapporté laisse entendre que la Cour de cassation n’entend pas renoncer au contrôle de l’abus dans les contrats d’assurance, en exploitant une nouvelle fois la fonction protectrice de la cause (V. déjà Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632 : les clauses de non-responsabilité, stipulées dans les contrats de transport rapide, qui contredisent, en raison de la faiblesse du plafond de réparation, l’engagement essentiel souscrit par le débiteur doivent être réputées non écrites ; V. égal. Com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, réputant non écrite, sur le fondement de la cause, la clause contredisant la portée de l’obligation essentielle du contrat), dont certains souhaitent pourtant la disparition, à l’effet, en l’espèce, de protéger l’assureur du constructeur. L’arrêt confirme également la constance de la Cour quant au choix de la sanction de l’absence de cause, celle du réputé non écrit, laquelle permet de maintenir le contrat en l’amputant simplement de la clause qui prive de cause l’engagement du créancier, sous la seule réserve que le contrat puisse lui survivre, ce qui était en l’espèce le cas. 

Civ. 3e, 26 nov. 2015, n° 14-25.761

Références

■ Code civil

Article 1131

■ Civ. 1re, 16 déc. 1997, n° 94-17.061P et 94-20.060P, D. 1998. 287, note Y. Lambert-Faivre.

■ Civ. 1er, 28 oct. 1974, n° 73-11.646P et 72-14.438P.

■ Civ. 1re, 19 déc. 1990, n° 88-12.863P88-14.75687-17.58687-195.8888-19.441RDI 1991. 78, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RTD civ. 1991. 325, obs. J. Mestre

■ Civ. 1re, 28 avr. 1993, n° 91-16.294P RCA 1993, comm. 245, note S. Bertolaso.

■ Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632PD. 1997. 121, note A. Sériaux ; ibid. 145, chron. C. Larroumet ; ibid. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc.

■ Com., 29 juin 2010, n° 09-11.841PD. 2010. 1832, note D. Mazeaud ; ibid. 1697, édito. F. Rome ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 472, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2010. 555, obs. B. Fages.

 

Auteur :M. H.


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