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[ 23 février 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Rappel de quelques règles en matière d’interprétation contractuelle

Mots-clefs : Contrat, Interprétation, Guides, Commune intention des parties, Recherche, Théorie de la dénaturation

En cas de doute sur le sens exact des termes d’un contrat, le juge doit rechercher la commune intention des parties, notamment dans les termes employés par elles et lorsque ceux-ci sont dépourvus d’ambiguïté, le juge ne peut en dénaturer les termes sans encourir le grief de dénaturation. 

La souveraineté de la volonté implique que le contrat soit exécuté conformément à ce qu’ont voulu les parties. Ainsi en est-il d’abord en ce qui concerne l’interprétation du contrat, comme viennent le rappeler deux décisions rendues le 21 janvier dernier par la Cour de cassation. Dans la première espèce, un couple avait confié à une société la construction de deux maisons d'habitation. Deux ans plus tard, le chantier avait été interrompu à la suite d’un désaccord entre les maîtres de l'ouvrage, qui alléguaient l'existence de malfaçons, et l'entreprise, dont les dernières factures étaient restées impayées. Après expertise, le couple avait alors assigné l'entreprise et son assureur en indemnisation de leurs préjudices. Pour rejeter leurs demandes, la cour d’appel retint « qu’une clause du contrat excluait la garantie des dommages immatériels et qu’une autre écartait également les conséquences pécuniaires de toute nature découlant d'un retard dans l'exécution des travaux sauf celles résultant d'un dommage matériel garanti par le contrat mais qu'en revanche, la garantie pour les préjudices immatériels était due pour les dommages causés à des tiers étrangers au chantier et que les premiers juges ne pouvaient donc sans contradiction faire jouer cette garantie, prévue pour les préjudices immatériels subis par des tiers, au préjudice de jouissance des demandeurs consécutif à des désordres matériels non garantis ».

Cette décision est censurée par la Cour au motif que « la police garantissant les dommages immatériels causés aux tiers par les manquements de l'assuré à l'exception de ceux résultant d'un retard dans l'exécution des travaux, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des conditions générales de la police, a violé l’article 1134 du Code civil ».

Dans la seconde espèce, un promoteur, aux droits duquel se trouvait sa femme, gérante, avait confié la mission de réaliser un projet de lotissement à un architecte. L'engagement avait ensuite été repris par une autre société. Au titre d’un solde dû sur ses honoraires, l’architecte avait assigné la gérante ainsi que la société en paiement d’une somme de 152 292 euros. La cour d’appel fit partiellement droit à sa demande, lui allouant la seule somme de 127 160 euros au motif que le contrat d'architecte précisait expressément les modalités de rémunération des prestations ainsi que l’échelonnement des versements, que le contrat signé avait été paraphé par les deux parties sur toutes les pages en sorte que les intimées ne pouvaient invoquer une erreur de plume, et que les stipulations du contrat étaient claires et précises.

La Cour casse là encore cette décision, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme il le leur avait été demandé, la commune intention des parties résultant de l'insertion dans le contrat d'une clause de rémunération fixant les honoraires forfaitaires à un certain montant et un échéancier des versements.

Pour interpréter le contrat, les juges doivent utiliser une méthode qui consiste à rechercher, pour la respecter et ne pas la dénaturer, la volonté des parties. Si dans les premières années de son existence, la haute juridiction, prenant à la lettre les termes de l’article 1134 du Code civil, considérait que les contrats et, plus généralement, les actes juridiques, constituaient des lois dont la dénaturation était susceptible de donner ouverture à cassation, se réservant ainsi le droit de contrôler si les juges du fond avaient bien ou mal interprété la volonté des parties, par le célèbre arrêt Lubert (2 févr. 1808), la Cour a abandonné sa position pour confier aux juges du fond un pouvoir souverain d’interprétation des conventions. La raison de cette souveraineté est sans doute la suivante : pour déterminer la volonté des parties, il convient de se livrer à des recherches de fond (tous les documents de la cause), or la Cour n’est pas compétente pour connaître du fond des affaires. 

Depuis longtemps consacrée, la souveraineté des juges du fond n’est cependant pas absolue. Tout d’abord, plusieurs guides d’interprétation leur sont donnés par le Code civil (1156 à 1164), notamment par l’article 1156, selon lequel le juge est tenu de rechercher la commune intention des parties dans les termes employés par elles, comme le rappelle la Cour dans la seconde espèce, ou bien dans tout comportement ultérieur des parties de nature à la manifester (Civ.3ème, 5 févr.1971). Ensuite, si la Haute cour ne contrôle pas l’interprétation des contrats, elle censure les juges du fond lorsqu’ils dénaturent les clauses soumises à leur examen. Souverain, le pouvoir des juges ne doit toutefois pas être arbitraire et sous couvert d’interprétation, ces derniers ne doivent pas s’arroger le pouvoir de modifier le sens ou le contenu d’un contrat dépourvu de toute ambiguïté.

Par principe, et comme le rappelle la cour dans la première espèce rapportée à propos d’une police d’assurance, dès lors que les termes d’une convention sont clairs et précis, le juge ne peut, sans porter atteinte à l’article 1134, dénaturer les obligations qui en résultent ni modifier les stipulations qu’elles renferment (Civ. 15 avr. 1872, Veuve Foucauld et Coulombe c/ Pringault). Ainsi la Cour exerce-t-elle un pouvoir de contrôle du besoin d’interprétation, vérifiant l’existence d’un doute véritable sur le sens des termes du contrat. Ce contrôle se justifie par le fait qu’en dénaturant la loi des parties, le juge trahit leur volonté, pourtant clairement exprimée, bouleversant ainsi l’économie du contrat en en modifiant les effets, ce qui constitue une violation ouverte de l’article 1134, expressément visé dans les deux décisions rapportées.

Civ.3e, 21 janv.2016, n°14-25.720 et Civ.3e, 21 janv.2016,  n°14-18.075

 

 

 

 

Auteur :M. H.


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