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[ 25 mars 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité du fait des produits défectueux : reconnaissance d’un lien de causalité entre la prise du Mediator et la survenance d’une pathologie

Mots-clefs : Responsabilité civile, Médicament, Pathologie, Lien de causalité (oui), Responsabilité du fait des produits défectueux (oui)

La prise du Mediator étant à hauteur de 80% la cause de l’affection survenue chez la victime, les juges en déduisent l’existence d’un lien de causalité entre cette pathologie et l’utilisation de ce médicament, produit défectueux engageant la responsabilité du laboratoire sur le fondement de l’article 1386-4 du Code civil.

Une femme à qui avaient été prescrites, entre 1998 et 2008, des cures de Mediator développa une affection. Elle avait alors assigné en référé le laboratoire fabricant ce médicament pour obtenir la désignation d'un expert et le paiement de provisions à valoir sur la réparation de son dommage et les frais de procédure. L'affaire avait ensuite été portée en cause d'appel et, pour accueillir les demandes de provision de la victime, la cour retint qu'elle établissait, sans contestation sérieuse, l'existence d'un lien de causalité entre sa pathologie et la prise du médicament pendant dix années, que le produit était défectueux en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché du médicament sur la notice duquel aucune information sur les risques liés à son utilisation n’était apportée. Le laboratoire forma un pourvoi en cassation, à l'appui duquel il soutenait, notamment, que c'est seulement dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable que le juge des référés peut accorder une provision au créancier alors qu'il existait au contraire, en l’espèce, une contestation sérieuse s’agissant de l'imputabilité du dommage à la prise du médicament, les troubles allégués ayant pu raisonnablement avoir été causés ou favorisés par d’autres facteurs (état de santé antérieur, facteurs de risque, prescription antérieure d’autres médicaments). 

La Haute juridiction rejette le pourvoi du laboratoire et approuve les juges du fond d'avoir retenu l'existence d'un lien de causalité entre la prise du médicament et la pathologie de la victime. 

Elle juge tout d’abord que l'exclusion par l'expert de l'implication d'autres médicaments dans la survenue d'une affection, permettant aux juges du fond d’avoir déduit un lien de causalité entre la pathologie et la prise du Mediator pendant dix années, exclusion qui n'est pas sérieusement contestable, donne droit au versement d'une provision à la victime. 

Elle affirme ensuite que la constatation, par les juges du fond, du défaut du produit, à la suite de la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifiait pas le bénéfice qui en était attendu, suffisait à engager la responsabilité du laboratoire dont ce dernier n’avait su s’exonérer par la preuve, que les juges n’avaient pas eux à rechercher, que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit a été mis en circulation, ne lui permettait pas de déceler l’existence du défaut (C. civ., art. 1386-11, 4°).

« Ah ! qu’il m’explique un silence si rude ; je ne respire point dans cette incertitude » (Racine, Bérénice, acte II, scène 5). Par nature anxiogène, l’incertitude crée une inquiétude légitime chez ceux qui y sont confrontés alors qu’ils entendent se prévaloir du droit de la responsabilité civile. Ainsi, en matière médicale, si l’existence du dommage peut ne faire aucun doute, ses causes sont souvent moins aisément identifiables. En effet, lorsqu’une maladie survient à la suite de la prise d’un médicament, il est souvent difficile d’établir scientifiquement avec certitude le lien de causalité entre ces deux événements. Défavorable à la victime, ayant la charge de rapporter la preuve de l’origine de son dommage, cette incertitude a cependant été, par divers moyens, surmontée par les juges. Soucieux de réparer le dommage de la victime, les juges ont, notamment, fait le choix d’apprécier de manière souple les conditions d’engagement de la responsabilité médicale, principalement en se montrant indulgents quant à la preuve du lien causal. Ainsi la Cour de cassation recourt-elle depuis longtemps aux présomptions de causalité, celles-ci permettant à la victime, à condition qu’elles soient graves, précises et concordantes, d’être dispensée de rapporter la preuve scientifique certaine du rôle causal du médicament dans la survenance de sa pathologie. En cette matière, l’expertise technique l’emporte naturellement sur l’analyse proprement juridique. La décision rapportée en est une parfaite illustration, l’élément déterminant de la décision des juges étant le rapport d’expertise qui exclut l’incidence de la prise antérieure d’autres médicaments par la victime sur la survenance de l’affection litigieuse et fixant, selon une approche mathématique et statistique même faillible, à 80% la part de ses préjudices imputables au Mediator. Les juges en ont alors déduit un lien de causalité, quoiqu’il reste incertain, entre la pathologie développée et la prise du médicament durant dix années. De surcroît, les éléments versés aux débats ont permis aux juges de considérer le Mediator comme un produit défectueux au sens de l’article 1386-4 du Code civil, en ce qu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, ce que l’équation défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées puis sanctionné par son retrait du marché fit apparaître, et compte tenu également, conformément à une jurisprudence constante, de l’absence totale d’information sur les risques que ce médicament présentait sur les notices l’accompagnant lorsqu’il était encore distribué. Enfin, le laboratoire, auquel incombait pourtant la charge de cette preuve, n’a su opposer d’éléments sérieux permettant de considérer qu’en l’état des connaissances scientifiques au cours des dix années durant lesquelles le médicament fut prescrit à la victime, le défaut ne pouvait être décelé, en sorte qu’il ne pouvait profiter de cette cause légale d’exonération de responsabilité, celle-ci étant de plein droit. 

Civ. 1re , 25 févr. 2016, n° 15-11.257

 

Auteur :M. H.


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