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[ 4 avril 2016 ] Imprimer

Procédure civile

Secret professionnel de l’avocat : une obligation relative

Mots-clefs : Déontologie, Avocat, Secret des affaires, Secret professionnel, Domaine, Documents détenus par l’adversaire (non)

L’avocat n’est pas tenu au secret professionnel s’agissant des documents détenus par l’adversaire de son client.

Saisi d’un litige relatif à la communication de documents détenus par une société demanderesse à l’instance et susceptibles de relever du secret des affaires, le président d’un tribunal de commerce avait ordonné à un huissier de justice, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, de se faire remettre et conserver sous séquestre ces documents sur support informatique pour permettre à cette société de faire valoir ses droits à l’encontre de la société défenderesse. La demanderesse avait assigné cette dernière pour obtenir la communication des pièces séquestrées. En présence de la défenderesse et en l’absence de la demanderesse, le juge avait dressé la liste de celles dont il autorisait la communication, après avoir vérifié qu’elles ne portaient pas atteinte au secret des affaires.

La cour d’appel annula l’ordonnance et dit que l’avocat de la société demanderesse pourra prendre connaissance des documents séquestrés pour débattre équitablement de leur communication au cours d’une nouvelle audience devant le juge des référés. Selon la cour, la conciliation du principe du contradictoire et de la protection due au secret des affaires est assurée en réservant la consultation des documents litigieux aux seuls avocats, tenus au secret professionnel à l’égard de toute personne leur confiant une information confidentielle en raison de leur qualité.

La société défenderesse forma un pourvoi en cassation, soutenant principalement que le secret professionnel de l’avocat ne constituait pas une garantie suffisante du respect du secret des affaires, dans la mesure où il n’a pas vocation à jouer à l’égard de l’adversaire du client de l’avocat.

La première chambre civile lui donna raison. Au visa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dont la première chambre civile déduit que seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l’avocat et son client ou entre l’avocat et ses confrères, les notes d’entretien et les pièces du dossier, elle censure la décision des juges du fond au motif que le secret professionnel des avocats ne s’étend pas aux documents détenus par l’adversaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires, et dont le refus de communication constitue l’objet même du litige. 

Dépourvu de valeur constitutionnelle (Cons. const. 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, § 16), le secret professionnel de l’avocat est une obligation dont le domaine n’est pas illimité, comme en témoigne ici la Cour, qui affirme que cette obligation ne s’étend pas au-delà des documents échangés entre l’avocat et son client ou entre l’avocat et ses confrères. Plusieurs arguments permettent de justifier une telle solution. Tout d’abord, le fait de réserver aux seuls avocats des parties la consultation des éléments séquestrés ne permet pas de garantir le respect du secret des affaires. Les juges du fond avaient en fait confondu secret professionnel et secret des affaires, et comparé à tort le secret des affaires au secret de l’instruction en s’appuyant sur un arrêt de la Cour européenne de droits de l’homme du 14 juin 2005 (CEDH 14 juin 2005, Menet c/ France, n° 39553/02). Or aucun texte ne prévoit, à l’instar de l’article 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 interdisant à l’avocat, en matière pénale et à l’effet de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction, de communiquer des renseignements extraits du dossier, que l’avocat doit également respecter le secret des affaires. En outre, le fait de réserver aux avocats la consultation des documents séquestrés, en ce qu’il aurait pour effet de priver celle des parties qui n’aurait pas constitué avocat d’accéder aux pièces, conduirait à méconnaître le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Aussi bien, si l’on s’en tient au fait que l’avocat est avant tout l’avocat de son client, en charge de la défense de ses intérêts et d’élaborer avec lui une stratégie judiciaire, il ne saurait être tenu, au titre de son devoir de loyauté et de délicatesse, de ne pas mettre au profit de son client des éléments qui lui auraient été transmis par l’adversaire de ce dernier et qui pourraient être utiles à sa défense. Sous cet angle, choisi par la Haute cour, le secret professionnel de l’avocat ne saurait être étendu aux documents détenus par l’adversaire de son client dès lors que pour le représenter utilement, l’avocat doit être en mesure de discuter préalablement avec son client du contenu des pièces examinées ce qui impliquait, en l’espèce, de lui faire part des éléments utiles pouvant être tirés des documents litigieux.

Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 14-25.729

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 

« Droit à un procès équitable1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; 10 11 c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend  pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ Cons .const. 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC.

■ CEDH 14 juin 2005, Menet c/ France, n° 39553/02.

 

Auteur :M. H.


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