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[ 26 février 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Sexe / Age …des critères discriminatoires aux régimes désormais distincts…

La Cour de cassation réitère sa position concernant le régime du licenciement discriminatoire. Tous les critères ne se valent pas. Certains critères, au motif qu’ils sont l’expression d’un droit fondamental, ouvrent droit à une indemnisation différente des autres. Si l’âge reste au stade des critères non spécialement protégés, la maternité change de catégorie car elle est désormais reliée au sexe !

Le régime de la sanction d’un licenciement discriminatoire est alambiqué. Certes, l’article L. 1132-4 du Code du travail énonce clairement que l’acte est nul. 

Depuis longtemps la Cour de cassation offre alors au salarié une option qui a été entérinée par le législateur en 2016 et codifiée à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail. 

Soit le salarié demande une indemnisation : le juge est alors contraint par un plancher de 6 mois de salaire mais aucun plafond ne s’impose à lui. 

Soit le salarié souhaite poursuivre son contrat et exige sa réintégration. Il doit alors percevoir une somme égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration.Les difficultés apparaissent lorsqu’il faut chiffrer la somme qu’il convient de verser au salarié. Deux questions se posent : la première concerne la déduction ou non des revenus de remplacement versés au salarié entre son licenciement et sa réintégration. La seconde concerne le point de départ du calcul lorsque le salarié tarde à demander sa réintégration. La Cour de cassation précise ces deux questions dans deux arrêts du 22 et 29 janvier 2020. 

■ La déduction des revenus de remplacement

Généralement, le salarié dont le licenciement est annulé aura perçu d’autres revenus entre son licenciement et sa réintégration effective. Faut-il alors déduire de l’indemnisation qui lui est versée les différents revenus perçus : allocation de retour à l’emploi, prestation en espèce de la sécurité sociale, salaire s’il a retrouvé un emploi … ? A cette question, la Cour de cassation a donné des réponses différentes selon le motif de la nullité. Lorsqu’un licenciement est nul car attentatoire à une liberté fondamentale, aucune déduction des revenus de remplacement ne doit être opérée. En revanche, pour les autres causes de nullité de licenciement, il faut indemniser le salarié à hauteur de son préjudice, et par conséquent déduire les revenus de remplacement. Ainsi, un licenciement lié à l’exercice du droit de grève ouvre droit à une somme couvrant l’intégralité des salaires perdus, sans aucune déduction (Soc. 2 févr. 2006, n° 03-47.481) alors que le licenciement nul pour dénonciation d’un harcèlement implique une telle réduction (Soc. 14 déc. 2016, n° 14-21.325). Concernant le licenciement discriminatoire, la Cour de cassation exige de rapporter le critère illicite à une liberté fondamentale pour admettre l’absence de déduction des revenus de remplacement. Tous les critères ne se valent donc pas. Dans les deux arrêts commentés, la Cour était appelée à se prononcer sur le critère de l’âge et de la grossesse. 

Dans le premier arrêt (n° 17-31.158), un salarié de la SNCF avait été mis à la retraite d’office à l’âge de 55 ans et avait obtenu la nullité de cette mesure discriminatoire. Sans surprise, la Cour de cassation énonce que le salarié qui demande sa réintégration a droit à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement. La solution avait déjà été énoncée en 2017 et la Cour avait précisé son raisonnement en affirmant que : « le principe de non-discrimination en raison de l'âge ne constitue pas une liberté fondamentale consacrée par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni par la Constitution du 4 octobre 1958 » (Soc. 15 nov. 2017, n° 16-14.281). Cette solution a été vivement critiquée par une partie de la doctrine car elle laisse entendre qu’il faudrait qu’un droit soit énoncé par la Constitution pour qu’il soit qualifié de fondamental (sans toutefois que ce critère formel soit suffisant puisque le droit à l’emploi, pourtant énoncé au Préambule de 1946, n’a pas été qualifié de droit fondamental : Soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.270). L’interdiction de tenir compte de l’âge du salarié est certes un principe général du droit de l'Union européenne mais pour la Cour régulatrice, le caractère illicite de ce critère ne peut être rattaché à aucun droit fondamental, contrairement à la maternité.

Dans le second arrêt (n° 18-21.862), une femme avait obtenu la nullité de son licenciement prononcé en raison de son état de grossesse. Statuant sur son indemnisation, la cour d’appel avait déduit du rappel de salaire les revenus de remplacement. La solution est cassée au visa de l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui garantit l’égalité de droits entre les femmes et les hommes. Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence qui était toutefois attendu (compar. Soc. 30 sept. 2010, n° 08-44.340) puisqu’il avait été pronostiqué par un conseiller de la Chambre sociale (J.- G. Huglo, Qu'est-ce qu'une liberté fondamentale au sens de la Chambre sociale ?, RDT 2018. 346). Ce n’est donc pas la grossesse qui est protégée en tant que telle, ni même la situation familiale, mais l’égalité entre les sexes. La future mère mérite une protection renforcée car son licenciement est lié à son sexe. Si le lien entre la maternité et le sexe est classique, il soulève néanmoins immédiatement d’autres interrogations. Qu’en serait-il du licenciement d’un salarié ayant pris un congé d’adoption ? Dira-t-on que la protection doit être moindre car la question de l’égalité des sexes n’est pas en jeu ou la protection de la qualité de parent - donc la situation familiale - assurera-t-elle une protection équivalente ? La solution dépendra du statut que la Cour de cassation confère au droit à mener une vie familiale normale. Or le Conseil constitutionnel rattache ce droit à l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946 (Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012) et son caractère fondamental pourrait être reconnu. 

On relèvera que ce régime distinct entre les critères discriminatoires ne se limite pas au montant perçu par le salarié. Il pose bien d’autres épineuses questions, en particulier sur la nature des sommes que l’employeur est condamné à verser au salarié. Sont-elles de nature à générer l’ouverture de droit à des prestations en espèces comme la retraite, le chômage, une rente d’invalidité ? (Sur ces questions essentielles, V. M. Peyronnet, Conséquences indemnitaires de la nullité du licenciement pour harcèlement moral, Dalloz Actualité, 3 janv. 2017).

■ Le point de départ du calcul de l’indemnité

Lorsque le licenciement est nul, la Cour énonce que le calcul de l’indemnité versée au salarié doit s’effectuer sur la base des salaires qui auraient dû être perçus entre la rupture du contrat et la réintégration. Or, la Cour de cassation considère depuis longtemps qu'aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration en conséquence de la nullité de leur rupture de son contrat de travail (Soc. 25 mars 2015, n° 14-10.956 et Soc. 5 juill. 2017, n° 16-14.216). Aussi, plus le salarié tarde à faire sa demande, plus le montant du rappel de salaire peut s’avérer conséquent. Dans l’arrêt concernant l’agent de la SNCF (n° 17-31.158), ce dernier avait été mis à la retraite d’office en 2005, à l’âge de 55 ans. Il avait saisi le juge d’une demande en annulation de son licenciement en 2010 et souhaitait une indemnisation couvrant les salaires perdus jusqu’à sa réintégration effective…La Cour d’appel avait reconnu le caractère discriminatoire mais limité le montant de l’indemnisation à 3 000 euros. Le débat était particulièrement délicat car le salarié avait entre-temps atteint la limite d’âge des agents de la SNCF fixée par décret à 65 ans. Il fallait donc distinguer deux périodes, la première allant de la rupture du contrat jusqu’à la limite d’âge et la seconde courant à compter de la limite d’âge. Pour la seconde période, la Cour considère que la demande en réintégration et la perte de revenu subséquente n’était pas fondée. Mais ce qui est remarquable c’est que dans l’analyse de la situation de ces deux périodes, la Cour de cassation soulève à deux reprises le problème de la demande de réintégration tardive. Elle précise alors que lorsque le salarié présente de façon abusive sa demande tardivement, le point de départ du calcul n’est plus la date d’éviction mais la date de la demande de réintégration. Cette solution, nouvelle à notre connaissance concernant la discrimination, reprend en revanche une solution récemment énoncée pour le licenciement prononcé en violation du statut protecteur des titulaires d’un mandat. Lorsqu’un salarié est licencié sans autorisation préalable, son licenciement est nul et il peut exiger sa réintégration, auquel s’ajoute les salaires dont il a été privé. Toutefois là encore, s’il tarde trop à présenter sa demande de réintégration il n'a droit, au titre de la violation du statut protecteur, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui de sa réintégration effective (Soc. 7 nov. 2018, n° 17-14.716 ; Soc., 10 juill. 2019, n° 18-13.933). Toute la difficulté consiste à identifier les critères d’une demande tardive…

Soc. 22 janv. 2020, n° 17-31.158

Soc. 29 janv. 2020, n° 18-21.862 

Références

■ Soc. 2 févr. 2006, n° 03-47.481 P: D. 2006. 531, obs. E. Chevrier ; RDT 2006. 42, obs. O. Leclerc

■ Soc. 14 déc. 2016, n° 14-21.325 P: D. 2017. 12

■ Soc. 15 nov. 2017, n° 16-14.281 P: D. 2017. 2375 ; ibid. 2018. 190, chron. F. Ducloz, F. Salomon et N. Sabotier ; RDT 2018. 132, obs. M. Mercat-Bruns

 Soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.270 P: D. 2017. 1923, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien ; RDT 2017. 717, obs. M. Galy

■ Soc. 30 sept. 2010, n° 08-44.340

■ Cons. const. 16  mai 2012, n° 2012-248 QPC: AJDA 2012. 1036 ; D. 2013. 1235, obs. REGINE ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 406, obs. F. Chénedé ; RDSS 2012. 750, note D. Roman ; RTD civ. 2012. 520, obs. J. Hauser

■ Soc. 25 mars 2015, n° 14-10.956

 

■ Soc. 5 juill. 2017, n° 16-14.216

 

■ Soc. 7 nov. 2018, n° 17-14.716  P: D. 2018. 2192 ; Dr. soc. 2019. 85, obs. J. Mouly

■ Soc. 10 juill. 2019, n° 18-13.933

Pour aller plus loin : 

■ Nicolas Moizard, Le principe de non-discrimination en raison de l'âge doit constituer une liberté fondamentale, Dr. Soc. 2018. 537

■ M. Merca-Brun, Le principe de non-discrimination en raison de l'âge ne constitue pas une liberté fondamentale, RDT 2018. 132

■ M. Peyronnet, Conséquences indemnitaires de la nullité du licenciement pour harcèlement moral, Dalloz Actualité, 3 janv. 2017

■ J. Mouly, L'indemnisation des salariés protégés en cas de demande tardive de réintégration : même partiellement excusable, un retard peut être abusif, Dr. Soc. 2019. 85

■ J. Mouly, Violation du statut protecteur : incidence du départ à la retraite sur l'indemnisation d'un salarié ayant demandé sa réintégration, Dr. Soc. 2019. 365

 

Auteur :Chantal Mathieu


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