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[ 18 janvier 2016 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Sûretés mobilières : le spécial l’emporte sur le général

Mots-clefs : Sûretés, Gage, Gage de meubles corporels sans dépossession, Gage spécial sur stock, Cumul (non), Exclusivité (oui)

Le gage des stocks de l'article L. 527-1 du Code de commerce, dont le régime déroge au gage sans dépossession de droit commun est d'application exclusive.

Par la réforme du droit des sûretés, intervenue par ordonnance (Ord. n° 2006-346 du 23 mars 2006), le législateur a créé un nouveau type de gage, dit gage des stocks, depuis intégré dans le Code de commerce et pour lequel a été prévu un régime dérogatoire au droit commun du gage sans dépossession, issu du même texte. Si la disparition du caractère réel du gage (C. civ., art. 2336) et la reconnaissance de sa publicité comme mode d'opposabilité (C. civ., art. 2337) auraient pu justifier que le législateur prévoie la constitution du gage de droit commun sur certains éléments de stock, ce dernier a fait le choix de créer une sûreté spéciale et de l'assortir d'un régime plus sévère à l’effet principal de préserver l’activité des entreprises et de leur permettre d’affronter plus efficacement les difficultés financières qu’elles sont susceptibles de rencontrer. Cependant, face à la coexistence des sûretés existantes, les créanciers pouvaient-ils librement soumettre leur gage à l’un ou l’autre des deux régimes pour s'affranchir des contraintes posées par le régime du gage commercial sur stocks ?

Dans l'affaire soumise à l’assemblée plénière, la banque créancière avait opté en faveur du droit commun en garantissant le prêt consenti par un gage grevant un stock de marchandises comprenant un pacte commissoire, expressément prohibé dans le régime du gage spécial par l'article L. 527-2 du Code de commerce. Lors de la réalisation de la sûreté, le créancier avait mis en œuvre le pacte commissoire. La cour d'appel de Paris en avait admis le bien-fondé, procédant d’une analyse exégétique des textes tant du Code de commerce que du Code civil, pour admettre l'absence d'exclusivité au profit du gage des stocks et juger en conséquence que les parties pouvaient valablement préférer un gage sans dépossession de droit commun et ainsi mettre en œuvre le pacte commissoire convenu, qui est de droit dans le gage de droit commun. La chambre commerciale, saisie de la question de l'exclusivité de la sûreté commerciale spéciale, avait censuré l'arrêt des juges du fond pour fausse application de l'article 2333 du Code civil et refus d'application de l'article L. 527-1 du Code de commerce aux motifs que « s'agissant d'un gage portant sur des éléments visés à l'article L. 527-3 du Code de commerce, les parties, dont l'un est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meuble sans dépossession ». La cause et les parties avaient été renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée, qui avait statué dans le même sens que précédemment, retenant que l'examen du texte ne permettait pas d'affirmer la volonté du législateur d'exclure les banques prêtant sur stocks du bénéfice du gage sans dépossession de droit commun. Un pourvoi ayant été formé contre cet arrêt, la chambre commerciale a, par arrêt du 16 juin 2015, décidé le renvoi devant l'assemblée plénière, laquelle confirme la solution adoptée en 2013 par la chambre commerciale.

Cette confirmation était quasiment inévitable, sauf à jouer sur les mots employés par l’article L.527-1 du Code de commerce (Tout crédit consenti par un établissement de crédit ou une société de financement à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l'exercice de son activité professionnelle peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks détenus par cette personne.). Ainsi l'emploi du verbe « pouvoir » et non de « devoir » aurait pu justifier le cumul des deux sûretés et l’option alors offerte au créancier entre elles deux. En vérité, la seule option offerte par le texte ne vise sans doute que la faculté dont peut disposer le créancier de souscrire une garantie sur un tel actif. De surcroît, l’application de l’adage specialia generalibus derogant justifie l’exclusivité. L’hypothèse de l’espèce correspondant en tous points à celle prévue par le législateur (« un gage portant sur des éléments visés à l'article L. 527-3 (…) dont l'une (des parties) est un établissement de crédit »), le droit spécial devait nécessairement trouver à s’appliquer. Un argument de texte peut également être avancé au soutien de l’exclusivité du gage des stocks : l’article 2354 du Code civil, faisant primer les dispositions particulières « prévues en matière commerciale ou en faveur des établissements de prêt sur gage autorisés » sur les dispositions générales prévues par le Code civil. 

L’argument de la ratio legis permet également d’expliquer la solution finalement retenue. L'esprit de la réforme intervenue en 2006 résidait sans nul doute dans l'exclusivité des régimes spéciaux, d’une part du fait que ce sont les mêmes auteurs qui ont choisi de prévoir deux sûretés distinctes, ce qui condamne l’idée de leur application alternative, ces derniers n’ayant certainement pas entendu conférer au gage des stocks qu’une portée résiduelle à laquelle aurait inévitablement conduit la liberté de choix offerte aux parties, d’autre part, l'article 2355 du Code civil (al. 4 et 5), relatif aux nantissements de biens incorporels, confirme le choix du législateur de ne donner au régime de droit commun du Code civil qu’un caractère subsidiaire, à l'instar du gage des stocks consacré dans le Code de commerce. 

Néanmoins, la majorité de la doctrine condamne à cette solution. Elle déplore tout d’abord la rigueur et le formalisme du gage des stocks, qui exige la rédaction d'un acte sous seing privé doté de sept mentions « sacramentelles » (C. com., art. L. 527-1), dont l’absence d’une seule d’entre elles entraîne la nullité de l’acte, qui ne peut alors être « reclassé » en gage de droit commun, et qui, de surcroît impose un délai de publicité inexistant en droit commun. Surtout, son régime est critiqué en ce que le pacte commissoire, au cœur de l'arrêt commenté, et largement utilisé en matière commerciale, est expressément prohibé par l'article L. 527-2 du Code de commerce alors qu’il est autorisé en droit commun. 

Ass. plén., 7 déc. 2015, n° 14-18.435

 

Auteur :M. H.


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