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[ 26 mai 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Surveillance policière par drones : le « oui, mais… » du Conseil d’État

Par ordonnance de référé du 18 mai 2020, le Conseil d’État a enjoint à l’État de cesser la surveillance policière par drones mise en place à l’occasion du confinement et poursuivie depuis le 11 mai, au motif que la captation d’images par drones constitue un traitement de données à caractère personnel et doit être assorti de garanties suffisantes.

Depuis le 17 mars 2020, la préfecture de police de Paris a mis en œuvre une surveillance aérienne par drones afin de veiller au respect des mesures de confinement. Ces aéronefs survolaient la voie ou les espaces publics à une hauteur allant jusqu’à cent mètres en captant en temps réel des images prises sous un grand angle. Ces images permettaient d’observer les éventuels rassemblements ou la fréquentation de lieux interdits d’accès du fait du plan d’urgence sanitaire. Le cas échéant, sommation était faite de se disperser ou de quitter les lieux à l’aide du micro installé sur l’appareil. Si nécessaire, la sommation était suivie une intervention physique. Aucune information portant sur les conditions d’utilisation des drones par la police n’a été communiquée, faisant peser de sérieux doutes quant au respect des libertés individuelles.

Ce n’est que le 27 avril 2020 que la préfecture de police de Paris accepte de fournir quelques précisions par le biais du journal Mediapart (C. le Foll, Avec le confinement, les drones s’immiscent dans l’espace public, V. interview et communiqué). Les documents communiqués précisent que les images « sont transmises sur une tablette à disposition de l’autorité responsable du dispositif ou sur un poste fixe dédié, installé dans le centre de commandement de la direction en charge de la conduite des opérations ». Elles ne permettent pas, selon ces documents, d’identifier les individus du fait du grand angle utilisé et « ne font l’objet d’aucun recoupement avec des fichiers de police ». Concernant la conservation des fichiers, « dès la fin de la mission, les images sont supprimées de la carte mémoire ».

C’est sur le fondement de ces communications que deux associations, La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d’une requête en référé-liberté tendant à suspendre la décision du préfet de police de Paris instituant de telles pratiques, et en conséquence à cesser la pratique et à détruire les images déjà captées.

L’usage des drones par la police n’est pas encadré par des dispositions spéciales. En effet, les drones utilisés pour le compte de l’État dans le cadre de missions de police, lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l’ordre et de la sécurité publics le justifient, bénéficient d’une dérogation aux dispositions de l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent (art. 8) et de l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord (art. 10). Il reste qu’ils sont soumis aux dispositions relatives à la vidéo protection (CSI, art. L. 251-1 à L. 263-1), notamment au respect de l’une des finalités visées par la liste limitative de l’article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure (M. Bourgeois et B. Touzanne, Les aéronefs civils télépilotés avec capteurs : des « drones de droit », CCE 2015. Étude 22, spéc. n° 13).

En outre, un tel usage demeure soumis au droit au respect de la vie privée (C. civ., art. 9 ; C. pén., art. 226-1) et, le cas échéant, au droit à la protection des données personnelles (Règl. (UE) 2016/679 du 27 avr. 2016 ; Dir. (UE) 2016/680 du 27 avr. 2016. – V. sur cette articulation : M. Bourgeois et B. Touzanne, préc. ; C. Rotily et L. Archambault, Drones civils professionnels et RGPD : enjeux liés à la collecte des données personnelles et au respect de la vie privée, Dalloz IP/IT 2019. 376).

Or, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rejette la demande des associations requérantes, au motif que la surveillance policière par drones ne constitue pas un traitement de données à caractère personnel, en l’absence de preuve de l’utilisation des drones de manière à identifier les individus.

Ce raisonnement sera bien entendu censuré par le Conseil d’État qui reconnaît que la préfecture de police de Paris a procédé à un traitement de données à caractère personnel. Un traitement est effectivement défini comme une opération appliquée à des données personnelles, telle que « la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la structuration, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, la limitation, l'effacement ou la destruction » (Règl., art. 4 2 ; Dir., art. 3 2), tandis qu’une donnée personnelle est « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » (Règl., art. 4 1 ; Dir., art. 3 1). En l’espèce, les drones étaient susceptibles d’identifier une personne grâce à leur zoom optique, ce qui est suffisant pour caractériser un traitement de données personnelles, qu’importe ainsi que la préfecture de police n’ait pas la volonté d’identifier effectivement les personnes ou que les images ne soient pas conservées (relevons à cet égard que la fiche du 14 mai 2020 communiquée par la préfecture aux débats expose que « les drones ne sont plus équipés d’une carte mémoire », contrairement à la communication adressée à Mediapart).

Le simple accès à des données à caractère personnel constitue en conséquence un traitement de données personnelles qui est soumis aux dispositions y afférent. Dès lors, expose le Conseil d’État, un arrêté autorisant un tel traitement doit être pris après avis motivé et publié de la CNIL, conformément à l’article 31 de la loi « Informatique et Libertés » n° 78-17 du 6 janvier 1978, qui permet d’encadrer sa mise en œuvre et d’y assurer les garanties suffisantes pour la sauvegarde des droits et intérêts des personnes concernées. En l’absence de ce cadre réglementaire, le Conseil d’État enjoint à l’État de cesser sans délai de procéder aux mesures de surveillance policière par drones à Paris, étant précisé qu’un tel raisonnement s’applique à toute autre autorité qui s’affranchirait d’un arrêté autorisant le traitement.

Une autre possibilité est proposée par le Conseil d’État. Il s’agit de doter « les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées ». Ce faisant, le dispositif de surveillance par drones n’entrerait pas dans le champ d’application de la protection des données à caractère personnel.

Par principe, la surveillance policière par drones n’est donc pas interdite. Le Conseil d’État relève à cet égard que la finalité poursuivie reste légitime, celle-ci étant d’informer le centre de commandement qui déciderait le cas d’échéant de procéder à la dispersion d’un rassemblement ou à l’évacuation des lieux fermés au public. Cependant, elle doit disposer d’un cadre réglementaire, assuré par la protection des données à caractère personnel. La CNIL a ainsi indiqué mener des investigations depuis le 20 avril 2020 et « prendra position sur cette question à l’issue des procédures de contrôle en cours » (Communiqué du 18 mai 2020).

CE, ord., 18 mai 2020, n° 440442, 440445

 

Auteur :Cécile Crichton


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