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[ 20 février 2015 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Un indivisaire peut, seul, donner mandat de vendre le bien indivis à un tiers

Mots-clefs : Indivision, Mandat de vente, Absence d’unanimité des indivisaires, Validité du contrat, Inopposabilité aux coïndivisaires

Le contrat par lequel un indivisaire, agissant seul, donne mandat à un tiers de vendre la chose indivise, s'il est inopposable, sauf ratification, aux coïndivisaires, n'est pas nul et produit ses effets entre les contractants.

La propriétaire d'une maison d'habitation en indivision avait donné, seule, mandat non exclusif de vente à une première agence immobilière, puis à une seconde, laquelle avait fait visiter le bien, à deux reprises, à un couple. Celui-ci avait, par l'entremise de la première agence, signé une promesse de vente avec les propriétaires indivis. La seconde agence avait assigné la mandante en paiement de la clause pénale prévue au contrat. Celle-ci lui avait opposé la nullité du contrat, ce que la cour d’appel refusa de prononcer en déclarant le mandat de vente valable, au motif que si un tel mandat ne liait pas les indivisaires autres que la mandante, il n'était pas nul et produisait ses effets entre les parties au contrat.

L’héritière de la mandante forma un pourvoi contre cette décision. Elle soutint, tout d’abord, que le mandat par lequel un agent immobilier se voit confier le droit d'aliéner un bien indivis ou de représenter les indivisaires pour conclure la vente est un acte de disposition requérant, selon la règle de l’unanimité, le consentement de tous les indivisaires. Elle affirma, ensuite, que la validité d’un mandat de vente dépend de la rédaction d’un écrit contenant l'engagement de toutes les parties et du pouvoir de vendre le bien objet du mandat par ceux y ayant procédé ; or, le mandat litigieux ne comportant pas l'engagement de l’ensemble des indivisaires, le mandataire se trouvait privé du pouvoir de vendre le bien objet du contrat, lequel aurait donc dû être annulé.

Cette argumentation est rejetée par la Cour, l'arrêt rendu ayant exactement retenu que le contrat par lequel un indivisaire, agissant seul, donne mandat à un tiers de vendre la chose indivise, s'il est inopposable, sauf ratification, aux coïndivisaires, n'est pas nul et produit ses effets entre les contractants.

Dans sa rédaction de 2006, l'article 813, alinéa 1er, du Code civil autorise expressément les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis à conclure un mandat d'administration des biens indivis soit avec l’un d’entre d'eux, soit avec un tiers. Sous l’empire du droit antérieur, on enseignait déjà que tous les indivisaires pouvaient donner mandat à l’un d’entre eux ou à un tiers, mais à la condition qu’il s’agisse d’actes d’administration. En revanche, un mandat spécial était nécessaire pour tout acte étranger à l’exploitation normale des biens indivis, celle-ci devant être entendue comme celle qui, conformément aux usages antérieurs, tient compte de la destination du bien et n’en compromet pas la substance. Partant, elle ne permet pas d’accomplir des actes de disposition, à moins que la destination du bien soit d’être vendu, comme des marchandises (v. P. Catala).

Sans rompre ouvertement avec l’ancienne législation, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, dont le nouveau texte est issu, prévoit expressément que seul un mandat général d’administration puisse être confié à un tiers (ou à l’un ou plusieurs des coïndivisaires). Si l’on s’en tient aux termes même du texte de l’article 815-3, un tel mandat ne peut jouer que pour les actes qui sont dispensés de l’exigence de l’unanimité, c’est-à-dire pour les actes d’administration. En revanche, pour les actes de disposition, lesquels requièrent l’unanimité, le mandat à un tiers ne devrait être possible qu’à la condition d’être donné par l’unanimité des indivisaires. C’était d’ailleurs ce sur quoi se fondait la thèse du pourvoi pour contester la validité du mandat de vente (acte de disposition) litigieux. L’argument reposait toutefois sur une confusion entre validité et opposabilité du contrat.

Même si le contrat par lequel un agent immobilier se voit confier par un seul des indivisaires le droit d'aliéner le bien en indivision, ou de représenter les indivisaires pour conclure la vente, est un acte de disposition requérant le consentement de tous les indivisaires, un tel mandat n'est pas nul pour autant (v. Y. Lequette, Fr. Terré, S. Gaudemet). Valable entre les parties, ce contrat a force obligatoire entre elles – l'indivisaire et l'agent immobilier.

Simplement, conformément au principe de relativité contractuelle et de la règle de l’unanimité en matière d’indivision, un tel contrat est inopposable aux indivisaires ne l’ayant pas ratifié (v. déjà Civ. 1re, 16 juin 1987).

La cassation partielle de l’arrêt d’appel était également prévisible. Les deux mandats confiés aux intermédiaires étaient des mandats sans exclusivité ; le mandant ne peut, dans ce cas, être tenu d’indemniser que celui par l'entremise duquel l'opération a effectivement été conclue au sens de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce , dite loi « Hoguet », même lorsque l'acquéreur lui a été précédemment présenté par une première agence, sauf à cette dernière de démontrer une faute du vendeur qui l'aurait privé de la réalisation de la vente.

Or, pour retenir la faute de la venderesse, la cour d’appel avait déduit du fait que le bien avait été présenté aux acquéreurs par la première agence mandatée seulement 9 jours après la dernière visite effectuée par la seconde (et à un prix inférieur), que la mandante avait sans doute donné à la première agence des instructions en ce sens, sans avoir pu ignorer les deux visites accomplies par sa concurrente.

La Cour de cassation réfute cette conclusion selon laquelle la mandante aurait abusivement privé la seconde agence mandatée de la réalisation de la vente (v. déjà Civ. 1re, 16 mai 2006).

Civ. 1re, 15 janv. 2015, n°13-25.955

Références

 Y. Lequette, Fr. Terré, S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, Les libéralités, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013., n°837 s.

■ P. Catala, « L'indivision », Defrénois 1980, art. 32172, n°71, p. 10.

■ Civ. 1re, 16 juin 1987, n°84-17.840, Bull .civ. I, n° 197.

 Civ. 1re, 16 mai 2006, n° 04-20.477, AJDI 2007. 52.

■ Code civil

Article 813

« Les héritiers peuvent, d'un commun accord, confier l'administration de la succession à l'un d'eux ou à un tiers. Le mandat est régi par les articles 1984 à 2010.

Lorsqu'un héritier au moins a accepté la succession à concurrence de l'actif net, le mandataire ne peut, même avec l'accord de l'ensemble des héritiers, être désigné que par le juge. Le mandat est alors régi par les articles 813-1 à 814. »

Article 815-3

« Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;

2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;

3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;

4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.

Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.

Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux. »

Article 1873-5

« Les coïndivisaires peuvent nommer un ou plusieurs gérants, choisis ou non parmi eux. Les modalités de désignation et de révocation du gérant peuvent être déterminées par une décision unanime des indivisaires.

A défaut d'un tel accord, le gérant pris parmi les indivisaires ne peut être révoqué de ses fonctions que par une décision unanime des autres indivisaires.

Le gérant, qui n'est pas indivisaire, peut être révoqué dans les conditions convenues entre ses mandants ou, à défaut, par une décision prise à la majorité des indivisaires en nombre et en parts. Dans tous les cas, la révocation peut être prononcée par le tribunal à la demande d'un indivisaire lorsque le gérant, par ses fautes de gestion, met en péril les intérêts de l'indivision.

Si le gérant révoqué est un indivisaire, la convention sera réputée conclue pour une durée indéterminée à compter de sa révocation. »

Article 1984

« Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire. »

■ Article 6 de la loi du 2 janvier 1970 

« I- Les conventions conclues avec les personnes visées à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il mentionne en ses 1° à 6°, doivent être rédigées par écrit et préciser conformément aux dispositions d'un décret en Conseil d'Etat :

Les conditions dans lesquelles ces personnes sont autorisées à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit ;

Les modalités de la reddition de compte ;

Les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge.

Les moyens employés par ces personnes et, le cas échéant, par le réseau auquel elles appartiennent pour diffuser auprès du public les annonces commerciales afférentes aux opérations mentionnées au 1° du même article 1er.

En outre, lorsqu'une convention comporte une clause d'exclusivité, elle précise les actions que le mandataire s'engage à réaliser pour exécuter la prestation qui lui a été confiée ainsi que les modalités selon lesquelles il rend compte au mandant des actions effectuées pour son compte, selon une périodicité déterminée par les parties.

Les dispositions de l'article 1325 du code civil leur sont applicables.

Aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif d'honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.

Toutefois, lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle des honoraires sont dus par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause recevra application dans les conditions qui seront fixées par décret. La somme versée par le mandant en application de cette clause ne peut excéder un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.

Lorsque le mandant agit dans le cadre de ses activités professionnelles, tout ou partie des sommes d'argent visées ci-dessus qui sont à sa charge peuvent être exigées par les personnes visées à l'article 1er avant qu'une opération visée au même article n'ait été effectivement conclue et constatée. La clause prévue à cet effet est appliquée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

La convention conclue entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et le propriétaire du bien inscrit sur la liste ou le fichier, ou le titulaire de droits sur ce bien, comporte une clause d'exclusivité d'une durée limitée aux termes de laquelle ce dernier s'engage, d'une part, à ne pas confier la location ou la vente de son bien à une autre personne exerçant une activité mentionnée à l'article 1er et, d'autre part, à ne pas publier d'annonce par voie de presse.

II-Entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et son client, une convention est établie par écrit. Cette convention dont, conformément à l'article 1325 du code civil, un original est remis au client précise les caractéristiques du bien recherché, l'ensemble des obligations professionnelles qui incombent au professionnel mentionné au présent alinéa, la nature de la prestation promise au client et le montant de la rémunération incombant à ce dernier. Elle précise également les conditions de remboursement de tout ou partie de la rémunération lorsque la prestation fournie au client n'est pas conforme à la nature promise dans ladite convention.

Les conditions et les modalités d'application de la mesure de remboursement partiel ou total prévue au premier alinéa du présent II sont définies par décret.

Aucune somme d'argent ou rémunération de quelque nature que ce soit n'est due à une personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er ou ne peut être exigée par elle, préalablement à la parfaite exécution de son obligation de fournir effectivement des listes ou des fichiers, que cette exécution soit instantanée ou successive. »

NOTA : Aux termes de l'article 24 VIII de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, les dispositions introduites par le 8° du I du même article 24 entrent en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant celui de la promulgation de ladite loi, soit le 1er juillet 2014.

 

 

Auteur :M. H.


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