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[ 3 juin 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

Validité du mariage franco-marocain contracté à l’étranger en l’absence de l’épouse

Malgré l’exigence du consentement au mariage des époux, le mariage par procuration de l’épouse étrangère avec un conjoint français n'est pas manifestement incompatible avec l'ordre public, dès lors que l'intégrité du consentement de l’épouse, bien qu’absente de la cérémonie, est établie.

En 2002, un mariage avait été célébré au Maroc entre un Français et une Marocaine, sans la présence de celle-ci, l’épouse ayant mandaté un wali (tuteur matrimonial), en l’occurrence son père, pour conclure l’acte de mariage, transcrit sur les registres de l’état civil consulaire deux ans plus tard. Devenue française en 2014, l’épouse avait, l’année suivante, soit 13 ans après le mariage, assigné son époux en divorce pour faute. Pour y échapper, ce dernier avait demandé l’annulation de leur mariage, invoquant à la fois le non-respect des règles de forme applicables à la célébration et sur le fond, le défaut de consentement de sa femme laquelle aurait, par son absence à la cérémonie, ainsi trahi son absence d’intention matrimoniale. La cour d’appel débouta l’époux de sa demande au motif qu’aucune règle issue du droit marocain n’impose la présence de la future épouse à son mariage et que les faits de la cause attestent de la réalité et de la liberté de son consentement à mariage à la date de sa célébration. Devant la Cour de cassation, le mari soutint alors que le consentement des époux constitue une règle de fond du mariage et que loi étrangère qui permet de célébrer le mariage en l’absence de l’épouse, sur le fondement d’une simple procuration donnée par celle-ci, est manifestement incompatible avec l’ordre public international français.

Pour rejeter le moyen, la Cour de cassation dresse une liste particulièrement exhaustive des règles applicables au consentement à mariage, relevant du droit international privé et du droit interne de la famille ; à ce titre, elle se fonde autant sur des normes nationales que supranationales, notamment sur un traité bilatéral franco-marocain qui domine, rappelons-le, la loi interne française (Const. 58, art. 55). 

Ainsi, pour introduire sa réponse à l’énoncé du moyen, la Cour se réfère d’abord à la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille, dont elle reprend les termes de l’article 5, selon lequel les conditions de fond du mariage, tel que le consentement, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux États dont l’époux a la nationalité, ainsi que ceux de l’article qui le précède, selon lequel la loi de l’un de ces deux États ne peut être écartée par les juridictions de l’autre État que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public (art.4).

La Cour cite ensuite l’article 202-1 du Code civil, qui confirme sur le plan interne que si les conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par leur loi personnelle, le mariage requiert, quelle que soit la loi applicable, le consentement des époux au sens de l’article 146 (« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ») et du premier alinéa de l’article 180 ( « le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public »).

Elle rappelle enfin le principe légal issu de l'article 146-1 du Code civil qui dispose que « Le mariage d'un Français, même contracté à l'étranger, requiert sa présence ».

Malgré l’éclairage apporté par le recensement de ces textes, restait posée la question de savoir si la condition liée au consentement à mariage de la présence physique des époux était une condition de forme, soumise à la loi du lieu de célébration, ou de fond, dès lors régie par la loi nationale de chacun des époux. La Cour de cassation rappelle alors la qualification qu’elle avait déduit de la combinaison de l’article 5 de la Convention précitée et de l’article 146-1 du Code civil, à savoir qu’il s’agit d’une condition de fond du mariage, partant régie par la loi personnelle de chaque époux (Civ. 1re, 15 juill. 1999, n° 99-10.269 ; adde, Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-14.365). L’option alternative, consistant à désigner la loi du lieu de célébration aurait conduit à faire de cette règle une loi de police applicable aux époux quelle que soit leur nationalité, dont le mariage par procuration aurait alors été variablement admis selon l’État où il aurait été contracté (interdit en France, mais admis, à certaines conditions, dans d’autres États même européens, comme l’Italie ou l’Espagne). 

La Cour précise alors, en conséquence de la jurisprudence précitée, que l’article 146-1 requiert la présence des seuls français lors de leur mariage à l’étranger. Il aurait donc pu être déduit des faits de l’espèce, dès ce stade du raisonnement, que la situation de l’épouse, qui avait encore la nationalité marocaine au jour de son mariage, était régie par les conditions de fond du mariage telles qu’elles sont prévues par loi marocaine, plus précisément par l’article 25 du Code civil marocain, qui autorise le mariage par procuration. Valable au regard des règles jurisprudentielles et légales précitées, ce mariage échappait donc à la nullité, étant précisé que l’acquisition de la nationalité française par l’épouse après son mariage était indifférente, les conditions de validité du mariage s’appréciant à la date de sa formation. Mais un dernier point méritait d’être éclairci, celui de l’application de l’article 4 de la Convention franco-marocaine qui, rappelons-le, comme toute norme supranationale, domine celle, légale ou jurisprudentielle, de droit interne en cas de contrariété ; or ce texte prévoit la possibilité d’écarter la loi personnelle d’un époux en raison de son incompatibilité manifeste avec l’ordre public de l’État dont son conjoint est un ressortissant et en l’espèce, le problème était évidemment posé : la loi marocaine, qui reconnaît donc l’existence d’un consentement à mariage même lorsqu’il est donné, non par l’épouse, mais par un mandataire (le wali), peut-elle être jugée compatible avec les exigences de l’ordre public international français ? La Haute cour l’affirme : « En l’absence de contestation touchant à l’intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d’une épouse par une procuration n’est pas manifestement incompatible avec l’ordre public, au sens de l’article 4 précité, dès lors que le droit français n’impose la présence de l’époux à son mariage qu’à l’égard de ses seuls ressortissants » Or, si l'épouse s'est mariée par procuration dans le respect de sa loi nationale, l'époux français était, quant à lui, bien présent à son mariage.

Si l'absence de contrariété à l'ordre public international français d'un mariage par procuration d'une épouse étrangère avec un époux français est en l’espèce justifiée, cette solution doit cependant, dans sa portée, être tempérée.

La solution doit d’abord être approuvée au regard de l’article 146-1 du code civil, qui n’exige la présence des époux à leur mariage, même célébré à l’étranger, que dans la mesure où les deux futurs mariés sont français. Elle doit l’être aussi dans la mesure où le refus de mettre en œuvre l’exception d’ordre public résulte d’une recherche concrète de l’existence du consentement à mariage, préférée à une appréciation abstraite de la loi étrangère considérée : ainsi les juges du fond avaient-ils en l’espèce constaté que la procuration et le consentement au mariage étaient réguliers selon le droit marocain, que l’intégrité du consentement de l’épouse ressortait non seulement des mentions de l’acte de mariage mais également du fait, encore plus probant, qu’elle avait vécu treize années avec son conjoint, avec lequel elle avait fondé une famille (nombreuse). 

Autrement dit, bien qu’elle n’ait pas elle-même exprimé son consentement à mariage, son existence ne faisait guère de doute. La solution mérite enfin d’être approuvée compte tenu du fait que le mariage fut célébré à l'étranger : en effet, la jurisprudence adopte depuis longtemps une appréciation plus ou moins stricte de l’ordre public selon que la situation considérée a été constituée à l’étranger ou sur le territoire français : « la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger » (Civ. 1re, 17 avr. 1953). Lorsqu’il s’agit de reconnaître des droits acquis à l’étranger, l’effet de la situation qui y a déjà produit ses effets est moins perturbateur pour l’ordre juridique français. Dans ce cas, seul un degré élevé de contrariété de la loi étrangère aux conceptions françaises justifie une intervention de l’ordre public. Celui-ci produit alors le plus souvent, tel qu’en l’espèce, un effet atténué. 

Cette distinction entre un ordre public plein et un ordre public atténué doit en même temps conduire à relativiser la portée de la solution ici rendue, qui aurait sans doute été différente si le mariage avait été célébré en France. Certes, le consentement étant soumis à la loi nationale de chaque époux, une personne de nationalité marocaine pourrait théoriquement se marier par procuration, même en France. Cependant, la situation étant créée sur le territoire national, l’appréciation de l’atteinte portée à l'ordre public aurait certainement été plus rigoureuse. Ainsi, il est fort probable que la célébration en France d'un mariage par procuration en application de la loi nationale étrangère d'un époux serait contraire à l'ordre public international français. 

Civ. 1re, 18 mars 2020, n° 19-11.573

Références

■ Civ. 1re, 15 juill. 1999, n° 99-10.269 P : D. 2000. 414, obs. J.-J. Lemouland ; Rev. crit. DIP 2000. 207, note L. Gannagé

■ Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-14.365 P : D. 2016. 709 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 342, obs. A. Boiché

■ Civ. 1re, 17 avr. 1953 : Bull. civ. I, n° 121

 

 

Auteur :Merryl Hervieu

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