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La protection des contractants contre les clauses abusives

[ 24 juin 2015 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

La protection des contractants contre les clauses abusives

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 6 mai 2015, 13-24.947 (second moyen) permettant de faire une mise au point la protection des contractants contre les clauses abusives.

Arrêt

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 juin 2013), que M. et Mme X... et la société AST ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans ; que l'article 12 des conditions particulières de ce contrat prévoyait que « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible » ; que M. et Mme X... ont, après expertise, assigné la société AST en paiement de sommes à titre de restitution, au titre des frais de démolition reconstruction et des pénalités de retard, et à titre subsidiaire, pour voir constater l'exercice de leur droit de rétractation sur le fondement de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, et en paiement de sommes ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société AST fait grief à l'arrêt de dire que la clause figurant à l'article 12 des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle doit être réputée non écrite et de la débouter de sa demande visant à voir constater la réception tacite de l'ouvrage par M. et Mme X..., alors, selon le moyen :

1°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ; qu'est valable et licite la clause d'un contrat de construction de maison individuelle par laquelle les parties ont prévu que toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction contradictoire du procès-verbal de réception valait réception tacite et sans réserve de la maison ; qu'en jugeant le contraire, après avoir exactement retenu la possibilité d'une réception tacite, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1792-6 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer les termes clairs et précis des contrats qui lui sont soumis ; que l'article 12 des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle prévoit que « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'œuvre entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible » ; que cette clause n'interdit pas au maître de l'ouvrage de dénoncer dans les huit jours de la prise de possession les désordres apparents non signalés au jour de cette prise de possession valant réception ; qu'en jugeant que cette clause impose au maître une définition extensive de la réception ayant pour effet annoncé de le priver du bénéfice du délai d'ordre public de huit jours pour dénoncer les désordres apparents non signalés au jour de la réception, pour déclarer cette clause non écrite, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis et a violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ que le maître de l'ouvrage peut, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours qui suivent la réception, dénoncer les vices apparents qu'il n'avait pas signalés lors de celle-ci afin qu'il y soit remédié dans le cadre de l'exécution du contrat ; qu'ayant exactement constaté que ce délai de huit jours s'appliquait également en cas de réception tacite de l'ouvrage, à compter de celle-ci, la cour d'appel qui a cependant déclaré non écrite la clause des conditions particulières du contrat de construction définissant la prise de possession ou l'emménagement de la maison par le maître de l'ouvrage comme valant réception sans réserve au motif que cette clause aurait pour effet de priver le maître du bénéfice du délai d'ordre public de huit jours pour dénoncer les désordres apparents non signalés au jour de la réception, a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 231-8 du code de la construction et de l'habitation ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la clause litigieuse assimilait la prise de possession à une réception « de fait » et « sans réserve » alors que la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l'ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir, la cour d'appel a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, retenu, à bon droit, que cette clause, qui, insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties puisqu'elle impose au maître de l'ouvrage une définition extensive de la réception, contraire à la loi, ayant pour effet annoncé de rendre immédiatement exigibles les sommes restant dues, devait être réputée non écrite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que pour dire qu'à ce jour, le délai de rétractation de M. et Mme X... n'a pas couru, qu'en conséquence la rétractation exercée par voie de conclusions est recevable et doit produire ses effets et constater l'anéantissement du contrat passé entre les parties et condamner la société AST à restituer à M. et Mme X..., pris ensemble, les fonds reçus de ces derniers à concurrence de 62 220, 90 euros, l'arrêt retient que le contrat a été notifié au moyen d'une remise en mains propres, ainsi qu'en témoigne une attestation de remise du contrat, signée par les maîtres de l'ouvrage le 30 octobre 2007, que la remise de l'acte en mains propres, en ce qu'il ne présente pas des garanties équivalentes à la lettre recommandée avec avis de réception, ne répond pas aux exigences de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000, contrairement à ce qui est soutenu par la société Ast, qu'il s'en évince que, dans le contrat liant les parties, le délai de rétractation n'a pas couru, que lorsqu'un tel délai n'a pas couru, l'acquéreur peut, dans l'instance l'opposant au constructeur, exercer la faculté de rétractation par voie de dépôt de conclusions, que la rétractation est par conséquent valable et anéantit le contrat ;

Qu'en statuant ainsi, alors que dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme X... demandaient à titre principal, l'annulation de la clause concernant la prise de possession valant réception et le rejet des demandes de réception tant amiable que judiciaire présentées par la société AST et exerçaient subsidiairement leur faculté de rétractation, la cour d'appel, qui, ayant fait droit à la demande principale de M. et Mme X..., a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

Attendu que la cassation prononcée n'implique pas qu'il soit à nouveau statué ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate l'anéantissement du contrat à la suite de la rétractation de M. et Mme X... et condamne la société AST à leur restituer les fonds reçus à concurrence de 62 220, 90 euros avec intérêts, l'arrêt rendu le 27 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Maintient les dépens de première instance et d'appel ;

Dit que chaque partie garde la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille quinze.

 

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Sélection des faits : Des particuliers et une société ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec une société. Ce contrat contient une clause qui stipule que toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès verbal de réception signé par le maître de l’ouvrage entraîne de ce fait réception de la maison sans réserve et l’exigibilité des sommes dues par les acquéreurs.

Qualification des faits : Un contrat d’entreprise conclu entre des particuliers et une entreprise de construction stipule une clause de réception tacite au profit de celle-ci.

Exposé de la procédure : Les particuliers (maîtres de l’ouvrage) exercent une action contre l’entrepreneur pour inexécution défectueuse du contrat d’entreprise.

Les juges du fond décident que la clause de réception tacite doit être réputée non écrite.

L’entrepreneur (la société) forme un pourvoi au moyen que la clause est valable, claire et précise, et que le juge ne peut, l’interpréter sans la dénaturer, ni a fortiori, la remettre en cause.

Énoncé de la question de droit : La clause de réception tacite peut elle-être qualifiée de clause abusive et, dès lors, réputée non écrite ?

Exposé de la décision : La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que la cour d’appel, qui avait relevé que la clause litigieuse assimilait la prise de possession à une réception de fait et sans réserve alors que la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir, a retenu à bon droit que cette clause, insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre contractuel significatif puisqu’elle lui impose une définition extensive de la réception, contraire à la loi, ayant pour effet annoncé de rendre immédiatement exigible les sommes restant dues.

L’élaboration du commentaire 

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur la protection des contractants contre les clauses abusives.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (voir ci-dessus), il faut insister sur son contexte, à savoir la protection contre les clauses abusives. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (voir ci-dessus).

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

Introduction

I L’identification de l’abus

A L’analyse de la clause 

La clause est illicite car elle stipule une réception de l’ouvrage du fait de la seule prise de possession, alors que la loi exige une volonté non équivoque. La réception de l’ouvrage si elle peut être tacite, doit néanmoins être certaine.

La clause est illicite car elle impose une définition extensive de la réception de l’ouvrage contraire à la loi.

B L’effet de la clause

La clause rend immédiatement exigible les sommes restant dues par le maître de l’ouvrage, puisque par la réception conventionnellement retenue, le maître de l’ouvrage accepte l’ouvrage conçu par l’entrepreneur. Il doit donc exécuter ses obligations. 

La clause, stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel (l’entrepreneur) et un non professionnel (le maître de l’ouvrage) emporte un déséquilibre contractuel significatif. Elle confère un avantage exorbitant à l’entrepreneur 

II La protection contre l’abus

De lege lata        

Même si l’article L. 132-1 du Code de la consommation qui répute non écrite les clauses qui, insérées dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel, ont pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre contractuel significatif n’est pas expressément visé dans l’arrêt (de rejet), il est clair que l’esprit de ce texte souffle sur cet arrêt. Cet article protège en effet les non-professionnels contre les clauses qui créent un déséquilibre contractuel significatif au profit de leur contractant professionnel.

On relèvera que la clause litigieuse n’est pas visée dans les listes noire ou grise du Code de la consommation, ce qui révèle que le juge peut détecter des clauses abusives hors de ces listes à condition qu’elles répondent aux critères légaux de la notion de clause abusive.  

En droit positif, depuis une loi de 2008 insérée dans le Code de commerce (art. L. 442-6, I, 2°), les professionnels sont eux aussi protégés contre les clauses abusives stipulées dans les contrats conclus avec leurs partenaires professionnels. 

De lege ferenda  

Le projet de réforme du droit des obligations insère dans le Code civil une règle de protection contre les clauses abusives.

Références

■ Code de la consommation

Article L. 132-1

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.


 Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

■ Code de commerce

Article L. 442-6, I, 2°

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

…..

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des partie ; ……….. »

 


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