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À vos copies !

Nature de la responsabilité du transporteur ferroviaire

[ 16 mai 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

Nature de la responsabilité du transporteur ferroviaire

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 1er décembre 2011, pourvoi n°10-19.090, relatif au régime de la responsabilité du transporteur ferroviaire.

Arrêt

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, s'étant aperçu in extremis qu'il s'était trompé de direction, M. X... a été victime d'un accident corporel en essayant de descendre d'un train qui avait reçu le signal du départ, qu'il a sollicité de la SNCF l'indemnisation de son préjudice, que la CPAM de Grenoble qui lui avait versé diverses prestations, a réclamé leur remboursement et le paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; que l'arrêt, après avoir retenu l'entière responsabilité contractuelle de la SNCF et confirmé le jugement ayant ordonné une expertise médicale avant dire droit sur le préjudice corporel subi par M. X..., condamne la SNCF à payer à la CPAM la somme de 926 euros au titre de l'indemnité forfaitaire ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité contractuelle de la SNCF et la condamner à payer une provision à M. X..., l'arrêt retient qu'il importe peu à la solution du litige que celui-ci se soit trompé de rame car, titulaire d'un abonnement régulier, il avait bien souscrit un contrat de transport avec la SNCF ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'accident n'était pas survenu dans l'exécution du contrat convenu entre les parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par fausse application, le second par refus d'application ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu qu'en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement des prestations versées, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident, recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie ; que le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum et d'un montant minimum ;

Attendu que l'arrêt condamne la SNCF à payer à la CPAM de Grenoble la somme de 926 euros ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice corporel de la victime n'avait pas été préalablement déterminé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il s'est fondé sur l'article 1147 du code civil pour dire la SNCF responsable de l'accident survenu le 22 mai 2002 au préjudice de M. X... et alloué à la CPAM de Grenoble la somme de 926 euros, l'arrêt rendu le 30 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon »»

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Le passager d’un train, qui était titulaire d’un abonnement régulier souscrit auprès de la SNCF, s’aperçoit qu’il s’est trompé de rame et, en essayant d’en descendre, fait une grave chute sur la voie.

■ Qualification des faits : Un contractant de la SNCF subit un préjudice corporel en essayant de descendre dans lequel il était monté par erreur.

■ Exposé de la procédure : Le passager victime agit en indemnisation de son préjudice contre la SNCF. Les juges du fond mettent en jeu la responsabilité contractuelle de la SNCF, en relevant qu’il importait peu que, pour déterminer la nature de la responsabilité du transporteur, le passager se soit trompé de train, puisqu’il avait conclu un contrat de transport avec celui-ci.

■ Énoncé de la question de droit : La nature de la responsabilité de la SNCF dépendait-elle de la seule conclusion d’un contrat entre celle-ci et la victime ou devait-elle être infléchie par les circonstances factuelles de l’accident ?

■ Exposé de la décision : La Cour de cassation casse, au visa des articles 1147 et 1384, alinéa 1er, la décision de la cour d’appel au motif que l’accident n’était pas survenu dans l’exécution du contrat convenu entre les parties.

L’élaboration du commentaire

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt concerne le régime de l’action exercée au sein d’une chaîne de contrats.

Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient que vous exploitiez  :

– d’abord, les précis Dalloz d’Introduction à l’étude du droit de M. Terré, pour la question de la preuve, et de Droit des obligations de MM. Terré, Simler et Lequette, qui comporte des développements sur le droit à la preuve ;

– ensuite, l’ouvrage Les grands arrêts de la jurisprudence civile de MM Terré et Lequette qui contient des commentaires d’arrêts rendus sur ces mêmes questions.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste à :

– en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte, à savoir la difficulté de tracer, en droit positif, la frontière entre les deux ordres de responsabilité civile, contractuelle et délictuelle.

Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

■ ■ ■

I. La nature de la responsabilité de la SNCF

La Cour de cassation, dans un premier temps, décide que la clause litigieuse est inopposable, solution qui procède de la nature de l’action exercée au sein d’une chaîne de contrats, ce sur quoi on s’arrêtera, dans un second temps.

A. À l’égard de ses passagers

Dans cette première sous-partie, il conviendra d’expliquer les principes qui gouvernent la détermination de la nature de la responsabilité de la SNCF :

– responsabilité délictuelle à l’égard des passagers qui n’ont pas contracté avec elle ;

– responsabilité contractuelle à l’égard des passagers qui ont conclu un contrat de transport avec elle, sur le fondement d’une obligation contractuelle de sécurité de résultat ;

– rappel de l’évolution qui s’est produite à propos des accidents de quai subis par des victimes qui avaient conclu un contrat de transport. Avant 1969, responsabilité contractuelle de la SNCF, mais simple obligation de sécurité de moyens. Puis, Civ. 1ère, 1er juill. 1969 déterminant strictement le champ d’application de l’article 1147 du Code civil, la Cour décide que les accidents de quai sont régis par l’article 1384, alinéa 1er du Code civil indépendamment du statut de la victime. La mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la SNCF suppose que le préjudice ait été subi pendant l’exécution du contrat de transport proprement dit, à savoir à partir du moment où le voyageur monte dans le train jusqu’à ce qu’il en soit descendu.

B. À l’égard de « ce » client

Dans cette seconde sous-partie, il convient d’expliquer pourquoi la Cour de cassation refuse, en l’espèce, de retenir la responsabilité contractuelle de la SNCF.

La responsabilité contractuelle de la SNCF est exclue alors qu’il y avait bien un contrat conclu avec la victime et que le dommage qu’elle avait subi s’était produit pendant l’exécution du contrat proprement dit, dans le temps déterminé par l’arrêt de 1969.

Mais en l’occurrence, la Cour considère que l’accident n’est pas survenu pendant l’exécution du contrat conclu. En effet, la victime n’a pas exécuté le contrat qu’elle avait conclu, puisqu’elle avait subi son préjudice lors d’un voyage qui n’était pas celui qui constituait l’objet du contrat.

La solution est discutable. On a le sentiment que la responsabilité contractuelle de la SNCF est écartée parce que la victime a commis une erreur lors de l’exécution du contrat… Ce qui est curieux, pour le moins, et critiquable au regard des conséquences que cela emporte sur l’indemnisation du préjudice.

II. L’indemnisation du passager de la SNCF

A. Une indemnisation complexe

La nature de la responsabilité de la SNCF est extra-contractuelle. La victime va pouvoir agir sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil. La SNCF est gardienne des choses (train, quai, voie) qu’elle exploite pour l’exercice de son activité professionnelle.

Certes, dans un premier mouvement, la nature et le régime de la responsabilité de la SNCF ne sont pas défavorables à la victime qui n’aura à prouver aucune faute de la SNCF, laquelle ne pourra échapper à sa responsabilité qu’à condition de démontrer que le dommage procède d’un événement constitutif de cause étrangère. Mais il lui faudra démontrer que la chose qui a causé sa blessure a bien joué un rôle actif dans la production de son dommage, ce qui sera compliqué si cette chose était inerte au moment du dommage.

B. Une indemnisation partielle

Si la SNCF est actionnée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil, elle pourra opposer sa faute à la victime en vue de s’exonérer partiellement de sa responsabilité. Et la victime ne sera alors que partiellement indemnisée.

Si la responsabilité contractuelle de la SNCF avait été retenue, il n’aurait pas pu en aller ainsi, car la Cour de cassation décide désormais que le transporteur, tenu d’une obligation contractuelle de sécurité de résultat, ne peut pas s’exonérer partiellement de sa responsabilité en invoquant une faute de la victime (Ch. mixte 28 nov. 2008).

 

Références

■ Y. Lequette, Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009.

■ F. Terré, Introduction générale au droit, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2006.

■ Y. LequetteFr. TerréH. CapitantLes grands arrêts de la jurisprudence civile, T2, 12e éd., Dalloz, 2008.

■ Civ. 1re, 1er juill. 1969, n°67-10.230.

■ Ch. mixte 28 nov. 2008, n°06-12.307, D. 2009. 461.

■ Code civil

Article 1147

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Article 1384

« On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. 

Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. 

Cette disposition ne s'applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil. 

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. 

Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; 

Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance. 

La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. 

En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »

 


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