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[ 22 octobre 2015 ] Imprimer

Droit à l’éducation et droit au travail

Alors que la rentrée est désormais derrière nous, Dalloz étudiant s’interroge sur le droit à l’éducation et le droit au travail. Arlette Heymann-Doat, professeure émérite de droit public à l’Université Paris-Sud, auteure d’un ouvrage sur les libertés et droits fondamentaux et notamment de 50 libertés et droits fondamentaux, a bien voulu répondre à nos questions.

L’éducation est-elle une obligation ou un droit ?

C’est d’abord, en application de la loi du 28 mars 1882, une obligation pour les « pères de famille ». En 1882, les enfants travaillaient encore, notamment dans les champs. Ce n’est qu’en 1892 qu’une loi interdit le travail des enfants de moins de 13 ans. Il fallait, donc, obliger les pères à envoyer leurs enfants à l’école. On peut relire « une soupe aux herbes sauvages » d’Émilie Carles, pour se rappeler les difficultés auxquelles se heurte une jeune institutrice, en milieu rural, encore après la Première Guerre mondiale.

L’éducation devient un droit en 1952, avec le Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (art. 2) et, en 1989, avec la Convention internationale des droits de l’enfant.

De quelle éducation s’agit-il ? Religieuse ou laïque ? Scolaire ou universitaire ?

Dès lors qu’elle est obligatoire, l’éducation doit être laïque. La loi du 28 mars 1882 institue « l’instruction morale et civique », à la place de « l’instruction morale et religieuse ». Celle-ci avait été imposée par la loi Falloux, en 1850. Député, Victor Hugo s’y était violemment opposé, voyant dans cette loi, non la liberté, mais une « chaîne », une « arme », « dans la main du parti clérical ».

La loi du 26 janvier 1984 dispose que le Premier cycle de l’enseignement supérieur est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat. Cette loi a été préparée par un professeur de droit, Georges Dupuis.

Le travail est-il une liberté ou un droit ?

La liberté du travail a été proclamée par le Décret d’Allarde, en 1791, en réaction au système des corporations de l’Ancien Régime, qui subordonnait la possibilité de travailler à l’entrée dans une corporation. 

L’idée de « droit au travail » est apparue, au XIXe siècle. L’expression a été créée par Charles Fourier. Lors de l’élaboration de la Constitution de 1848, Ledru-Rollin et Tocqueville se sont opposés. Ledru-Rollin voulait inscrire le « droit au travail » dans la Constitution, tandis que Tocqueville, exprimant les peurs de la majorité de l’Assemblée constituante, redoutait qu’un tel droit entraîne l’instauration du communisme. L’article 13 de la Constitution de 1848 reconnut la liberté du travail et non le droit au travail.

Le droit au travail, « droit d’obtenir un emploi » a été inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 (al. 5).

La liberté du travail, c’est, aujourd’hui, celle des ressortissants des pays de l’Union européenne, qui ont le « droit de travailler » dans tout État membre de l’Union.

Quel est le point de rencontre du droit au travail et de la liberté d’entreprendre ?

J’avoue que cette question m’embarrasse, car je ne suis pas spécialiste du droit du travail. Voilà ce que je peux vous en dire : La liberté d’entreprendre est la suite de la liberté du travail. C’est la liberté du commerce et de l’industrie, fondée sur le Décret d’Allarde de 1791. Le droit au travail ne peut être opposé à la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel n’a pas admis, en 2014, que la loi « Florange » mette à la charge de l’entrepreneur une obligation d’accepter une offre de reprise sérieuse.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

La découverte de la responsabilité civile, en deuxième année. C’était un droit en construction. De multiples et subtiles questions se posaient, auxquelles les réponses n’allaient pas de soi. Et je lisais avec délices ce qui était écrit en petits caractères dans le manuel de Jean Carbonnier.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Kurt Wallander, commissaire de police dans les romans de l’écrivain suédois Henning Mankell. Il est sympathique, humain, complexe, souvent saisi par le doute.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté individuelle. C’est vraiment le droit fondamental. La privation de liberté individuelle est la pire de toutes. La jouissance de la liberté individuelle est la condition de l’exercice de toutes les libertés et de tous les droits.

Références

■ Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme

Article 2

« Droit à l’instruction. Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

■ Convention internationale des droits de l’enfant

Article 28

« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :

a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;

b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin;

c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés;

d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles;

e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire.

2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.

3. Les États parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. »

Article 29

Observation générale sur son application

1. Les États parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :

a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;

b) Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;

c) Inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;

d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone;

e) Inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.

2. Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’État aura prescrites. »

■ Constitution du 4 novembre 1848

Article 13

« La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l'industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle, l'égalité de rapports, entre le patron et l'ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires, et l'établissement, par l'État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés; elle fournit l'assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir. »

■ Préambule de la Constitution de 1946

Alinéa 5

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

■ Cons. const. 27 mars 2014Loi visant à reconquérir l'économie réelle, n° 2014-692.

 

Auteur :M. B.


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