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[ 19 janvier 2017 ] Imprimer

Juriste en droit de la musique

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

 

Gestion des contrats, respect des données personnelles, maîtrise de la propriété intellectuelle... Pour assurer ces services d’écoute de musique à la demande, les sites Web et applications mobiles s'entourent de juristes. Des missions très variées dans un secteur innovant comme l’explique Sarah Lesguillons, juriste junior chez le français Deezer. Ce dernier comptait en décembre 2016 une équipe de six juristes sur 350 employés et une centaine de collaborateurs à l’étranger.

Quelles études avez-vous suivi et comment avez-vous démarré votre carrière ?

J’ai fait toutes mes études universitaires à Assas. Après mon Master 2 en droit du multimédia et de l’informatique, je suis partie dix mois en stage chez Microsoft au sein du pôle anti-piratage. Je faisais beaucoup de propriété intellectuelle et de contentieux, de la contrefaçon de logiciels ou de marques en particulier. Par la suite, je suis rentrée à l’EFB, j’ai enchaîné sur un stage en cabinet et comme ce qui me plait c’est surtout l’aspect nouvelles technologie, j’ai effectué mon projet pédagogique individuel (PPI, ndlr) chez Deezer. Ensuite, j’ai terminé l’école et commencé à exercer en tant qu’avocate pendant moins d’un an. J’étais dans un cabinet spécialisé en droit de la musique mais comme souvent dans les petits cabinets, il était beaucoup plus généraliste. Je travaillais surtout auprès du second associé qui faisait beaucoup de droit commercial et droit du travail, je touchais moins du droit de la musique. Or c’était ce pour quoi j’avais postulé. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité rester plus longtemps même si mon métier d’avocat me plaisait, j’étais dans un cabinet familial, avec des horaires relativement normaux, des collaborateurs assez jeunes et j’aimais beaucoup plaider. Mais je ne travaillais pas sur des sujets qui m’intéressaient vraiment alors quand j’ai su qu’il y avait une opportunité de travail chez Deezer, j’ai sauté sur l’occasion. Je suis arrivée en CDI début juillet 2015.

En quoi consiste votre métier ? Que faîtes-vous au quotidien ?

Deezer est une entreprise française mais il s’agit d’un service international donc je travaille, comme mes collègues, 90% du temps en anglais. Au quotidien, nous travaillons avec les opérationnels, en direct, le but étant d’essayer de comprendre leurs projets, la négociation qu’ils ont voulu mener, le résultat qu’ils ont voulu obtenir. Je ne peux pas rédiger un contrat sans savoir quelle est l’intention commerciale. Le département juridique est un département Legal & Business affairs , nous sommes donc sollicité également pour donner notre avis sur les aspects commerciaux d’un projet, d’un partenariat, d’une opération.

Nous faisons beaucoup de contrats, rédaction et négociation. Nous avons aussi beaucoup de questions ponctuelles émanant de différents services : sur les données personnelles, des opérations marketing auprès de la clientèle, des campagnes d’acquisition qui ciblent les potentiels abonnés, etc…

Comment fonctionne le service juridique ? Chaque juriste est-il spécialisé sur un domaine ?

Nos dossiers sont assez transversaux, c’est varié et c’est ce qui me plaît énormément dans ce poste. Nous faisons évidemment du droit de la musique qui est, à mon avis, l’un des aspects de la propriété intellectuelle les plus complexes donc chaque juriste doit avoir un bon bagage pour appréhender la matière mais nous travaillons également sur les aspects plus techniques du numérique et de l’informatique. Tous les juristes travaillent sur tous les dossiers. Notre répartition du travail est commandée par la charge de travail et peut-être aussi selon les zones géographiques. Une de mes collègues travaille par exemple sur les contrats de distribution au Brésil. Par conséquent, lorsqu’il faut renouveler la licence avec le contrat de gestion collective brésilienne, c’est plutôt chez elle que va atterrir le dossier. C’est dans cette logique-là et pas dans une logique de cloisonnement des sujets. Nous fonctionnons beaucoup en binôme. Nous sommes deux juniors dans l’équipe et trois seniors qui nous transmettent leur savoir, nous forment. A notre tour, nous juniors, tentons de reproduire la même chose avec les stagiaires. Il y a beaucoup de pédagogie dans l’équipe.

C’est un environnement de travail très stimulant et en même temps il faut aimer le challenge, accepter que les réponses ne soient pas toutes faîtes parce que nous travaillons sur de la matière innovante, qui n’est pas toujours inscrite dans le code de la consommation et le code de la propriété intellectuelle. Un grand nombre de sujets demeurent en discussion au Parlement. Et si vous n’avez pas les outils juridiques, il faut accepter de prendre certains risques. 

Vous dîtes que le droit de la musique est l’un des plus complexes en propriété intellectuelle. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

La complexité provient surtout de la multiplicité des ayants droits et de la gestion de leurs droits qui peut être différente d’un pays à l’autre. Il n’y a pas de traitement uniforme de la gestion des droits musicaux dans le monde. Sur une composition musicale, vous aurez un auteur, un compositeur, des musiciens, des arrangeurs, artiste(s) interprète(s). Et tous bénéficient de droits qui ne sont pas gérés ni traités de la même manière entre les des droits d’auteur et droits voisins. Deezer, en tant que distributeur, est obligé de prendre en compte les différents droits musicaux en jeu. Nous sommes ouverts dans plus de 180 pays du monde, nous ne pouvons pas nous contenter de licences pour la France ou pour l’Europe, on est obligé de traiter les droits partout, tels qu’ils existent. Les grosses maisons de disque comme Universal, Sony ou Warner disposent de leur propre maison d’édition, c’est moins éparpillé. Mais il existe beaucoup de labels indépendants. Bien qu’ils aient un catalogue musical proportionnellement moins important, on y trouve des artistes majeurs.

Nous travaillons dans le même open space que le service dédié à l’acquisition des droits musicaux, celui en charge de la négociation commerciale de ces droits. Cela nous permet de travailler plus facilement ensemble sur les contrats.

Le secteur est en pleine évolution mais pas encore rentable et une majorité de Français préfère le téléchargement illégal à l’abonnement payant. Comment tout cela évolue ?

Nous sommes un service spécialisé dans le streaming, le téléchargement temporaire le temps de l’abonnement. Nous souffrons néanmoins de ces services qui échappent au monitoring des autorités judiciaires et profitent d’une rentabilité maximale au détriment du respect de la propriété intellectuelle. Deezer partage ses revenus avec les ayant droits. Et la part de ce qui leur est reversé est énorme ce qui peut rendre notre évolution difficile avec ces services concurrents hors-jeu. C’est pour cela que l’entreprise s’investit dans les discussions publiques. Il n’y a pas encore de projet de réforme concret mais une discussion est ouverte.

Le streaming reste un modèle économique récent. Aujourd’hui, aucune entreprise basée sur ce modèle économique n’est rentable, que ce soit Spotify, Netflix, Pandora, etc… Investir dans ce modèle-là est un pari sur l’avenir. On ne sait pas comment il va évoluer. La conviction de Deezer c’est que c’est l’avenir. Ce serait, à terme, le seul mode d’exploitation valable, du moins le principal. C’est ce que je crois.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur ou pire souvenir d'étudiant ?

Le meilleur ou en tout cas le plus fort c’est ma prestation de serment. C’est plus impressionnant que ce qu’on imagine. Je ne m’en faisais pas toute une montagne et en réalité c’est un moment très solennel. Le pire souvenir ce sont les TD que je devais suivre à 7h45. J’ai même eu des journées où je commençais à 7h45 et finissais à 22h. Je trouvais ça absurde et horrible comme horaire. Et j’ai eu ça deux semestres de suite. L’administration de la faculté n’était pas très souple et ajuster les emplois du temps n’étaient pas possible.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Agrippine, le personnage de la dessinatrice Claire Brétécher. Elle a des expressions incroyables, un vocabulaire complètement inventé mais tellement juste. 

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Celui auquel je serais le plus sensible c’est le principe d’égalité car c’est un principe tellement ancien et actuel. Il n’a pas été érigé il y a dix ans mais nous avons pourtant tellement de progrès à faire. Cela me fait penser au droit des femmes, au droit des étrangers. 

Carte d'identité du juriste dans les nouvelles technologies

Secteur en plein développement, les entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies embauchent régulièrement des juristes pour gérer la partie contrats, propriété intellectuelle, données personnelles, contentieux. Des matières pour lesquelles la législation n’est pas toujours précise, à jour ou même existante. Il appartient donc au juriste de défricher ces terrains avec les outils dont il dispose, recommandations d’organismes et analyses transversales.

■ La formation et les conditions d'accès

Masters en propriété intellectuelle, nouvelle technologie.

■ Les domaines d'intervention

Propriété intellectuelle, droit commercial, droit privé, droit des contrats, droit de la musique...

■ La rémunération

25 à 30 K€ en tout début de carrière

35 à 40 K€ à 5 ans d'expérience

■ Les qualités requises

Rigueur, aisance relationnelle, maîtrise de l'anglais, intérêt pour les nouvelles technologies, autonomie, capacité d’initiative, ouverture d'esprit, confidentialité.

■ Les règles professionnelles

L'Association françaises des juristes d'entreprise (AFJE) a édicté un code de déontologie pour la profession, rendu public le 18 novembre 2014.

L'association européenne des juristes d'entreprise (ECLA) a également adopté un code de déontologie européen du juriste d'entreprise.

■ Les sites internet

Deezer : http://www.deezer.com

 

Association française des juristes de France : http://www.afje.org

 

Auteur :A. C.


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