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[ 17 mai 2013 ] Imprimer

La fraude fiscale

Le temps de la déclaration sur le revenu étant venu, l’affaire Cahuzac raisonnant encore dans tous les esprits, Dalloz Actu Étudiant a souhaité faire un point sur la notion de « fraude fiscale ». Martin Collet, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), responsable de la rubrique « Droit administratif et Finances publiques » à la RFDA et auteur d’ouvrages en droit fiscal et procédures fiscales au PUF, répond à nos questions.

Quelle est la différence entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale ?

La fraude fiscale consiste à violer purement et simplement les obligations que la loi fait peser sur le contribuable (en s’abstenant de déclarer certains revenus, par exemple), ou, plus subtilement, à violer l’esprit des textes (par exemple en transformant le statut juridique d’une entreprise dans le seul but de bénéficier d’un régime fiscal avantageux mais sans qu’aucun véritable motif économique guide l’opération).

Quant à la notion d’évasion fiscale, elle est généralement utilisée pour stigmatiser des comportements qui consistent à « délocaliser » certains revenus ou certains bénéfices vers des États où ils seront moins taxés, voire à s’expatrier avec armes et bagages vers des destinations fiscalement plus clémentes.

Tout le problème est que, bien souvent, ces comportements n’ont rien d’illégaux : ils relèvent de ce que les fiscalistes qualifient volontiers d’« optimisation fiscale ». Ainsi, par exemple, rien n’interdit à un joueur de tennis français de s’installer en Suisse pour bénéficier d’une fiscalité allégée sur ses revenus et sur son patrimoine.

Toutefois, ces phénomènes sont parfois juridiquement contestables : la presse s’est récemment fait l’écho des soucis fiscaux de Google, à qui l’administration fiscale reprocherait de ne déclarer en France qu’une partie dérisoire des bénéfices effectivement réalisés sur le territoire national, sous prétexte que l’essentiel de l’activité européenne de l’entreprise est établi en Irlande. L’avenir nous dira si, en l’espèce, Google doit être effectivement condamnée pour avoir éludé l’impôt français ou si, au contraire, son modèle d’organisation joue tout simplement le jeu de l’optimisation fiscale que permettent les différences de législations fiscales entre États européens.

Quelles sont les sanctions de la fraude fiscale ?

Le Code général des impôts prévoit une palette impressionnante de sanctions : certaines visent des comportements très spécifiques (le refus d’une entreprise de répondre aux demandes d’informations ponctuelles de l’administration, par exemple), d’autres ont un champ d’application beaucoup plus large.

Ainsi, le contribuable qui, de mauvaise foi, s’abstient de déclarer un revenu, un bénéfice ou un élément de son patrimoine, devra normalement acquitter une majoration de 40 % de l’impôt éludé (en plus, évidemment, du paiement de l’impôt qui était dû, dès l’origine). Dans certains cas extrêmes que la loi qualifie de « manœuvre frauduleuse » ou d’« abus de droit », la sanction peut atteindre 80 %. Si l’on ajoute les intérêts de retard, il arrive ainsi fréquemment que le contribuable soit amené à payer plus du double de la somme qu’il espérait économiser grâce à ses manœuvres.

Enfin, la loi prévoit que des sanctions pénales puissent également frapper le fraudeur : ces sanctions, pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende, viennent généralement s’ajouter aux sanctions fiscales proprement dites.

Quelle est l’autorité sanctionnatrice ?

Il revient, tout d’abord, à l’administration fiscale de sanctionner les manquements des contribuables à leurs obligations légales, au terme d’une procédure qui permet naturellement à ces deniers de faire entendre leurs arguments. Le juge fiscal peut, ensuite, être saisi du dossier (il s’agit du tribunal administratif, pour la grande majorité des litiges) et, le cas échéant, annuler les pénalités. Enfin, l’administration est seule compétente pour dénoncer au Parquet les contribuables qu’elle souhaite voir pénalement poursuivis, dans les cas les plus graves. Chaque année, c’est ainsi un millier de dossiers qui sont transmis aux tribunaux correctionnels. Bien souvent, le fraudeur se trouve alors doublement condamné pour les mêmes faits — par l’administration fiscale d’une part et par le juge pénal d’autre part.

Est-ce que le parjure est punissable en France ?

Bien que le terme ait disparu du droit français, notre Code pénal persiste à punir de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende le « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ». Toutefois, cette procédure n’a pas la même portée que dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis. Là-bas, le faux témoignage est d’autant moins acceptable que le système judiciaire accorde une importance considérable au principe de l’oralité des débats, là où le système français privilégie la preuve écrite (sur ces questions, je conseille à tous les étudiants de lire l’excellent petit livre d’Élisabeth Zoller, De Nixon à Clinton, malentendus juridiques transatlantiques, paru aux PUF en 1999). Par ailleurs, à la différence des États-Unis, le faux témoignage sous serment d’un élu ou d’un agent public ne peut conduire, en France, à l’engagement d’une procédure spécifique de destitution (ou d’Impeachment).

Quoi qu’il en soit, je rappelle que, dans l’affaire Cahuzac, les mensonges reprochés à l’ancien ministre n’ont pas été proférés sous serment, à l’occasion d’une procédure judicaire : ils constituent assurément une faute morale mais a priori pas, en tant que tels, un délit. Surtout, le faux témoignage ne concerne que… les témoins. Une personne poursuivie pénalement ne peut quant à elle se voir reprocher d’avoir menti pour se défendre.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Je garde un souvenir ému de mes toutes premières heures de cours dans le Grand Amphi de la rue d’Assas, où François Terré parvenait à captiver le millier d’étudiants présents avec un brio inégalable.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

En tant qu’universitaire, j’ai beaucoup de sympathie pour les aventures de certains personnages récurrents des romans de David Lodge ou de Philip Roth, comme Morris Zapp ou Nathan Zuckerman. Sur un mode plus fictionnel, je pencherais plutôt pour le Mangeclous d’Albert Cohen, (« surnommé aussi Longues dents/et œil de Satan/et Lord High Life et sultan des tousseurs/et Crâne en selle et pieds noirs/et Haut-de-forme et bey des menteurs/et Parole d’honneur et presque avocat/et Compliqueur de procès/et Médecin de lavements/et Âme de l’intérêt et plein d’astuce/et Dévoreur des patrimoines/et Barbe en fourche et Père de la crasse/et Capitaine des vents »).

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui […] » (NDRL : DDH, art. IV).

 

Auteur :M. B.


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