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[ 28 mars 2014 ] Imprimer

La réforme de l’organisation de la justice

Quelle sera l’organisation de la justice au xxie siècle ? La garde des Sceaux Christiane Taubira a ouvert un débat national qui devrait déboucher rapidement sur une réforme profonde de l’organisation judiciaire. Magistrat, conseillère à la cour d’appel de Paris, Anne Caron-Deglise a participé au groupe de travail présidé par Didier Marshall, initié par la ministre de la Justice. Le rapport issu de leurs travaux a été remis en décembre 2013. Il constitue un des piliers des discussions en cours. Anne Caron-Deglise fait le point sur les différents travaux d'analyse et de réflexion menés depuis plusieurs mois.

Quels sont les enjeux d’une réforme de l’organisation de la justice ?

Si la justice est une valeur et un concept global, l'institution judiciaire, quant à elle, a pour mission fondamentale de veiller au respect des lois en garantissant les droits de chacun. Réfléchir à une nouvelle organisation de la justice au xxie siècle est un défi complexe qui exige d'inviter non seulement les professionnels du droit et des politiques publiques mais aussi plus largement les représentants de la société tout entière pour qu'elle puisse véritablement répondre aux missions qui sont celles d'une autorité reconnue comme légitime, exerçant ses fonctions dans un cadre procédural lisible, accessible et respectueux des droits fondamentaux des citoyens.

Le sujet est délicat et de nombreuses commissions ou groupes de travail ont été réunis ces dernières années. En dépit de difficultés parfois insurmontables pour le justiciable, et même parfois pour le professionnel, à distinguer nettement la juridiction compétente pour traiter de ses difficultés ou de son litige dans certains domaines, en particulier en droit du travail ou de la protection sociale, les projets de réformes étudiés ces dernières années sur l’organisation de la justice portent quasi exclusivement sur les juridictions judiciaires.

Quels ont été les principaux changements dans l’organisation judiciaire ces dernières années ?

Ils ont consisté en une réorganisation territoriale et une clarification des blocs de compétences dans un objectif affiché d’amélioration du service rendu aux citoyens.

Ainsi que le relève le rapport du Sénat intitulé « Sur l’organisation judiciaire en France »(Virginie Klès et Yves Detraigne, février 2013), le constat de la complexité et du manque de lisibilité de l’organisation judiciaire française n’est plus à faire. Dès 1997, le rapport du groupe d’étude présidé par Francis Casorla, soulignait l’« extrême atomisation » des juridictions. Partageant, dix ans plus tard, la même analyse, la commission sur la répartition des contentieux présidée par le doyen Serge Guinchard (2008) ajoutait que : « Le pointillisme, pour ne pas dire l’impressionnisme, des compétences a remplacé le bel ordonnancement des initiateurs de la réforme de 1958 ». 

La faible activité de certaines juridictions, la répartition inégale du nombre des magistrats et des fonctionnaires de greffe selon les départements variaient en effet considérablement d’un lieu à un autre, en particulier entre les zones rurales et les zones urbaines ou périphériques. Cette réforme s’est achevée le 31 décembre 2010 avec la fermeture de 17 TGI (dont certains ont été réouverts en 2013, par exemple les TGI de Saint-Gaudens et de Tulle), 178 TI, 85 greffes détachés et 62 conseils de prud’hommes.

Ainsi que l’a relevé le Sénat dans un rapport de 2012, le premier bilan d’ensemble de cette réforme est largement partagé : « Trop souvent mise à profit pour réaliser des économies budgétaires, elle a parfois éloigné la justice du justiciable, ou allongé les délais de procédure. »

À la suite de ce processus de refonte de la carte judiciaire, la Commission sur la répartition des contentieux, dite Commission Guinchard, a orienté sa réflexion sur les blocs de compétences et sur la répartition des tâches entre magistrats et fonctionnaires sans toucher aux territoires. Elle a examiné une nouvelle fois la question de la réforme de la justice de première instance, pour écarter le scénario d'une juridiction unique et retenir deux modèles d'exercice de la justice : l'un étant dans la distance et dans la fonction symbolique (TGI) et l'autre dans la proximité, dans la gestion des rapports sociaux et dans la préservation et le renforcement du lien social (TI). Elle a présenté 65 propositions qui, pour la plupart, se sont traduites par des changements concrets. Voici les principales : 

– simplification de l’articulation des contentieux civils de 1re instance : intégration des juridictions de proximité dans les TI ; maintien d’un TGI à ressort territorial constant concentré sur 3 grands blocs de compétences (familial/pénal /affaires civiles complexes) ; création d’un « réseau judiciaire en matière familiale » ; création de pôles spécialisés en matière mobilière (TI) et immobilière (TGI) ;

– regroupement de certains contentieux dans des juridictions spécialisées : en matière de brevets d’invention, de marques nationales, de propriété littéraire, de dessins et de modèles, d’adoption internationale, de contentieux électoral professionnel, de « crimes contre l’humanité, génocides », de « grandes catastrophes en matière de transports ou de grandes catastrophes liées à un risque technologique » ;

– évolution des statuts : création du « greffier juridictionnel », évolution du statut des juges de proximité … ;

– accès à la justice et procédure : guichet universel de greffe, divorce par consentement mutuel selon une procédure allégée, représentation obligatoire par avocat en matière de baux commerciaux et professionnels, institution de barèmes indicatifs pour les pensions alimentaires et la réparation du préjudice corporel ;

– déjudiciarisation et allégement procédural : développement des modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, transaction notamment).

Parmi les nombreuses propositions des groupes de travail initiés par la ministre, quelles sont, selon vous, celles qui sont essentielles ?

Parmi les propositions des trois groupes de travail et les pistes de réflexion sur l'office du juge que l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) a mises en lumière, il est indispensable de retenir les axes ci-dessous.

■ Organisation de la justice du xxie siècle, groupe présidé par Didier Marshall (déc. 2013)

Plusieurs propositions ont été déclinées en 5 axes, les principaux étant :

– un accès au droit et, si nécessaire, à la justice par des modes alternatifs de règlement des litiges (la médiation proposée par un professionnel selon un tarif annoncé et raisonnable par ex.) ; la création d’un guichet universel de greffe pour permettre au citoyen d'introduire et de suivre ses procédures civile, commerciale ou sociale depuis un même lieu.

– la création d'une juridiction unifiée, le Tribunal de première instance (TPI), regroupant l'ensemble des juridictions judiciaires de première instance, selon une déclinaison qui pourrait être départementale mais qui devra tenir compte des spécificités territoriales. Cela conduit à regrouper les contentieux par blocs de compétences : famille, enfance, civil, proximité, pénal, commercial et social ;

– la recherche d’une proximité à la fois géographique et fonctionnelle. Elle s’appuie aussi sur le repérage des contentieux qui rendent nécessaire une saisine simplifiée et une procédure adaptée (orale et sans représentation obligatoire), dans les domaines de la vie quotidienne et de la protection des personnes.

■ Le juge du xxie siècle, groupe présidé par Pierre Delmas-Goyon (déc. 2013)

S'inspirant largement des analyses du rapport de l'IHEJ, en particulier en partageant la conviction que c'est par un changement de mentalité plutôt que par un empilement des textes que l'on obtiendra des avancées significatives, le groupe a défini des principes d'action :

– rendre le citoyen davantage acteur de son litige (procédures de résolution amiable des litiges, recours à des solutions négociées entre avocats ; audiences virtuelles et information par voie électronique) ;

– organiser le fonctionnement de la justice au service du citoyen (travail en équipe au sein de l'institution judiciaire, greffier juridictionnel, adoption et diffusion publique de référentiels jurisprudentiels) ;

– valoriser l'intervention du magistrat (rationaliser le traitement des procédures en matière civile en aménageant le surendettement et la tutelle des majeurs ; en matière pénale, redonner corps au principe de l'opportunité des poursuites, supprimer certaines compétences inutiles, procéder à certaines déjudiciarisations d'ampleur limitée).

■ Le Parquet, groupe présidé par Jean-Louis Nadal (nov. 2013)

Il propose une véritable refondation du ministère public en formulant 67 propositions réparties en 10 grandes orientations et notamment :

– garantir l'indépendance du ministère public à l'égard de l'exécutif, notamment en inscrivant dans la Constitution le principe de l'unité du corps judiciaire, en soumettant la nomination des magistrats du parquet à l'avis conforme du CSM et en inscrivant l'action du ministère public dans un cadre territorial élargi qui pourrait être un parquet départemental dans un TGI départemental ;

– renforcer l'autorité fonctionnelle du ministère public sur la police judiciaire.

■ Les Travaux de l’IHEJ, « La Prudence et l'Autorité : L'office du juge au xxie siècle » (mai 2013)

Le garde des Sceaux a confié à l'IHEJ une mission essentielle de réflexion sur l'évolution de l'office du juge et sur son périmètre d'intervention. À partir d'une étude des pratiques des magistrats, une classification des différents offices du juge a été dégagée, observation étant faite que ces offices traversent toutes les fonctions et ne se résument à aucune d'elles. Six offices ont ainsi été repérés : les offices jurisprudentiel, processuel, de vérité, libéral, tutélaire et sanctionnateur.

Ces questions d’organisation dépendent-elles du constitutionnel, du législatif ou du réglementaire ?

Nous pouvons le constater au travers des importants travaux d'analyse et de réflexion menés depuis plusieurs mois, l'enjeu politique de réorganiser et de réformer en profondeur la justice est considérable. Il appartiendra clairement aux plus hautes autorités de l'État de décider par quelles voies elles entendent l'organiser et selon quel calendrier.La voie constitutionnelle est annoncée, en particulier sur la question sensible du statut du parquet. Qu’en sera-t-il  pour la réorganisation des juridictions elles-mêmes et la création d'un tribunal de première instance unique ? Un choix devra clairement être fait et, si une fusion des juridictions de première instance est décidée, des arbitrages devront être réalisés sur les périmètres de fusion en fonction des scénarios proposés notamment par les rapports Marshall et du Sénat (Klès-Detreigne).

Quelle ambition réelle porteront le garde des Sceaux, le gouvernement et le président de la République pour la justice et pour les citoyens ? La justice et son organisation concrète pour une société plus juste et respectueuse des droits des personnes ne doivent-elles pas conduire à un cadre ambitieux de réforme ?

Questionnaire Désiré Dalloz

Quel est votre pire souvenir d’étudiant?

Janvier 1981, je viens d’entrer à l’École nationale de la magistrature et j’ai 21 ans. Je suis reçue par le directeur des études et lui demande de bénéficier d’une année de césure pour terminer un mémoire d’histoire du droit. Il me répond sèchement que je suis entrée dans une école d’application et que les études sont désormais terminées.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Il s’agit d’une héroïne, Antigone.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté de conscience.

 

Auteur :M. B.


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