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[ 18 janvier 2013 ] Imprimer

La vie familiale en rétention administrative

La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Popov c. France du 19 janvier 2012, a condamné la France pour défaut de base légale, traitement inhumain et dégradant et atteinte à la vie familiale du fait de la rétention administrative de jeunes enfants qui accompagnaient leurs parents, demandeurs d’asile. La Cour affirme que « si le fait pour les parents et les enfants de ne pas être séparés est un élément fondamental garantissant l'effectivité de la vie familiale, il ne saurait en être déduit que le seul fait que la cellule familiale soit maintenue garantit nécessairement le respect du droit à une vie familiale, et ce particulièrement lorsqu'une famille est détenue ». Karine Parrot, professeure à l’Université de Cergy-Pontoise, est cosignataire avec 60 universitaires d’une lettre ouverte visant à faire cesser l’enfermement des mineurs étrangers en France. Elle répond à nos questions.

Qu’est-ce qui change l’état du droit avec la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ?

Un des apports majeurs de l'arrêt Popov tient à la nouvelle interprétation de l'article 8 de la Conv. EDH : Dorénavant, le fait que les parents et leur(s) enfant(s) soient réunis en rétention ne suffit plus à garantir le respect de leur droit à mener une vie familiale normale. D'après la Cour, les autorités nationales doivent prioritairement rechercher des « mesures alternatives » à la rétention de la famille (assignation à résidence ou à l'hôtel), la rétention ne pouvant intervenir qu'exceptionnellement face à un « besoin social impérieux ». Le recours aveugle, systématique à la rétention des familles  qui avait cours jusqu'alors en France  est donc prohibé par la Conv. EDH.

Par ailleurs, sans surprise, la Cour condamne la pratique française consistant à enfermer les enfants sans qu'il soit prononcé de décision à leur encontre.

Quel est le dispositif juridique appliqué par les autorités administratives actuellement ?

En droit français, les mineurs étrangers n'ont pas besoin de titre de séjour, ils ne peuvent donc être en situation irrégulière, ni faire l'objet d'un ordre de quitter le territoire et d'un placement en rétention destiné à préparer leur éloignement. En pratique, donc, seuls les parents sont visés par les décisions préfectorales et les enfants qui les accompagnent se voient privés de liberté sans qu'aucun juge ne puisse se prononcer sur la légalité de leur présence en centre de rétention. Le 6 juillet 2012, six mois après l'arrêt Popov qui condamne catégoriquement cette pratique au regard de l'article 5 § 4 de la Convention, le ministre de l'Intérieur a édicté une circulaire tendant à limiter le recours à la rétention des familles ! Seulement, lorsque l'enfermement des enfants intervient, il demeure absolument contraire à la Convention. Et depuis l'arrêt Popov une trentaine de familles ont été enfermées, dont certaines postérieurement à la circulaire.

Que demandez-vous à l’État français ?

Avec plus de soixante collègues, enseignants-chercheurs en droit, nous demandons que le gouvernement et l'administration respectent le droit, ce qui, en l'espèce, implique la cessation absolue de la rétention des mineurs. Cette pratique inhumaine  qui a d'ailleurs valu ici à la France d'être également condamnée sur le fondement de l'article 3  ne saurait perdurer sans une réforme législative, or le président de la République s'était précisément engagé durant sa campagne à y mettre un terme. Au-delà du traitement terrible infligé aux familles  qui a motivé une pétition contre la rétention des enfants  la lutte menée contre l’immigration illégale et l'avènement de l'enfermement comme technique ordinaire de « gestion des flux migratoires » devraient susciter un véritable débat public. Le récent rapport du Défenseur des droits qui dénonce les comportements systématiques des forces de police à l’endroit des migrants situés dans le Calaisis illustre parfaitement la violence et les violations des droits fondamentaux inhérentes à la politique de fermeture des frontières désormais menée à l’échelle européenne.

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Pendant les grèves de 1995, je faisais du stop sur les quais de la Seine pour aller au Panthéon. C'était assez amusant.

Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?

Ziggy Stardust. Notamment parce que l'album de David Bowie, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, est extraordinaire.

Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?

C'est une question à laquelle il est difficile de répondre dans l'absolu. Pour ce qui concerne la France, aujourd'hui, c'est le droit à la liberté d'opinion qui mériterait selon moi un attachement particulier parce qu'il me semble menacé de manière incidente et inédite.

 

Références

■ Rapport 2011 sur les centres et locaux de rétention administrative.

■ CEDH 19 janv. 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 3 - Interdiction de la torture 

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; 

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ; 

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; 

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ; 

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; 

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. 

2) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. 

3) Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4) Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. 

5) Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Article 8 Droit au respect de la vie privée et familiale 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, 

à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

Auteur :M. B.


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