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[ 25 février 2016 ] Imprimer

Le conseiller d'insertion et de probation pénitentiaire

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Chaque jour ils suivent des personnes condamnées à des peines, en détention ou à l'extérieur. Ce sont eux qui donnent vie aux mesures pénales régulièrement votées au Parlement. Les conseillers d'insertion et de probation pénitentiaires (CPIP) se trouvent à la fin de la chaîne pénale, leur rôle est fondamental dans l'accompagnement des détenus et condamnés qui devront, un moment ou un autre, réintégrer la société. Titulaire depuis deux ans, Sébastien Arnaud, CPIP à Liancourt, nous a livré son témoignage sur ce métier qui le passionne.

Pouvez-vous nous détailler votre parcours ?

J'ai loupé mon Bac, je l'ai repassé en candidat libre et j'ai repris mes études à 25 ans pour une faculté de sociologie à Bordeaux. Entre temps, j'ai été saisonnier agricole, employé dans une entreprise de transport routier, j'ai fait des bilans de compétences, je me suis cherché. A la suite de ma reprise d’études universitaires, j’ai obtenu une licence et une maîtrise (Master 2) en sciences de l'éducation. La question carcérale, je l'ai découverte par mes lectures sociologiques et philosophiques et par le biais d’un bénévolat de trois ans au sein de l'association GENEPI (Groupement Étudiant National d'Enseignement aux Personnes Incarcérées, ndlr). J'ai été amené à animer des activités socioculturelles avec divers publics à la Maison d’Arrêt de Bordeaux-Gradignan.

J'ai passé trois fois le concours de CPIP avant d’intégrer l’ENAP (École Nationale de l’Administration Pénitentiaire, ndlr). C’était ce métier et uniquement celui-là que je voulais faire. Je n'avais pas conscience la première année qu'il fallait autant se préparer, c'est assez sélectif. Or en parallèle de mes études, je travaillais dans un collège comme assistant d'éducation. La seconde année, celle de la promotion n° 16, j'ai préparé le concours avec le CNED mais il n'y a eu que 45 candidats admis pour toujours 7000 candidats. C'était trop dur pour moi avec mon quotidien professionnel à mener en parallèle. La dernière année j'ai donc choisi d’intégrer les cours du soir à Sciences Po bordeaux (IEP). Mon concours en poche, j'ai intégré l'ENAP en septembre 2013 pour une formation de deux ans en alternance. L'année de ma « stagiérisation », la majorité des postes d’affectation étaient situés au Nord de la Seine. Sur les conseils d’un collègue de promo, j'ai choisi le Centre Pénitentiaire de Liancourt comme poste de « pré-affectation » en 2014.

Globalement, en quoi consistent vos missions au quotidien ?

Tout d’abord, il faut avoir conscience que le suivi socio-judiciaire ce n'est pas que la prison. La plus grande partie des personnes qui sont suivies le sont en « milieu ouvert ». Pour ma part, je travaille en milieu fermé. Le centre pénitentiaire est un établissement intéressant parce qu'il y a plusieurs types de personnes incarcérées (prévenues, courtes et longues peines…). J'interviens sur trois bâtiments, avec les hommes majeurs. Ici nous ne sommes pas organisés en pôle, les dossiers nous sont affectés en fonction de notre charge de travail, on a donc un large éventail de parcours et de profils. Actuellement, nous sommes à environ 70 dossiers par conseiller quand tout le monde est là. Au SPIP de Liancourt nous sommes 10 CPIP titulaires, un stagiaire pré-affectée et un élève. Il faut y ajouter le directeur, une assistante de service social, un psychologue et une coordinatrice culturelle.

Mon quotidien consiste pour partie en des entretiens et beaucoup de rapports. Ensuite nous essayons, quand c'est possible de maintenir le contact avec les familles. Dans la même journée je peux avoir plusieurs appels téléphoniques de familles, parler avec un magistrat, être contacté par un avocat tout en assurant l’accompagnement d’une personne détenue en la recevant en entretien. Ça demande un niveau d'adaptation très important et ça peut être très fatigant. 

En milieu fermé, notre métier a plusieurs volets. L’accompagnement avec le maintien des liens familiaux, l'orientation vers les dispositifs de droit commun et l’évaluation des personnes détenues. Il y a aussi l'aide à la décision du magistrat qui nécessite de rédiger un certain nombre de rapports afin d’apporter un éclairage sur tout type de demande, d'une permission de sortir jusqu'à une requête en aménagement de la peine. Nous évaluons les projets de la personne, ses perspectives, ses souhaits, son évolution et essayons d’être une aide à la construction d’un projet qui l'aide à sortir des problématiques dans lesquelles elle se trouvait et qui l'auraient éventuellement amenée à son passage à l'acte. Nous nous basons sur des éléments objectifs mais aussi sur le déclaratif de la personne. Notre mission de prévention du risque de récidive passe ainsi par la prise en considération de la personnalité, du parcours et des projets de la personne. 

Le CPIP n’est évidemment pas seul dans l’évaluation du déroulement d’un parcours d’exécution de peine en prison. C’est un travail pluridisciplinaire, l’administration pénitentiaire dispose d’ailleurs d’instances dédiées à la mise en place de cette pluridisciplinarité.

Qu'est-ce qui vous plaît dans ce métier ?

Depuis deux ans je suis un peu passé par tous les états. Quand j’ai commencé, j'étais extrêmement motivé et je le suis toujours mais je n'avais pas conscience du poids conséquent de la dimension administrative de mon métier. Ce qui me motive c'est de travailler avec de l'humain, d'accompagner les gens, avec tout ce que cela peut impliquer de difficultés comme de choses positives. L'humain c'est aussi les collègues, les différents corps de métiers de la pénitentiaire, les partenaires, le monde judiciaire... J'ai choisi un métier où je suis « bougé » dans mes valeurs et mes convictions toute la journée alors même que je suis censé représenter, à mon petit niveau, celles de la société. Selon moi, si l’on peut déplorer le fait que nous soyons régulièrement soumis à une multitude de nouveaux textes de lois qui viennent déstabiliser d’autant notre assise professionnelle, cela reste un travail extrêmement intéressant. De toute façon, je n'aurais pas pu faire un « boulot pépère » où je me lève, je pointe et je repars.

Ce qui m'intéresse c’est d’essayer d'être « utile » tant à la personne qu'à la société, au même titre qu'un professeur ou un employé du pôle emploi. Le fait de représenter l'État me tient à cœur, je suis extrêmement fier d'être fonctionnaire du ministère de la justice. Je trouve et j'espère que mon travail est utile.

Comment percevez-vous l'évolution de votre métier ?

J'ai très peu de recul mais j'ai déjà vu plusieurs réformes alors que je ne suis titulaire que depuis deux ans. Dans le domaine judiciaire, on peut vite avoir l’impression d’être face à un mille-feuilles de mesures qui changent tout le temps. Beaucoup sont mises en place mais pas ou peu appliquées, d'autres le sont puis disparaissent. Pour moi, le ministère de la justice est soumis régulièrement aux aléas de la vie politique. Chaque changement de majorité voire de Garde des Sceaux et parfois même chaque fait divers peut impliquer une nouvelle loi qui touche directement notre métier. 

Pour prendre un exemple récent, Mme Taubira (l'ex. Garde des Sceaux, ndlr) m’a semblé essayer de tendre vers une nouvelle philosophie pénale sans forcément en avoir les moyens. On vient de changer de ministre et nous savons ce qu’ont été les évènements tragiques de ces derniers mois, cette philosophie va donc peut-être changer. En 2017, on va changer de Gouvernement ce qui va sûrement nous amener vers de nouvelles lois, de nouvelles pratiques. Notre métier est, de ce point de vue, extrêmement instable. Au lieu de faire de la peine privative ou non de liberté une question vraiment politique et philosophique, elle est devenue une question politicienne et cela me semble anormal. Nous pouvons être mis en difficulté car nous devons faire preuve de pédagogie toute la journée au sujet de mesures que nous-mêmes n'arrivons pas toujours à comprendre…

D'autre part, on peut voir une augmentation du nombre de rapports à produire ce qui devient difficile à concilier avec le nombre d'entretiens. Pour autant, nous sommes actuellement sur une tentative nationale de rendre lisible nos pratiques opérationnelles. On travaille sur ce vers quoi il faut tendre pour homogénéiser nos pratiques, prendre en charge correctement les personnes, redonner du sens.

Vous êtes aujourd'hui chargés de la prévention de la récidive, hier on parlait de mission de « réinsertion ». Qu'est-ce que cela sous-tend ?

On nous demande de participer à la prévention de la récidive, c’est même le cœur de notre mission. Quand je me suis intéressé à ce métier pour la première fois, la fiche de poste disait que le CPIP participait à la réinsertion des personnes détenues. Pour moi, c’est un changement de rhétorique significatif. La réinsertion revêtait une dimension positive que je retrouve moins, pour ma part, dans la prévention de la récidive et son corrélat de traitement du risque. 

Dans la question carcérale, ce qui m'intéressait c'était cette zone un petit peu à côté de la société, dans le sens où peu de citoyens savent ce qui s’y passe, et qui était tout de même censée représenter la sanction de la société sur les individus. Pour moi, la société civile ne s'intéresse pas assez à la manière dont est rendue la justice, tant en prison qu’en milieu ouvert. Pour ce qui concerne le milieu fermé, j’ai l’impression que personne ne se pose la question du comment le détenu va sortir. Or tous ou la grande majorité d’entre eux vont sortir. Je pense que c'est une question que nous devons tous nous poser.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Le meilleur c'est un cours d'initiation à la sociologie dispensé par François Dubet. C'est un sociologue Français connu qui travaille sur les questions d'éducation notamment. Il m'a dispensé mon premier cours de sociologie, quand je suis entré à la faculté. La semaine d'avant je travaillais encore dans les champs comme ramasseur de prunes. J'arrivais de ma « cambrousse » à 25 ans dans un amphi où tout le monde en avait 18, j'étais décalé, je n'avais pas eu de rapport à l'écrit depuis très longtemps et il a su me donner envie de continuer. J'ai peut-être un peu réussi mes études grâce à ce cours introductif.

Sinon, découvrir les écrits du sociologue Pierre Bourdieu a été mon meilleur comme mon pire souvenir. Il faut être persévérant pour passer outre la complexité de ses ouvrages et de sa manière d’écrire mais quel plaisir quant on croit y être parvenu.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

J'aime bien les personnages de looser. Alors pour la blague, je dirais Calimero. C'est un poussin que je trouve très sympathique et qui me permet au quotidien de me mettre dans la peau d’un râleur plaintif, ce que certains mauvais esprits pourraient définir comme un « pur fonctionnaire ». Mais il reste assez attachant. J'en ai une figurine sur mon bureau.

En matière d’art, j’aime beaucoup Dali. J'ai une de ses œuvres en fond d'écran de mon ordinateur professionnel. C’est pour son côté fantasque, déstabilisant et passionnant, pour la beauté comme la complexité de son œuvre aussi. Pour tout ce qu’il créé chez moi. J'aime bien être bousculé, qu'on me remue dans mes convictions.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Ce serait plutôt des principes. L'égalité et la justice. J’ai parfois l’impression que ce sont des vœux pieux, surtout actuellement. Mais cela reste ce vers quoi il faut tendre. De plus, les deux se recoupent, se complètent : concrètement, la justice doit être rendue de manière égalitaire. 

Carte d'identité du conseiller d'insertion et de probation

Les conseillers d'insertion et de probation travaillent en lien avec les juges d'application des peines auxquels ils rendent des rapports, mais aussi avec les familles avec lesquelles ils tentent de maintenir un lien avec les personnes condamnées, avec les avocats et nombre d'associations et partenaires extérieurs. Leur métier a considérablement évolué depuis le début des années 2000. D'éducateurs chargés de l'insertion des détenus, ils sont devenus responsables de problématiques criminologiques, sociales, et notamment de la prévention de la récidive avec tout un travail de réflexion autour du passage à l'acte. 

■ Les chiffres

-       249 298 personnes étaient suivies par des CPIP au 1er janvier 2015 dont 172 007 en milieu ouvert et 77 291 personnes écrouées (personnes détenues et en aménagement de peine sous écrou, par exemple avec bracelet électronique, en semi liberté).

-       3000 CPIP en exercice selon le syndicat CGT insertion-probation pour 103 service d'insertion et de probation milieu ouvert/milieu fermé.

-       75 % sont des femmes. 

-       L'âge moyen est entre 40 et 41 ans.

-       100 à 120 personnes en moyenne sont suivies par travailleur social

■ La formation

Elle se passe à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) et se déroule en deux ans, la première en tant qu'élève à Agen, la seconde en tant que stagiaire pré-affecté.

■ Les domaines d'intervention

Accompagnement socio-éducatif vers une réinsertion des personnes majeures condamnées pénalement, aide à la décision judiciaire, rôle dans l'individualisation de la peine et exécution de la peine. 

En milieu ouvert : accompagnement dans le cadre d'un mandat pénal. 

En milieu fermé : préparation à la sortie, lutte contre les effets désocialisants.

■ Le salaire

Le salaire en début de carrière est de 1630 euros par mois et en fin de carrière à 2869 euros.

■ Les qualités requises

Disponibilité, flexibilité, autonomie, probité, écoute, aptitude au dialogue, patience, sociabilité, humanité, motivation, réactivité.

■ Les règles professionnelles

Les CPIP sont soumis à un statut spécial (privés du droit de grève et de garanties disciplinaires) et au code de déontologie pénitentiaire qui n'est pas spécifique à cette profession et « comporte de nombreuses atteintes aux libertés individuelles » selon le syndicat CGT insertion-probation.

Les règles européennes de la probation adoptées par le Conseil de l'Europe en 2010 sont désormais mises en avant par l'administration comme un cadre d'intervention.

■ Les sites Internet : 

-       Ministère de la justice : http://www.metiers.justice.gouv.fr/conseiller-penitentiaire-dinsertion-et-probation-12622/

-       ENAP : http://www.enap.justice.fr/formation_initiale/conseillers.php

-       Syndicat CGT Insertion-probation : http://www.cgtspip.org/

 

Auteur :A. C.


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