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[ 28 février 2013 ] Imprimer

Le médecin d'unité médico-judiciaire

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Le droit est partout enseigne-t-on à l'Université, et il est bien sûr à l'hôpital. Dans les unités de soins médico-judiciaires, des médecins interviennent jour et nuit à la demande de la police ou de la justice pour réaliser des actes médicaux établissant des constats de coups et blessures, de mauvais traitements, d'agressions sexuelles ou pour agir auprès de personnes gardées à vues. Autant d'interventions que Dalloz Actu Étudiant a pu découvrir en suivant le médecin chef de service Patrick Chariot à l'hôpital Jean-Verdier de Bondy, en Seine-Saint-Denis (93).

Quel a été votre parcours avant de devenir chef de service d'une unité médico-judiciaire ?

J'ai fait mes études à la Faculté de médecine de Cochin (ndlr aujourd'hui Paris-Descartes). À l’époque, je n'avais à peu près aucune idée de ce qu'était la médecine légale, hormis un souvenir de diaporamas horribles de corps découpés. Interne, j'ai fait six mois de cancérologie à haute dose. Alors pour l'été, j'avais choisi une spécialité différente, que j'imaginais plus tranquille. Et je suis arrivé aux urgences médico-judiciaires de l'Hôtel-Dieu. J'y ai rencontré des gens aux profils variés et beaucoup de choses auxquels je ne m'attendais pas. J'ai été encouragé à persévérer dans cette voie par un ou deux médecins, parce qu'il manquait aussi des spécialistes en toxicologie. Par la suite, j'ai travaillé dix ans à Créteil sur la toxicologie de l'AZT (ndlr : composé chimique créé pour le traitement du Sida). Le champ était complètement vierge et j'ai travaillé là en tant qu'universitaire de médecine légale. J'ai dû partir et je me suis recyclé comme médecin légiste, pour de vrai, à l'hôpital de Garches en 2001. Puis j'ai passé trois ans à l'hôpital Hôtel-Dieu avant d'atterrir ici en 2005.

En résumé, qu'est-ce qu'une unité médico-judiciaire ? Et qu'est-ce que la médecine légale ?

Les unités médico-judiciaires (UMJ) ont été créées pour réaliser des examens médicaux utilisables par les magistrats dans le cadre de procédures pénales. Ce sont des examens qui sont pratiqués sur réquisition. Enfin pour la plupart des cas, car dans la pratique, certaines UMJ ont une activité plus faible et voient aussi des victimes sans réquisition. Mais c'était surtout avant la réforme de la médecine légale, quand les financements et la répartition des rôles étaient moins clairs. Par ailleurs, certains services font de la thanatologie (ndlr, la médecine autour de la mort, en l'occurrence des levées de corps et autopsies) et de la médecine du vivant, d'autres, comme nous, ne font que de la médecine légale du vivant. Cela consiste à réaliser un ensemble d'actes à la demande de la justice sur des personnes vivantes, qu'elles soient dans un contexte de violence ou d'infraction pénale, qu'il s'agisse d'auteurs ou de victimes.

Qu'est-ce qui vous plaît dans ce poste de chef de service d'UMJ spécialisé en addictologie ?

J'aime bien ce qui est en marge. En addictologie, ce n'est pas le patient « noble » pour les médecins. Mais en matière d'utilité sociale de la médecine légale, il y a un vrai intérêt, plus fort que d'autres spécialités qui sont beaucoup mieux valorisées. J'aime la rencontre avec les gens, je les trouve souvent touchants. Les relations peuvent être très riches entre le patient et le médecin. Ce qui me plaît, c'est aussi quand j'ai l'impression d'arriver à faire bouger les choses et les idées, par exemple quand une infirmière me dit qu'elle se décide enfin à écrire un article alors qu'elle pensait que ce n'était pas fait pour elle. Ce n'est pas linéaire : certaines semaines cela avance, d'autres non. J'ai aussi une grande liberté dans mon organisation entre ma vie d'universitaire, de médecin légiste, d'addictologue, d'expert judiciaire. Il y a beaucoup de choses riches qui font partie de mon travail.

Quelle a été l'évolution de la médecine légale ces dernières années ?

Historiquement, le cœur de métier c'était l'autopsie. Aujourd'hui, cela tend à s'amenuiser mais je ne suis pas objectif car je n'en fais plus. La réforme de la médecine légale (ndlr d'après la circulaire du 28 décembre 2010, applicable au 15 janvier 2011) a été une bonne chose, dans le principe, dans la mesure où elle envisageait l'homogénéisation des pratiques sur le territoire. Nous avons désormais 48 unités de médecine légale en France qui, de loin, fonctionnent de la même manière. C'était la structuration voulue par le ministère de la Santé, mais son application a posé des problèmes pratiques, notamment financiers comme ici à l'hôpital Jean Verdier où nous fonctionnons avec les moyens d'un service trois fois moins important. Par ailleurs, il y a aujourd'hui une tendance dans la médecine légale universitaire à utiliser les mêmes critères de recrutement que dans les autres disciplines, notamment en valorisant les écrits. Maintenant, on demande qu'il y ait une production universitaire au même niveau qu'ailleurs alors qu'avant la médecine légale était un peu à part.

Pouvez-vous nous expliquer quelques projets en cours ?

Nous envisageons de saisir automatiquement à l'accueil de l'UMJ certaines données. L'idée est d'essayer de comprendre ce qui va être déterminant pour la caractérisation de l'incapacité temporaire de travail (ITT), de cibler des caractéristiques de la violence qui pourront la qualifier. Nous allons essayer de déterminer des critères générateurs de troubles particuliers ou que le médecin imagine comme tels. Cela devrait être mis en place ce mois-ci. Dans les projets que je pousse, il y a notamment celui d'ouvrir une unité de suivi des victimes de violences complexes ou aux conséquences complexes, c'est-à-dire les violences sexuelles, les violences conjugales et les violences au travail. Cela ferait partie de la médecine légale et sociale mais ça ne serait pas l'unité médico-judiciaire. L'intervention de plusieurs professionnels serait nécessaire (psychologues, juristes, assistantes sociales, éducateurs, psychiatres, addictologues, médecins du travail, etc.). Nous apporterions des soins et pas seulement des actes pour le ministère de la Justice. Cela fait deux ans que je parle de ce projet à la direction qui trouve l'idée très bien. Mais il va falloir un minimum de soutien institutionnel, de l'Université ou du Conseil général : une nouvelle recherche de moyens.

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

Ma première deuxième année de médecine (j'en ai fait plusieurs), j'ai préparé en parallèle le concours d'entrée à l'ENS prévu pour les étudiants en médecine. Il fallait avoir 10 aux examens de médecine et j'ai eu 9, donc je pensais que je ne pouvais plus présenter l'examen du concours d'entrée de l'ENS et je ne m'y suis pas présenté. Or, le fait de ne pas m'être présenté aux épreuves de l'ENS m'a empêché de le repasser. C'est assez incompréhensible comme histoire. Mais tout cela pour dire que ça m'a éloigné de la médecine pour un moment.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Henri Boulanger interprété par l'acteur français Jean-Paul Léaud, dans le film J'ai engagé un tueur, du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki. J'aime beaucoup le réalisateur, le film et l'acteur. C'est l'histoire d'un Français qui vit à Londres, un peu isolé dans une grande entreprise. Et au début du film, on le convoque et on lui dit qu'il est viré. Il décide d'en finir avec la vie mais il ne réussit pas et finit par engager un tueur à gage. Ça part très très noir mais c'est très optimiste en fait. J'ai appris le finois pour essayer de comprendre les films de ce cinéaste que je trouve extraordinaire, et j'ai été là-bas, à Helsinki pour les voir.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Le respect de la dignité, de la décence au sens de Georges Orwell.

 

Carte d'identité du médecin d'unité médico-judiciaire

À l'image de nombre de médecins, Patrick Chariot multiplie les casquettes professionnelles. Il est aussi enseignant-chercheur, expert judiciaire et spécialiste en addictologie, sans compter qu'il est chef du service de l'UMJ de Bondy. Autant d'activités qui permettent aux praticiens de prendre du recul par rapport à leurs missions à l'hôpital, particulièrement chargées émotionnellement.

▪ Les chiffres

– 19 000 examens de personnes en garde à vue ont été pratiqués en 2012 à l'hôpital Jean-Vedier ;

– 11 000 examens de victimes de violences autres que sexuelles ;

– 600 examens de victimes de violences sexuelles ;

– 350 estimations d'âge ;

– 23 médecins travaillent à temps plein ou partiel au sein de l'unité médico-judiciaire de l'hôpital Jean-Verdier.

▪ La formation et les conditions d'accès

Les médecins légistes d’unité médico-judiciaires suivent, comme pour toute autre spécialité, un enseignement spécialisé. Il est dispensé sur deux années et comporte un volet juridique. Le Pr. Chariot dirige ces enseignements à l’Université Paris XIII.

▪ Les domaines d'intervention

Le médecin est amené à réaliser des constatations médico-légales comme la levée de corps, la délivrance d'un certificat de décès, d'un certificat de coups et blessures, d'agressions sexuelles ou de mauvais traitements mais il effectue aussi des prélèvements médico-légaux de sperme, de sang ou d'urine (détection de stupéfiants, d'alcool, recherche d'ADN, dépistage du Sida, de maladies sexuellement transmissibles, d'une grossesse...). Il est en mesure de déterminer un nombre de jours d'incapacité temporaire de travail (ITT), un concept dégagé par la jurisprudence correspondant à la durée pendant laquelle une personne n'est plus en mesure d'effectuer « les actes de la vie courante ».

▪ Le salaire

Il varie selon le degré d'ancienneté, le type de poste, le cumul des fonctions, soit une moyenne de 4 500 euros nets mensuels.

▪ Les qualités requises

Éthique, rigueur, probité, respect de l'être humain quel que soit son statut (victime ou agresseur présumé), patience, calme, regard critique, capacité d'écoute, d'analyse.

▪ Les règles professionnelles

Parmi les devoirs généraux du médecin, l’article 2 prévoit qu’il est « au service de l’individu et de la santé publique » et qu’il « exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ». Les articles 3 et 4 rappellent également ses obligations de « moralité, de probité et de dévouement », ou de « secret professionnel ». Lorsqu’il devient médecin expert, de nouvelles règles s’imposent à lui. Par exemple, il ne peut pas accepter une mission dans laquelle sont en jeu « ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services ».

▪ Site Internet

Hôpital Jean-Verdier de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris : http://www.aphp.fr/hopital/jean-verdier/

 

Références

 P. Chariot, L'intervention du médecin en garde à vue. Conférence de consensus, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2006.

 P. Chariot, M. Debout (dir.), Traité de médecine légale et de droit de la santé, Vuibert, 2010.

 Code de déontologie – Devoirs généraux des médecins

Article 2 - Respect de la vie et de la dignité de la personne (CSP, art. R. 4127-2)

« Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité.

Le respect dû à la personne ne cesse pas de s'imposer après la mort. »

Article 3 - Principes de moralité et de probité (CSP, art. R. 4127-3)

« Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine. »

Article 4 - Secret professionnel (CSP, art. R. 4127-4)

« Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »

 

Auteur :A. C.


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