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[ 8 juillet 2011 ] Imprimer

Le nouveau régime de la garde à vue

Dans le cadre de ses fonctions, l'acte le plus restrictif de libertés que peut prendre un officier de police judiciaire est le placement en garde à vue. Dans sa décision du 30 juillet 2010 rendue sur QPC, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les articles 62, 63, 63-1, 63-4 alinéas 1er à 6 et 77 du Code de procédure pénale, en permettant au législateur d'y remédier avant le 1er juillet 2011. La loi du 14 avril 2011 a alors été adoptée pour modifier la procédure. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin dernier.

Exerçant à titre exclusif en matière pénale, Claire Doubliez, avocat au barreau de Paris, a accepté de répondre à nos questions sur le nouveau régime de la garde à vue.

Quelles sont les dispositions législatives applicables au gardé à vue ?

Depuis le 1er juin 2011, la garde à vue est régie par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qui confère de nouveaux droits aux gardés à vue.

Ainsi, outre les droits déjà existants (avis à famille ou employeur, avis à médecin, droit à un interprète, entretien avec un avocat durant 30 minutes maximum prévu par les articles 63-1 et suivants du Code de procédure pénale), le gardé à vue a désormais le droit de garder le silence, d'une part, d'être assisté de son avocat choisi ou commis d'office durant ses auditions, d'autre part.

Un régime dérogatoire a cependant été mis en place.

Au terme de ce régime, l'intervention de l'avocat peut être différée pendant une durée maximale de 48 voire 72 heures sur décision du magistrat au regard de considérations tenant à l'enquête et conformément à l'article article 706-73 du Code de procédure pénale, qui liste les préventions pour lesquelles cette exception est applicable, à savoir notamment : le crime de meurtre commis en bande organisée, le crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée, les crimes et délits de trafic de stupéfiants, les crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée, le crime de vol commis en bande organisée, etc.

À cette dérogation, est ajouté un droit pour le magistrat de différer l'intervention de l'avocat quelle que soit l'infraction reprochée durant un délai maximum de 12 heures, qui peut exceptionnellement être prorogé de 12 heures pour les infractions punies de plus de 5 ans d'emprisonnement.

Que peut faire l'avocat pendant la garde à vue ?

Au terme de la loi, l'avocat peut assister aux auditions et confrontations de son client placé en garde à vue.

Son accès à la procédure se limite à la consultation :

– des procès-verbaux de notification des droits au gardé à vue qu'il assiste ;

– des certificats médicaux établis par les médecins dans le cadre de la visite faite au gardé à vue qu'il assiste ;

– des procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue qu'il assiste.

Afin de rendre effectif le droit à l'assistance de l'avocat durant les auditions, l'officier de police judiciaire doit respecter un délai de 2 heures minimum entre l'information faite à l'avocat du placement en garde à vue de son client et le début de l'audition de fond.

À l’issue de l'audition ou de la confrontation de son client, l'avocat peut poser des questions, étant précisé que l'officier de police judiciaire a le droit de s'opposer auxdites questions s'il considère qu'elles sont de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête. Il doit alors mentionner ce refus sur le procès-verbal.

L'avocat a de même la possibilité de présenter toutes observations écrites à l'issu de chaque entretien ou audition et/ou confrontation, observations qui seront jointes à la procédure.

À cet égard, il est important de noter que la loi confère le droit à l'officier de police judiciaire, s'il constate un conflit d'intérêt, de saisir le bâtonnier qui pourra alors désigner un autre défenseur.

Concrètement, l'avocat n'ayant pas accès à l'ensemble de la procédure (auditions d'autres mis en cause, auditions de témoins et/ou victimes, perquisitions, écoutes téléphoniques, etc.) sa présence aux auditions est problématique.

En effet, sans une parfaite connaissance des éléments à charge et à décharge, l'avocat ne peut utilement conseiller la personne gardée à vue.

Compte tenu de la jurisprudence européenne, une modification de la loi vers un accès pour l'avocat à l'ensemble de la procédure est probable.

Les conditions matérielles actuelles (locaux de la police, aide juridictionnelle, informations des policiers par la préfecture, des avocats par les barreaux, etc.) sont-elles adaptées aux nouvelles obligations issues de la réforme ?

Si la présence de l'avocat aux côtés de son client durant la phase de garde à vue est incontestablement une avancée dans les droits de la défense, les moyens mis en œuvre pour y parvenir font malheureusement défaut en l'état :

– en premier lieu, l'état matériel des commissariats est inquiétant : locaux vétustes et exigus, problème de confidentialité lors des auditions des gardés à vue, problème d'hygiène et de sécurité rendant les conditions de rétention indignes ;

– en second lieu, si l'avocat est choisi, il devra être mobilisable durant 24, 48 ou 96 heures, ce qui représente un coût financier que peu de gardés à vue peuvent supporter.

Dans l'hypothèse où l'avocat est commis d'office, le montant de son indemnisation est si dérisoire qu'il rend illusoire une défense efficace, ce d'autant que les conditions posées pour accéder à l'aide juridictionnelle sont extrêmement restrictives.

Faut-il craindre l'audition de l’article 62 du Code de procédure pénale issue de la dernière loi ?

La mise en œuvre de cette procédure étant lourde, on devrait assister à l'avenir à une réduction des placements en garde à vue au profit d'auditions « libres ».

Ces dernières sont possibles dès l'instant où la rétention de la personne entendue n'excède pas 4 heures.

Concrètement, cela pourrait concerner de nombreuses procédures pour lesquelles la détention à l'issue de l'audition n'est pas sérieusement envisagée par l'autorité judiciaire.

Questionnaire de Désiré Dalloz

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Références

Sur Cons. const. 30 juill. 2010, décis. 2010-14/22 QPC, v. Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.

Sur la loi du 14 avril 2011, v. Dalloz Actu Étudiant 20 avr. 2011.

■ Code de procédure pénale

Article 62

« Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures.

S'il apparaît, au cours de l'audition de la personne, qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l'article 63. »

Article 63-1

« La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :

1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l'objet ;

2° De la nature et de la date présumée de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ;

3° Du fait qu'elle bénéficie :

– du droit de faire prévenir un proche et son employeur, conformément à l'article 63-2 ;

– du droit d'être examinée par un médecin, conformément à l'article 63-3 ;

– du droit d'être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3 ;

– du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.

Si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.

Mention de l'information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue et émargée par la personne gardée à vue. En cas de refus d'émargement, il en est fait mention. »

Article 706-73

« La procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre :

1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8° de l'article 221-4 du code pénal ;

2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l'article 222-4 du code pénal ;

3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;

4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l'article 224-5-2 du code pénal ;

5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal ;

6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;

7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par l'article 311-9 du code pénal ;

8° Crimes aggravés d'extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;

8° bis Délit d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2 du code pénal ;

9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée prévu par l'article 322-8 du code pénal ;

10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;

11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;

12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ;

13° Délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée prévus par le quatrième alinéa du I de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

14° Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;

15° Délits d'association de malfaiteurs prévus par l'article 450-1 du code pénal, lorsqu'ils ont pour objet la préparation de l'une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;

16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l'article 321-6-1 du code pénal, lorsqu'il est en relation avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;

17° Crime de détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l'article 224-6-1 du code pénal ;

18° Crimes et délits punis de dix ans d'emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d'application de l'article 706-167.

Pour les infractions visées aux 3°, 6° et 11°, sont applicables, sauf précision contraire, les dispositions du présent titre ainsi que celles des titres XV, XVI et XVII. »

 

Auteur :M. B.


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