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[ 25 janvier 2013 ] Imprimer

Les droits des détenus depuis la loi pénitentiaire

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 consacre, pour la première fois dans un texte législatif français, « les droits et devoirs de la personne détenue ». Trois ans après sa promulgation, l’heure est au bilan. Dalloz Actu Étudiant a souhaité connaître l’opinion d’hommes de terrain et a donc rencontré Yves Januel, vice-pésident du GENEPI (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées), chargé de l'information et de la sensibilisation du public. La vocation de cette association est de participer au décloisonnement de la prison en établissant un lien entre les détenus et le monde extérieur.

Quelle est la part d’étudiants en droit travaillant pour le GENEPI ?

D'après le rapport d'activité de l'année dernière les étudiants en droit comptent pour tout juste un tiers des bénévoles du GENEPI. Le pourcentage d'étudiants en droit, historiquement la filière dans laquelle le GENEPI a toujours beaucoup recruté, a tendance à diminuer ces dernières années. Pourquoi ? C'est à la fois un mouvement naturel je pense mais aussi peut-être une volonté de notre part de se diversifier un maximum et ne pas toujours recruter dans les filières d'enseignement supérieures classiques : droit, science po, lettres... Tous les étudiants sont les bienvenus !

Quelles missions leur sont plus spécifiquement attribuées ?

Il n'y a pas de missions particulièrement attribuées aux étudiants en droit au GENEPI. Après, quand il s'agit d'intervention en détention, si une demande de soutien scolaire en droit est formulée par une personne incarcérée ces étudiants seront le plus à même de répondre. D'une manière générale, les interventions du GENEPI sont sur la base de la concertation avec les personnes incarcérées, c'est-à-dire que nous n'arrivons pas avec un projet tout fait mais nous essayons dans la mesure du possible de répondre aux attentes des personnes détenues ; donc l'étudiant en droit (comme l'étudiant en science ou autre) s'adapte, selon ses capacités, à ce que les personnes détenues souhaiteraient faire. D'ailleurs, dans l'idéal certaines activités peuvent être menées en coanimation avec les personnes incarcérées : le « genepiste » n'a alors qu'un rôle de facilitateur et à la limite n'a pas à avoir de connaissances particulières ! Nous sommes vraiment dans une idée de partage des savoirs et non de « cours » ou d'« enseignement ».

En ce qui concerne les autres volets de l'action du GENEPI, il n'est jamais inintéressant d'avoir des spécialistes du droit dans nos rangs quand il s'agit de faire entendre notre voix : les textes de lois sont parfois très pointu et un décorticage fait toujours du bien. Ainsi lors de la première formation de l'année, les bénévoles sont formés sur les bases du droit français ; dans un esprit d'éducation populaire, cela se fait par un bénévole étudiant en droit du GENEPI.

Quels engagements internationaux de la France militent en faveur de la promotion des droits du détenu ?

À la vue des textes internationaux qui ont tous été signés par la France, je crois que l'on peut dire que, dans l'absolu, la France milite en faveur de beaucoup de choses ! Par contre, lorsqu’ il s'agit de les appliquer ça se complique toujours... Il faut savoir que le France est très régulièrement condamnée pour des conditions de détentions indignes et inhumaines. L’État paye des amendes, l'Europe fait des rappels à l'ordre. Et pourtant presque rien ne bouge : vous avez vu ce qui a été dénoncé aux Baumettes en décembre dernier. Il y a beaucoup d'autres prisons dans cet état. Le pire c'est que ce n’est pas mieux dans les nouvelles prisons : à force de tout axer sur la sécurité on en vient à produire des lieux d'enfermement complètement déshumanisés : le rapport d'activité du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2009 revient longuement sur ce point.

Mais pour essayer d'être un tout petit peu positif : on va dire que la France est relativement active sur la question de l’abolition universelle de la peine de mort. On en est encore loin, mais c'est un beau projet.

Selon vous, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a-t-elle permis des changements positifs pour les personnes détenues ?

C'est très difficile à dire sachant que les conditions d'incarcération ne font que s'empirer. Savez-vous, par exemple, que l’on dénombre 10 % de détenus de plus fin 2012 que deux ans auparavant ? On est dans une folie carcérale et si l'on continue on va vers le modèle anglo-saxon. Alors du coup, la loi pénitentiaire... Mais surtout il y a des « avancées » qui n'en sont pas parce qu'il y a toujours une conditionnalité qui est ajoutée : « Les personnes incarcérées ont le droit à... » mais plus loin on précise « si la sécurité et le bon ordre de l'établissement le permettent » : quelle avancée ! Lors des débats au sénat M. Robert Badinter avait soulevé ce problème, les articles sont « vidés de leur substance par un traitement d'exception décidé par l'administration sur la base de critères imprécis » avait-il alors déclaré. À l'époque le GENEPI avait, dans une prise de position écrit ceci :

« Le GENEPI condamne cette loi du “ sauf si ”, et demande à ce que soient précisés les durées et les motifs des mesures attentatoires aux libertés des personnes incarcérées que l'administration pénitentiaire peut ainsi choisir d'appliquer ou de ne pas appliquer. Il exige que des voies de recours soient ouvertes par la loi, et non par voie de décret, pour chacune de ces mesures. »

Quelles applications essentielles en attendez-vous encore ?

Je ne prendrais qu'un exemple ! L'article 29 de la loi pénitentiaire est le suivant : « Sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement, les personnes détenues sont consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées. » La loi date de 2009 et il n'y a toujours pas de décret d'application pour cet article ! Et nous, au GENEPI, on essaye dans la mesure du possible d'organiser nos activités en concertation avec les personnes que l'on rencontre : on peut organiser des réunions d'information en prison, on transmet des questionnaires… Mais dans bon nombre d’établissements cela n'est pas possible : alors que c'est prévu dans la loi !

Il y avait pourtant eu une expérimentation intéressante menée par Mme Brunet Ludet, magistrate qui avait publié un rapport sur l'expression collective des personnes incarcérées. L’expérimentation portait sur dix établissements et visait à mettre en place des représentants des personnes détenues qui seraient en charge de remonter les envies de leurs codétenus sur les activités proposées. Mais une fois l'expérimentation terminée on n’en a plus entendu parler !

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ou le pire ?

Je crois que malheureusement c'était le dernier jour des exams de master 2 quand je me suis dit « ouf, cette formation est enfin finie ». Je crois que je n'ai pas choisi une filière dans laquelle j'ai été épanoui.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Vraiment je ne peux pas répondre à cette question, ma conscience professionnelle me l'interdit. Non, franchement, je ne sais pas.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Celle qui ressemble le plus au GENEPI, pour rester dans l'interview : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi » (NDLR : art. 9 DDH).

 

Références

http://www.genepi.fr/

 Pour aller plus loin : S. Boussard (dir.), Les droits de la personne détenue, coll. « Thèmes et commentaires », à paraître au 1er semestre 2013.

 

Auteur :M. B.


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