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[ 18 mars 2021 ] Imprimer

Les infractions sexuelles sur mineurs

Ces derniers mois, l’actualité a été marquée par les paroles et les écrits relatant de graves infractions sexuelles sur des mineurs, notamment dans le cercle familial. Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l'Université Paris Nanterre, a bien voulu nous répondre sur certains aspects juridiques de telles infractions sexuelles.

Quelle différence prend la sanction du crime de viol quand la victime est mineure ?

Le crime de viol est puni d’une peine de quinze ans de réclusion criminelle (C. pén., art. 222-23). Lorsque le viol est commis sur un mineur de quinze ans, la peine encourue est de vingt ans de réclusion criminelle (C. pén., art. 222-24). La minorité de la victime est donc une circonstance aggravante. 

Est-ce que l’inceste est pénalement sanctionné ?

L’inceste a toujours été pénalement sanctionné mais le terme même d’inceste n’est apparu que tardivement dans le Code pénal. Ainsi, jusqu'en 2010, les relations sexuelles non consenties entre membres de la même famille étaient appréhendées en droit pénal par les qualifications de viol ou agressions sexuelles assorties d'une aggravation de la pénalité en raison du lien d'ascendance entre les protagonistes ou en raison de l'autorité de droit ou de fait qu'exerçait l'auteur sur la victime. L'absence de l'inceste dans le Code pénal a pris fin en 2010. En effet, la loi du 8 février 2010 a introduit dans le Code pénal la notion d'inceste. Toutefois, la définition de l’inceste était tellement mal rédigée qu’elle a été abrogée à la faveur de deux questions prioritaires de constitutionnalité en date du 16 septembre 2011 (no 2011-163 QPC) et du 17 février 2012 (no 2011-222 QPC), en raison de sa contrariété au principe de légalité. La loi du 14 mars 2016 a rétabli les articles 222-31-1 et 227-27-2-1 du Code pénal mais en des termes plus clairs. Enfin, la loi du 3 août 2018 a finalisé la mutation du texte de l'inceste en supprimant la référence à la minorité de la victime. Désormais, l'inceste s'applique en toute indifférence à l'âge de la victime, ce qui est une évolution très positive du texte. L’inceste est une « surqualification » qui se superpose aux qualifications existantes en matière de viol, d'agressions sexuelles et d'atteintes sexuelles. La circulaire du 9 février 2010 (Circ. min. justice CRIM10-3/E8 du 9 févr. 2010) prenait soin de souligner que les articles 222-31-1 et 227-27-2 du Code pénal « ne constituent nullement de nouvelles incriminations et ne modifient pas les peines encourues ».

Quels sont les délais de prescription du crime de viol commis sur un mineur ?

Depuis la loi du 3 août 2018, l'article 7, alinéa 3, du Code de procédure pénale prévoit que le délai de prescription de l'action publique du crime de viol commis à l'encontre d'un mineur est de trente ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ce dernier. L'allongement du délai de prescription de l'action publique, associé au recul du point de départ de cette dernière, garantit au mineur victime de viol un laps de temps conséquent pour déposer plainte. Pour un viol commis pendant son enfance, le mineur peut agir jusqu'à ses 48 ans.

Quelles sont les réformes en cours pour ces infractions ?

Les réformes envisagées actuellement sont nombreuses et répondent à une actualité médiatique forte, notamment avec la publication en janvier de l’ouvrage La familia grande de Camille Kouchner. Plusieurs propositions de lois ont été simultanément déposées et sont en cours de discussion au sein du Parlement. Ainsi, une proposition de loi adoptée par le Sénat en janvier 2021, visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, est en cours d’étude à l’Assemblée nationale. Les principaux axes de réforme sont de deux ordres. D’abord, est envisagée la création d’une infraction autonome disposant que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit ou tout acte bucco‑génital, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle » (art. 1er de la proposition de loi n° 3796). Cette infraction autonome a pour finalité de soustraire les victimes mineures du débat probatoire sur le défaut de consentement, élément constitutif des agressions sexuelles. L’âge de treize ou quinze ans comme seuil de la répression pénale est très discuté et évoluera probablement durant le travail parlementaire. Ensuite, est proposée la mise en œuvre d’une « prescription glissante » qui devrait contrer les situations dans lesquelles un même auteur commet plusieurs viols contre différentes victimes mineures pour lesquelles les faits anciens seraient prescrits. La prescription glissante de l’action publique autorise l’interruption des prescriptions lorsqu’un auteur commet des infractions sexuelles sur de nouvelles victimes. Ce mécanisme très complexe vise à faire durer les délais de prescription pour toutes les victimes. Néanmoins, en l’état de la discussion des textes, cette réforme reste floue car son application soulève des interrogations. Ainsi, l’article 4 quater (nouveau) de la proposition votée en première lecture au Sénat énonce « Pour les crimes mentionnés à l’avant‑dernier alinéa de l’article 7, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, le délai de prescription est également interrompu en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs ». Or, on ignore si le délai de prescription sera interrompu à la date de la commission du second crime, ce qui peut s’avérer très difficile si la victime mineure lors des faits ne peut pas dater précisément les faits, ou à la date de la dénonciation officielle de l’infraction, ce qui risque alors d’être bien plus tard. Pour conclure, les multiples propositions de réformes vont faire l’objet de modifications par voie d’amendements, mais révèlent bien la pression sociétale qui pèse sur le législateur (et à laquelle il ne sait résister) pour assurer une meilleure efficacité dans la lutte contre les violences sexuelles perpétrées contre des mineurs et pour lesquelles la société n’a plus aucune tolérance.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ? 

Sans aucune hésitation, mon année de DEA (ancien master 2) de droit pénal. Une année extraordinaire avec la découverte d’une nouvelle façon de réfléchir, la naissance de mon envie de faire une thèse et la rencontre avec d’autres étudiants dont certains sont restés mes plus proches dans la vie.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ? 

Atticus Finch, l’avocat et père de la narratrice dans le roman de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. L’exemple d’un professionnel de justice intègre et courageux. Tous les étudiants, futurs magistrats et avocats, devraient lire ou relire ce roman magnifique.

Dans un registre très différent, Black Mamba, la tueuse dans les films Kill Bill réalisés par Quentin Tarentino. Une femme qui prend son destin en main, armée d’un sabre !

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

Je citerai non pas un droit mais plutôt un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), parce qu’il est très malmené aujourd’hui alors qu’il est le cœur de notre métier, l’indépendance des enseignants-chercheurs qui sous-tend le principe de l’indépendance de la recherche.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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