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[ 17 octobre 2012 ] Imprimer

L’huissier de justice

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Pour la rentrée, la rédaction de Dalloz Actu Étudiant s'est intéressée à celui que certains appellent l’un des derniers juristes des campagnes : l’huissier de justice. Une profession qui demeure très souvent associée aux seules expulsions et saisies de biens en cas d’insolvabilité, mais dont l’étendue des missions demeure toutefois méconnue. C’est à l’étude Safar, père et fils, que la rédaction de Dalloz Actu Étudiant a pu sonder l’huissier Patrick Safar, haut-représentant de la Chambre nationale des huissiers de France.

Depuis combien de temps travaillez-vous au sein de l'étude ?

Je me suis associé à mon père en 1987. Lui avait acheté cette étude de Melun en 1956 après avoir quitté l'Algérie. Son père et son grand-père avaient travaillé là-bas comme huissiers avant lui. Aujourd'hui, je représente donc la 4e génération d'huissiers de la famille. Une vocation téléguidée en quelque sorte. J'étais fils unique, le métier ne me déplaisait pas, alors je me suis lancé. J'ai d'abord passé un DEA de droit processuel à l'Université Paris II où par la suite, j'ai enseigné 24 ans comme chargé d'enseignements (droit civil, pénal, procédure pénale) à des étudiants de 1re à 4° année. J'ai ensuite suivi les cours à l'ENP (ndlr École nationale de procédure) parallèlement à mon stage de 2 ans à l'étude. Avant de m'associer, j'avais commencé une thèse mais je l'ai interrompue car je travaillais déjà et c'est un métier qui demande beaucoup de présence. Aujourd'hui je suis également membre de la Chambre nationale des huissiers de justice et notamment du bureau national, depuis 2 ans et demi.

Inventaires, saisies, expulsions... Comment gère-t-on humainement ce type de missions attaché à votre profession ?

Il faut un certain détachement, du recul sur ce type d'activités assez conflictuelles. C'est quelque chose de très personnel, une question de caractère. Nous jouons les médiateurs pour que les parties soient le moins blessées possible mais nous ne pouvons pas nous impliquer humainement sinon il faut faire un autre métier. Nous sommes là pour appliquer des décisions de justice et nous essayons de le faire avec le plus d'humanité possible, et de manière à ce que les gens comprennent les choses. Mais il n'y a pas de cours sur cela, c'est de l'expérience. La psychologie, ça s'apprend sur le terrain. Quand on rentre chez quelqu'un, il faut sentir dans les 10 premières secondes son niveau d'hostilité. Cela se passe vraiment mal quand il s'agit de vrais escrocs ou lorsque nous sommes face à des personnes qui refusent l'autorité. Mais en général, nous arrivons à faire passer le message.

Vous pâtissez d'une image négative auprès du public et même les professions du droit méconnaissent parfois vos activités, comment changer cela ?

Nous discutons actuellement avec une agence de communication sur le changement d'image de la profession car le mot « huissier » reste lié à une connotation obsolète. Nous cherchons à refléter une image consensuelle. En réalité, nous jouons un vrai rôle social parce que si nous n'étions pas là, que se passerait-il ? Des sociétés de gros bras seraient engagées pour rentrer chez les gens et les intimider. Nous sommes là pour huiler un peu le lien social, expliquer. Un des objectifs de la commission Darrois était justement que les professions se connaissent mieux. Mais aujourd'hui, il existe peu de stages inter-professionnels. Nous essayons d'être présents dans les colloques et congrès des autres professions juridiques mais nous n'y avons pas la tribune.

Grâce à la loi « Béteille » du 22 décembre 2010, vous pouvez désormais engager des huissiers salariés. Que cela va-t-il changer ?

Cela va nous permettre de déléguer les missions qui, jusque-là, n'étaient pas délégables. C'était une demande de la profession qui souhaitait obtenir cette prérogative des notaires pour élargir leur périmètre d'activités. Il y avait un véritable goulot d'étranglement des études qui étaient sous-exploitées à cause de ces missions non délégables, en particulier les saisies contrefaçons, les constats sur ordonnances et les reprises d'enfants lorsqu'ils n'ont pas été rendus par un de leurs parents. Maintenant que nous pouvons déléguer ces missions c'est autant de temps qu'il nous reste pour recevoir d'autres clients ou faire d'autres saisies.

Quel est l'enjeu majeur actuel de votre profession ?

Aujourd'hui, de plus en plus de procédures se déroulent par voie électronique. Si nous ratons ce virage et que nous laissons les autres professions s'y engouffrer, nous allons perdre beaucoup de chiffre d'affaires. C'est une valeur probante forte qui impacte les procédures notamment les délais pour les voies de recours. Le but pour nous aujourd'hui c'est de devenir incontournable dans les échanges électroniques, d'être à cet égard un vrai tiers de confiance pour les particuliers, les entreprises, administrations et les autres professions juridiques. Car d'ici 5 à 10 ans, le papier pourrait avoir totalement disparu des procédures.

 

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire souvenir d'étudiant ?

Le premier jour de mon entrée en fac, à Assas. J'avais 18 ans et j'étais habillé en costume cravate. Je voyais la faculté comme un lieu élégant. À l’époque je venais de Melun et je ne connaissais personne, je ne savais pas comment il fallait se comporter. À 8 h du matin, la première heure de cours, le professeur est arrivé en toge. Il y a eu un brouhaha énorme, il s'est énervé et il a fini par sortir de l'amphithéâtre. Puis il y a eu un jet de tomates effréné, j'ai dû descendre me réfugier en bas de l'amphi. Là j'ai reçu une tomate sur ma cravate. C'était un bizutage. Heureusement ensuite je me suis fait plein de copains et de copines.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Spider-Man pour son côté justicier invincible, ses pouvoirs surnaturels, sa capacité à grimper sur les immeubles, etc.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

La liberté d'expression, de comportement. Je trouve insupportable de devoir contrôler ses actes et paroles. C'est une liberté fondamentale de dire ce que l'on pense.

 

 

Carte d'identité de l’huissier de justice

Professionnel assermenté, officier public et ministériel, l’huissier demeure tenu par des obligations strictes et bénéficie d’un monopole pour l’exécution de certains actes juridiques. Néanmoins, il est soumis à la concurrence de professions non réglementées dans les dossiers non judiciaires de recouvrement de créances. De plus, son activité économique suit celle du pays ce qui signifie qu’en cas de crise financière, les études la subissent de plein fouet tandis qu’en période de forte croissance, ces dernières sont prospères.

 Les chiffres

– 3 250 huissiers en exercice ;

–10 000 salariés au sein des 2 000 études d’huissier ;

–30 % des huissiers sont aujourd'hui âgés de 54 ans ou plus, contre 21 % en 1994 ;

–les postes de dirigeants sont exercés à 74 % par des hommes.

 La formation et les conditions d'accès

L'École nationale de procédure (ENP) forme les futurs huissiers et collaborateurs d'études, mais également aux professionnels en activité, à travers la formation continue, conformément aux nouvelles exigences législatives en la matière. Les étudiants candidats à la formation initiale doivent au moins justifier d'un Master 1 de droit. En parallèle de leur stage de deux ans en étude, ils suivront une formation au département formation des stagiaires dans l'un des centres régionaux, et devront être reçus en fin de cursus, à l'examen professionnel.

 Les domaines d'intervention

Rédaction d’actes sous seing privé, enregistrement des cessions de contrat de bail, réclamation et reversement des loyers, factures, pensions alimentaires ou cotisations impayées, inventaires, notification des ruptures de PACS, apposition de scellés, conseils juridiques, vérification de règlements de jeux et concours, expulsions ou reprises d'enfants, constats d’infidélité, tirages au sort, etc.

 Le salaire

L’huissier est payé en honoraires, ses revenus dépendent du nombre d’actes que son étude traite chaque année. Le salaire moyen avoisine les 4 200 euros.

 Les qualités requises

Rigueur, diplomatie, probité, discrétion, objectivité, ponctualité, sang-froid, courtoisie, célérité, ténacité, autonomie, patience.

 Les règles professionnelles

Respect des délais et tarifs réglementaires, secret professionnel, confidentialité des échanges, obligation d'exercer son ministère chaque fois qu'il est sollicité (sauf dans certains cas comme la parenté ou l'alliance avec le professionnel).

■ Sites Internet

L’étude Safar : www.huissiermelun.com

La Chambre nationale des huissiers de justice : www.huissier-justice.fr

L'École nationale de procédure : http://www.enpepp.org/

 

Auteur :A. C.


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