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[ 30 janvier 2015 ] Imprimer

Rédactrice de code

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Ce sont de gros pavés qui ornent les murs des bibliothèques de droit, les bureaux des juges et des avocats. Tous les jours, vous êtes des milliers en France à ouvrir ces codes, sur Internet, iPad ou en format papier. Lois, décrets, arrêts, doctrine, tout y est consigné grâce au travail minutieux de petites mains qu'on appelle « codistes » dans le jargon, ou rédacteurs de code tout simplement. Rédactrice du Code de procédure pénale chez Dalloz, Maud Léna nous décrit son métier.

Quel a été votre parcours jusqu'à aujourd'hui ?

J'ai commencé par une thèse en procédure pénale pour devenir enseignante mais je me suis rendue compte que le monde universitaire ne me correspondait pas. Quand j'ai terminé ma thèse, j'ai commencé à travailler dans une association de réinsertion de personnes incarcérées. Il s'agit d'une plateforme téléphonique grâce à laquelle les personnes détenues peuvent se renseigner sur tous leurs droits en dehors de leur affaire. J'ai fait cela pendant cinq ans. Et j'ai notamment créé un fichier technique pour les bénévoles qui répondent aux appels car les questions peuvent être assez pointues. Il y a beaucoup d'élèves avocats mais aussi des personnes retraitées, des gens sensibilisés à l'univers de la prison mais non-juristes. Parallèlement j'écrivais pour Dalloz Actualité en droit pénal, procédure pénale, en particulier en exécution des peines qui est devenu ma spécialité. Je suis arrivée aux éditions Dalloz il y a un peu moins de deux ans lorsqu'un poste s'est libéré pour gérer le Code de procédure pénale et la partie procédure pénale de l'Encyclopédie juridique Dalloz. La constante dans mon parcours est la procédure pénale que j’adore. C'est une matière que je trouve passionnante car elle concerne tout à la fois l'humain, les libertés publiques, la politique, la philosophie. Intellectuellement, changer un petit bout du Code de procédure pénale, cela peut avoir plein d'implications que le législateur n'avait pas forcément imaginées. Du coup, faire le Code, cela ne peut être que passionnant, on est en plein cœur de la matière.

En quoi consiste votre activité au quotidien ?

Dans la mise à jour du Code, il y a deux grandes parties : la législation et la jurisprudence. Dans les deux cas, j'envoie chaque mardi mes documents réactualisés à la production. Ils vont les traiter informatiquement, poser les liens, l'équipe des correcteurs va relire les épreuves puis ça me revient pour un dernier contrôle.

Tous les jours j'épluche le Journal officiel pour repérer d'une part les modifications qui viennent impacter mon code, d'autre part les parties d'un autre code qui peuvent s'insérer dans mon code. Par exemple, dans le Code de procédure pénale, se trouvent des parties du Code de la sécurité intérieure ou du Code de l'environnement ajoutées en complément. Légifrance aussi permet de voir tous les derniers textes qui ont impacté tel ou tel code. Régulièrement, je vais ainsi contrôler si je n'ai pas raté un texte, il s’agit d’un filet de sécurité.

Sur la partie jurisprudence, on travaille ponctuellement avec des auteurs. Ils sont trois sur le Code de procédure pénale à organiser ces arrêts qui sont d'ordre général, liés à l'exécution des peines ou à la Convention européenne des droits de l'homme. Ils refont les intitulés, trient selon l'actualité, remontent des arrêts s'ils jugent cette organisation plus cohérente. De mon côté, je relis leur travail pour qu'il corresponde à nos normes éditoriales.

Au quotidien, afin que nos clients aient un code le plus à jour possible, je détermine où insérer dans le Code les arrêts qui nous sont directement envoyés par la Cour de cassation. On garde quasiment tous les arrêts de la chambre criminelle, parfois les arrêts de cour d'appel ou de tribunaux, notamment lorsqu'on n'a pas beaucoup de jurisprudence. Par la suite, je les place en essayant d'être le plus logique possible. L’ensemble est retravaillé après par les auteurs ; je peux aussi communiquer avec eux si j'ai des questions bien sûr.

J’insère également les références et les commentaires pour que les lecteurs aient le maximum de citations pour faire des recherches approfondies. Pour cela je suis obligée de dépouiller toutes les revues de procédure pénale. En somme, le travail est quotidien entre la législation, les arrêts et les références même si j'ai d'autres missions en parallèle.

Quelles ont été les évolutions importantes du Code de procédure pénale ces dernières années ? L'inflation législative s'est-elle ressentie concrètement ?

L'inflation législative se constate déjà simplement dans la numérotation des articles du Code : on arrive par exemple à des articles « R. 15-66-12-3 ». Et si l'on prend la table chronologique c'est assez révélateur. Une année comme 1974, on voit qu'une dizaine de textes a impacté le Code. En 2014, il s'agit d'une demi-douzaine de pages. Et il faut penser que la table chronologique du Code 2015 s'arrête en août 2014, d'autres changements sont intervenus depuis.

Cela devient très difficile de connaître toute la matière. Je salue les avocats ainsi que les magistrats, qui doivent connaître toute la procédure, de la garde à vue à l’exécution de la peine. D'autant plus qu'en pratique, il y a des choses qui ne se passent pas comme en théorie dans le Code. Dans la jurisprudence, on a souvent des arrêts de cassation ce qui signifie parfois que les magistrats se sont trompés. La législation devient parfois tellement incompréhensible et ils ont peu de temps pour intégrer toutes les modifications.

Par ailleurs, le code Dalloz en lui-même a beaucoup évolué avec le format numérique. Avant on avait un code pour l'année. Maintenant, on propose une mise à jour hebdomadaire. Ce n'est donc plus la même façon de travailler. Si l'on prend des métiers où il y n'a plus les budgets pour acheter des codes tous les ans, comme la police ou la magistrature, les services disposent d'un code qui date de quelques années mais ils vont systématiquement vérifier sur Internet que le texte n'a pas bougé.

Selon vous, le métier de rédactrice de code ou « codiste » est-il amené à disparaître ?

Ça me semble compliqué. En pratique il existe bien des programmes informatiques capables de repérer ce qui bouge dans la législation et qui peuvent éventuellement faire le changement automatiquement, proposer le texte modifié directement. Mais lorsqu'on le lit ensuite, on observe des erreurs ou des choses qui ne vont pas. Peut-être qu'un jour les programmes informatiques feront ce travail correctement mais c'est quand même une matière qui est beaucoup liée à l'usage de la langue. Et c'est très compliqué dans la réalité de traduire quelque chose du langage juridique en langage informatique. Par conséquent, je pense qu'on aura toujours besoin de cerveaux humains pour faire ce travail-là, en tout cas pendant un bon moment. Un mot peut avoir en français beaucoup de significations et en informatique n'en avoir qu'une seule ou même pas du tout. À cela il faut ajouter les articles des autres codes et la bibliographie qu'on ajoute de notre propre initiative lorsqu'on estime que cela apporte quelque chose de plus. C'est ça aussi la différence de nos codes avec Légifrance.

Vous venez d'ouvrir un compte Twitter (@LENAMaud), en quoi cela a-t-il un lien avec votre profession ?

J'ai démarré il y a deux mois seulement. Ce n'est pas affiché comme un compte Dalloz mais j’y précise que je suis rédactrice du Code de procédure pénale rouge.

C'est d'abord un outil de travail, une façon de communiquer des informations car il y a toujours des petites choses qui me surprennent, me font rire, m'énervent. C'est une manière de faire partager un peu ce métier que je trouve super intéressant et qui n'est pas très connu, y compris dans la communauté des juristes. Par exemple j'ai fait un récapitulatif de tous les textes qui entraient en vigueur ou étaient abrogés au 1er janvier 2015. Il y avait, notamment, la libération sous contrainte, les réductions de peine, l'audition libre. Cela correspond aux dispositions de la loi Taubira de cet été et qui n’étaient pas entrées en vigueur au 1er octobre 2014. En fait c'est un relais. J'ai aussi relayé sur Twitter le nombre d'arrêts que j'ai intégré dans le Code en décembre 2014 : 40. 

Twitter c'est rapide, ludique. Quand je vois un texte qui me fait rire je prends une photo, je la twitte ça me prend deux secondes. Ce qui me fait le plus râler c'est la déconnection entre les théoriciens, le législateur d’un côté et la pratique de l’autre, la méconnaissance du concret. Ceci dit, j'utilise plutôt le compte pour diffuser de l'information sur le métier, quant à mes réflexions sur le fond je ne les communique pas là.

Twitter c'est très pratique et très efficace en termes de globalité de l'information. Ça permet tout de suite d'être alerté, par exemple lorsque le Conseil constitutionnel (dont je suis le compte) transmet une question prioritaire de constitutionnalité, je le sais dans la journée. Il me suffit par la suite d'aller sur le site Internet du Conseil constitutionnel pour savoir quand ça sera jugé et, le jour même où l'arrêt est publié sur ce site, je peux réagir. Je suis beaucoup d'institutionnels comme la Cour de cassation, mais aussi la presse judiciaire, des avocats, des magistrats, des policiers, tous les comptes qui sont susceptibles de me donner des informations pour mon métier. C'est aussi une manière d'avoir des remontées de la pratique.

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

J'ai commencé mes études à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis et je les ai terminées à Paris 2 Panthéon-Assas. Ce sont deux Facultés très différentes et la première fois que j'ai mis les pieds à Assas, j'ai eu un choc. Ce n'est pas du tout la même population et surtout, ça ne parlait que de droit. À Saint-Denis il y avait des étudiants en cinéma, en sport, en sciences politiques, on parlait de tout et c'était assez mélangé. Assas n'est qu'une faculté de droit et d'économie. Même en-dehors des cours on ne parlait que de droit... Les trois premiers mois n'ont pas été faciles !

Le second pire moment, fut la semaine précédant ma soutenance de thèse. Je n'ai pas connu pire angoisse de ma vie d'étudiante. Ce sont cinq ans de travail qui se jouent en une après-midi.

Quant au meilleur moment, c'est la fin de la soutenance (en dehors de la vie étudiante!).

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Dernièrement, j'ai adoré le livre Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de l'écrivain Harper Lee (il a obtenu le prix Pulitzer un an après sa sortie). Scout, l'héroïne est une petite fille de 6 ans qui, dans le Sud des USA, voit de ses yeux d'enfant son père, avocat, commis d'office pour défendre un homme noir accusé d'avoir violé une femme blanche. Il y a beaucoup de haine autour de tout cela, mais le regard de cette gamine offre un angle décalé qui m'a énormément touché. L'espièglerie met de la distance par rapport à la gravité de la réalité.

Dans un genre complètement différent, j'ai adoré les livres de Tolkien, cette faculté qu'il a eu d'imaginer un monde complet depuis les petites plantes à la couleur du ciel. Il a tout réinventé, il a recréé un monde. Quand je l'ai lu la première fois je trouvais ça complètement fascinant.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Dans ma sensibilité personnelle, ce qui compte le plus pour moi c'est la manière globale dont on traite les gens en prison, la dignité des personnes détenues. C'est aussi lié à mon parcours. Mais au-delà de cette sensibilité, c'est très révélateur de l'état de la société dans laquelle on vit.

Badinter dit « dans nos pays démocratiques, on ne peut pas améliorer les conditions des prisonniers au-delà de la condition du travailleur le plus en bas de l'échelle sociale ; le public ne supporte pas l'idée qu'un délinquant puisse être mieux traité qu'un homme honnête ». Pas que pour les gens qui y sont, parce que ça peut être tout le monde. Et que ça a bien d'autres implications, en particulier les personnes sortent et on l'oublie souvent. Quand certains politiques parlent de la prison, on a l'impression qu'ils ont complètement oublié que les personnes vont sortir, qu'ils aient fait six mois ou trente ans. Et ils sortent dans l'état dans lequel on les a traités.

 

Carte d'identité du rédacteur de code

La communauté des codistes est infiniment petite en France. Dalloz est l'un des rares éditeurs de codes à bénéficier d'un service de rédacteurs spécialisés en interne. Selon Emmanuelle Allain, responsable du pôle pénal Dalloz, « il n'y a pas d'équivalent ailleurs ». Chacun est spécialisé sur un domaine en particulier et travaille en synergie avec d'autres rédacteurs au sein d'un pôle dédié à la matière, sans oublier les auteurs extérieurs. Avec l'accélération des informations, les codes numériques Dalloz sont désormais actualisés de façon hebdomadaire.

■ Les chiffres

– 16-17 rédacteurs de code travaillent chez Dalloz, appuyés par une équipe d'une cinquantaine d'auteurs extérieurs.

– 43 codes différents sont édités chaque année chez Dalloz.

■ La formation et les conditions d'accès

Un cursus juridique Bac+5 minimum et une spécialisation dans un domaine d'expertise sont nécessaires.

■ Les domaines d'intervention

Droit civil, pénal, procédure pénale, procédure civile, administratif, de la consommation, des assurances, fiscal, social, des sociétés, immobilier, de l'environnement, etc.

■ Le salaire

En fonction des diplômes et expérience.

■ Les qualités requises

Rigueur, réactivité, pragmatisme, capacité d'analyse, qualités orthographiques, expertise juridique.

■ Le site Internet

http://www.editions-dalloz.fr

 

Auteur :A. C.


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