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[ 10 décembre 2015 ] Imprimer

Terrorisme et état d’urgence

Karine Roudier a reçu le Prix de thèse 2012 du Conseil constitutionnel pour sa thèse « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne ». Aujourd’hui, maître de conférences en droit public à l’Institut d’études politiques de Lyon, elle a bien voulu répondre à nos questions.

Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les dispositions législatives applicables aux terroristes ?

La législation antiterroriste aujourd’hui en vigueur est le résultat de quinze lois adoptées entre 1986 et 2014. Elle représente un droit spécialisé articulé autour d’infractions spécifiques et des règles procédurales exorbitantes de droit commun. La définition des infractions de terrorisme donnée par le Code pénal est très large. Le Code de procédure pénale adapte un certain nombre de règles à la lutte contre le terrorisme. Il permet notamment une garde à vue plus longue avec un report dans le temps de la présence de l’avocat, des techniques d’enquêtes visant à faciliter la recherche de preuves (surveillance, infiltration, captation des données informatiques, saisies et perquisitions en dehors des heures légales et selon un régime d’autorisation particulier, écoutes téléphoniques). Enfin, le jugement des actes de terrorisme est centralisé par un pôle parisien et la Cour d’assises ne sera composée que de magistrats spécialisés (et non de magistrats et d’un jury). C’est donc un droit spécifique adapté et proportionné à la gravité et à la complexité de la menace terroriste.

Que vient changer l’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 par rapport à ce dispositif ?

L’état d’urgence ne remplace pas la législation antiterroriste, il vient la compléter. La qualification terroriste d’un acte est effectuée par un juge et toutes les techniques spéciales d’enquêtes sont mises en œuvre sous le contrôle d’un juge. En d’autres termes, toutes les mesures pouvant limiter ou entraver les libertés d’un individu de manière plus importante que d’ordinaire parce qu’il est soupçonné de terrorisme sont toujours décidées par l’autorité judiciaire. Le rapport sécurité / liberté est censé être à un point d’équilibre.

L’état d’urgence a vocation à prévenir l’ordre public. Pour ce faire, la loi du 3 avril 1955 donne des moyens d’actions aux autorités administratives (ministre de l’intérieur et préfets) qui ne sont pas autorisés en temps ordinaire. Le rapport sécurité / liberté est ici déséquilibré au profit de la sécurité pour affronter une situation exceptionnelle.

Ainsi, les perquisitions et les assignations à résidence ne sont pas autorisées par un juge mais par le pouvoir exécutif. Le juge pourra être saisi pour vérifier la légalité de ces mesures mais il s’agira d’une saisine a posteriori, une fois que l’atteinte aux libertés a déjà été opérée.

Que permet-il relativement aux droits de la défense, aux mesures aux frontières, aux assignations à résidence ou aux perquisitions ?

L’article 11 de la loi du 3 octobre 1955 permet des perquisitions dites administratives car elles peuvent avoir lieu sur autorisation du pouvoir exécutif, sans autorisation judiciaire et de jour comme de nuit. L’article 6 de la même loi autorise des assignations à résidence pour toute personne « à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».

Les droits de la défense sont préservés en théorie puisque l’article 14-1 de la loi prévoit la possibilité d’introduire un recours devant le juge administratif. Toutefois, nous pouvons déjà noter que les mesures peuvent viser un grand nombre de personnes car le champ d’application est défini de manière très large par la loi et n’est pas circonscrit à la lutte contre le terrorisme. Ainsi, certaines assignations à résidence ont été prononcées à l’encontre de militants écologistes au moment où se déroule la COP21. En outre, les premiers référés-libertés contre ces mesures ont tous été rejetés, la condition d’urgence requise par ces procédures pour obliger le juge à statuer dans les 48 heures en cas d’atteinte grave à une liberté fondamentale, étant difficile à démontrer.

La loi sur l’état d’urgence ne prévoit rien au regard des frontières. En l’occurrence, au lendemain des attentats du 13 novembre, le Président a annoncé le rétablissement des contrôles aux frontières mais cela avait déjà été décidé en raison de la tenue de la COP21 à Paris.

Quelles sont les modifications du dispositif juridique évoquées par le Président de la République ?

Devant le Congrès, le président a annoncé la constitutionnalisation de l’état d’urgence « pour agir contre le terrorisme de guerre ». D’après les premières informations sur le projet de révision, il s’agit de créer un nouvel article reprenant les conditions de mise en œuvre et de prolongation de l’état d’urgence et permettant l’application de certaines mesures jusqu’à six mois après la fin de l’état d’urgence (assignation à résidence et perquisitions administratives notamment). Par ailleurs, il semble que le projet de révision reprenne une autre proposition évoquée devant le Congrès à savoir la possibilité de déchoir de la nationalité française un binational né français s’il a été condamné pour acte de terrorisme ou atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (à ce jour, seules les personnes ayant acquis la nationalité française peuvent se voir viser par une mesure de déchéance). Le Président avait également mentionné la création d’un « visa de retour » qui interdirait à un binational de revenir en France sauf s’il se soumet à des contrôles stricts. Les contours de cette dernière proposition sont à ce jour encore très flous.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

Mon année en séjour ERASMUS à l’Université de Perugia en Italie. Cela a été la découverte du droit comparé in vivo. Je suivais les cours à la faculté de droit mais aussi à l’Université pour les étrangers. Nous étions dans des classes de 20 à 25 élèves, tous de nationalités différentes. Une véritable auberge espagnole !

Quel est votre héros de fiction préféré ? 

J’ai une préférence pour les héros du quotidien, bien réels, mais j’ai aimé le personnage de Modesta dans L’art de la joie de Goliarda Sapienza ou celui d’Elisabeth Bennet d’Orgueil et préjugés

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

La liberté d’expression.

 

Auteur :M. B.


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