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Le billet

[ 22 juin 2015 ] Imprimer

A propos de l’intérêt médiatique porté aux « foulards hermès » de Rachida

Il est rare, si ce n’est extrêmement rare, qu’un arrêt de la Cour des comptes retienne l’attention des médias. Cette juridiction est, en effet, plus connue pour ses rapports publics au moyen desquels elle examine l’emploi fait des deniers publics par les administrations publiques ou dans le cadre des politiques publiques.

Un arrêt donc, en date du 22 janvier 2015 par lequel le comptable public placé auprès du ministère de la justice a fait l’objet d’une condamnation pour des opérations réalisées durant les années 2007 à 2010.

Il revient en effet à la Cour des comptes (et aux chambres régionales et territoriales des comptes – CRTC - pour leur ressort géographique) d’examiner les comptes des comptables publics, seuls fonctionnaires habilités à manier le denier public et tenus d’en rendre des comptes devant ce juge financier, juge des comptes que sont la Cour des comptes et les CRTC. Une responsabilité particulière supportée par l’agent comptable. En effet, l’examen du compte par ce juge des comptes peut conduire, comme cela a été le cas en l’espèce, à condamner l’agent comptable à raison des irrégularités constatées dans la tenue de sa comptabilité. Lorsque ces irrégularités ont occasionné un préjudice financier, l’agent comptable est mis en débet, c’est-à-dire qu’il est tenu de rembourser dans la caisse publique, le montant des manquants constatés dans sa comptabilité – des sommes qui peuvent donc être parfois très conséquentes… Si ces irrégularités n’ont pas occasionné de préjudice financier, l’agent comptable peut être condamné au moyen d’une somme – très souvent modeste - dont le montant est déterminé par le juge des comptes en fonction des circonstances de l’espèce.

C’est à ce titre que le contrôleur budgétaire et comptable ministériel auprès du ministère de la justice a été contrôlé et condamné à 188 344,83 euros de débet en raison du préjudice financier occasionné par les irrégularités qu’il a commises, auquel s’ajoute la somme de 70 euros, sanctionnant des irrégularités commises mais n’ayant pas occasionné de préjudice financier.

Une compétence méconnue des médias comme le laissent supposer les articles parus sur le sujet. Alors qu’il s’agit d’une compétence juridictionnelle exercée par la Cour des comptes, certains articles évoquent un rapport émis par la Cour (comme cet article des décodeurs du journal Le Monde qui entreprennent, à juste titre, de distinguer le vrai du faux dans cette affaire : Rachida Dati a-t-elle vraiment été épinglée pour les foulards Hermès ?, Le Monde.fr, 14 mai 2015 et se penche plus particulièrement sur les sommes versées à une société de communication, déjà épinglée quatre fois par la Cour des comptes pour des marchés conclus sans mise en concurrence et impliquée, par ailleurs, dans une enquête du pôle financier dans l’affaire dite des sondages de l’Élysée, passés sous le Gouvernement Fillon, société dont le président est présenté comme proche de N. Sarkozy – mais ceci est une autre histoire…). 

Une décision dont les médias ont tardé à s’emparer puisque ce n’est qu’au mois de mai que les premiers articles de presse sont parus sur le sujet, pointant non pas l’agent comptable sanctionné, mais derrière lui le ministre en poste durant les années 2008 et 2009, à savoir Rachida Dati.

Des articles qui se sont particulièrement focalisés sur l’ « achat de vêtements de luxe » - évoquant l’achat de foulards Hermès – qui dans leur montant, s’établissent (vêtements et produits de luxe confondus) à 3 132,70 euros (sur ce point, voir l’illustrant graphique établi par Les Décodeurs du Monde.fr).

Que dit l’arrêt ? L’essentiel du débet prononcé, à savoir 178 602,76 euros concerne des dépenses de communication pour lesquels la Cour des comptes reproche au comptable d’avoir procédé au paiement sans s’être assuré que les prestations avaient bien été réalisées par la société, ce qui n’a pas permis à l’agent comptable de vérifier que l’État était légitimement débiteur des sommes en cause.

A ce montant, s’ajoutent 8 985,87 euros de dépenses concernant des vêtements de luxe, de consommation de boissons ou de repas, d’achats de pâtisseries, de journaux, de produits de pharmacie… Pour certaines de ces dépenses, la responsabilité de l’agent comptable a été engagée car il a procédé au paiement alors que les certificats administratifs produits étaient dépourvus de la signature des services de l’ordonnateur, pour d’autres, parce que le service fait n’a pas été certifié par ces mêmes services. Autant de dépenses que la Cour des comptes estime, de ce fait, indues et qui ont donc occasionné un préjudice financier justifiant la mise en débet de l’agent comptable.

Même cause, même effet pour des frais de restaurant payés en l’absence des justifications requises, notamment absence de précisions quant à l’objet des réunions et leurs organisateurs. Une irrégularité qui justifie la mise en débet du comptable pour un montant supplémentaire de 756,20 euros.

Le comptable public est enfin sanctionné pour le paiement d’une facture au profit d’une brasserie lilloise – facture de 699,30 euros. Il a procédé au règlement en l’absence des pièces justificatives dont il doit pourtant disposer comme l’attestation de l’organisateur de la réception et son visa par un directeur d’administration centrale. Le juge des comptes admet toutefois que les dépenses n’étaient pas indues, qu’elles n’ont donc pas occasionné de préjudice financier pour la caisse publique, ce qui explique qu’il ne soit pas tenu d’en rembourser le montant mais sanctionné à hauteur de 70 euros.

Voilà ce que dit l’arrêt, ni plus ni moins.

Peut-on voir derrière cet arrêt, un engagement indirect de la responsabilité de l’ordonnateur, à savoir celui qui donne au comptable public l’ordre de payer – à charge pour ce dernier de procéder aux vérifications nécessaires et, le cas échéant, de refuser de payer ? La difficulté apparaît ici. Il appartient au comptable public de refuser un paiement lorsqu’il l’estime irrégulier. Il en va de sa responsabilité. S’il a accepté le paiement, il a ce faisant admis sur le principe la dépense, quitte à en supporter la responsabilité devant le juge des comptes. Cela signifie-t-il que l’ordonnateur échappe ainsi à toute responsabilité ? Non. Sous réserve que les conditions en soient réunies, il peut voir sa responsabilité engagée devant la Cour de discipline budgétaire et financière, juridiction créée en 1948 pour sanctionner les fautes de gestion commises. Sauf que, par exception, les ministres n’en sont pas justiciables… Une incongruité à laquelle il n’a jamais été mis un terme pour des raisons évidentes… Le législateur a bien tenté, en 2010, d’étendre le champ de compétences de cette juridiction aux membres du Gouvernement, mais curieusement sa proposition n’a pas trouvé d’écho…

Référence

Cour des comptes, 22 janv. 2015Contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) auprès du ministère de la justice, n° 71642.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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