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Le billet

[ 10 mars 2015 ] Imprimer

À quoi ressemblera le « Frontisme départemental » ?

L’année dernière à la même époque, à la veille des élections, j’avais publié une note sur les aspects que pourrait prendre « le frontisme municipal ». Devant la perspective du gain d’un ou de plusieurs Conseils départementaux par le Front National à la suite des prochaines élections départementales, il peut être intéressant de se livrer au même exercice pour montrer que cette « montée en puissance » conduira sans doute à des conséquences assez différentes et que le Front National pourra probablement, davantage que dans les communes, imprimer sa marque sur la politique menée par ces instances.

■ L’action du Département dans son environnement institutionnel

J’avais souligné l’an passé que les succès municipaux du Front National seraient insuffisants pour leur permettre de peser sur leur environnement institutionnel, notamment parce que ces succès ne feraient pas basculer les intercommunalités, qui sont aujourd’hui les gestionnaires des principaux services publics communaux.

Voici une première différence avec les départements : ceux-ci disposent, en effet, dans leur sphère de compétence (action sociale, gestion des collèges, voirie), de beaucoup plus d’autonomie. La large compétence sociale qui leur appartient (attribution de minima sociaux tels que le RSA, aide en faveur des personnes âgées, des personnes handicapées, de la jeunesse ou de l’enfance) n’obéit qu’en partie à des critères posés par l’État. Ainsi, le choix de favoriser tel ou tel mode de garde pour les enfants, les critères d’admission dans les maisons de retraites départementales, les priorités données pour l’aide aux familles en difficulté sont autant de domaines dans lesquels le Département pèse d’un poids important, quasi exclusif.

Or il est évident que ces compétences entrent en résonance avec des thèmes électoraux classiques du Front National et que celui-ci ne manquera pas de tenter de faire d’une inflexion de ces politiques une marque forte et visible de son action. Ainsi il y a lieu de penser que la remise en cause de programmes sociaux ou leur très nette réorientation sera au programme des politiques frontistes au sein des conseils départementaux.

Par ailleurs, une des politiques importantes dévolue aux Départements consiste à assurer une « solidarité départementale » notamment vis-à-vis des petites communes. Le Conseil général joue ainsi fréquemment un rôle moteur dans la possibilité d’engager des investissements de proximité. Il est bien évident que ce pouvoir sera un levier essentiel pour l’insertion du Front National dans le milieu local car les communes n’auront pas d’autres possibilités que de négocier avec ses élus, et donc d’accepter certaines de leurs demandes si elles veulent pouvoir concrétiser leurs projets.

■ Les enjeux budgétaires et financiers

Comme dans les communes, les initiatives des élus du Front National vont être placées sous la contrainte de données budgétaires particulièrement contraignantes. On sait, en effet, que les départements, soumis à l’explosion de la charge budgétaire des prestations sociales liées à la montée de la précarité, sont dans des situations financières fréquemment délicates. Pour autant les contraintes seront moins fortes que dans les communes et cela pour deux raisons.

D’abord, les masses financières en jeu sont d’une tout autre ampleur. À titre d’exemple, le budget de la commune de Fréjus, l’une des plus importantes villes remportées en 2014, est de 92 M€ (fonctionnement et investissement confondus) alors que le budget du département du Var, dont elle fait partie et qui est donné pour un de ceux ayant le plus de chances d’être conquis cette année est de 1,2 milliard d’euros. Or, sur de tels volumes budgétaires il existe nécessairement des marges de manœuvre malgré le contexte budgétaire.

Ensuite, comme on l’a dit, une part significative des dépenses des départements résulte de schémas ou de projets qu’ils maîtrisent et peuvent, par conséquent, modifier facilement : geler la politique de développement des crèches ou des assistantes maternelles, réduire les aides aux associations qui gèrent la prestation autonomie pour les personnes âgées, la préemption d’espaces naturels sensibles départementaux, etc. Tout cela permettra de dégager des marges de manœuvre significatives.

Ainsi, malgré la situation budgétaire actuelle des départements, le Front National disposera, plus que dans les communes, d’une réelle possibilité de mettre en œuvre ses priorités politiques.

■ Vers l’émergence d’un « management frontiste » ?

J’avais également souligné l’an passé la difficulté du Front National pour recruter un management administratif qui accepterait de coopérer dans les communes. À l’échelon du département, cette problématique risque de se retrouver. Il faut toutefois ici encore relever une différence importante entre communes et départements : alors que dans les communes la part des fonctionnaires de catégorie A et B n’excède pas 15%, elle monte à près de 40% dans les conseils généraux.

Il en résulte deux conséquences. La première est que dans les départements, plus encore que dans les communes, la difficulté de recruter des directeurs ou des chefs de services acceptant de mener la politique mise en place par ce parti sera une contrainte forte. Mais la seconde tient à ce que, sur le moyen terme, les services des conseils généraux risquent de devenir une véritable « école des cadres » de l’implantation territoriale du Front National, compte tenu du nombre de postes à pourvoir.

■ Les contraintes juridiques

Enfin, on a constaté depuis un an dans les communes gérées par le Front National que celui-ci évitait, sauf exceptions, de transcrire trop nettement ses logiques politiques dans la gestion municipale. En particulier, la thématique de la « préférence nationale » se trouve rarement mise en œuvre en tant que telle, compte-tenu des risques évidents de censure juridictionnelle encourus.

Si cette logique devrait être transposable à l’action des départements, il existe toutefois ici aussi une nuance importante. Comme on l’a dit plus haut le département intervient sur de nombreuses prestations sociales et les conseils généraux ont souvent créé des prestations facultatives qui s’ajoutent aux prestations obligatoires. Pour la gestion, voire la suppression ou la réduction des prestations facultatives, le futur conseil départemental dispose d’une très importante autonomie : à condition de ne pas porter atteinte directement au principe d’égalité des usagers du service public, il pourra parfaitement réorienter ces prestations en leur donnant un affichage politique marqué.

■ Conclusion

Au total, on le voit, le « Frontisme départemental » risque d’être plus actif et plus marqué politiquement que le « Frontisme municipal » qui a émergé l’année dernière. Les conséquences sur les politiques sociales locales seront très vraisemblablement  assez fortes et feront sans doute plus que dans les communes émerger une élite bureaucratique frontiste.

Ce sont des observations qui méritent d’être prises en compte au moment de déposer son bulletin de vote dans l’urne : loin d’être un vote protestataire, le vote Front National aux élections départementales conduira à l’ancrer fortement dans le paysage administratif français.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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